Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
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Image : Yosra Rekik

Par Dr Foued Bouzaouache, alias Decepticus,

Que de nobles causes ont été perdues parce que la forme n’y était pas! Et c’est ce qui est en train d’arriver avec ce formidable mouvement des médecins à travers tout le pays. Euh… pardon ! Plutôt à travers toute la côté Est du pays.

Les médecins tunisiens, des plus « juniors » aux plus « seniors » ont soutenu en silence la révolution tunisienne : ils ont enduré sans broncher les interminables journées et nuits de garde du début de la révolution à la fin des journées du terrorisme des snipers jusqu’aux divers mouvements sociaux sanglants ou attentats terroristes contre nos concitoyens. Ils sont intervenus partout où ils voyaient leur action utile, au cours de la crise Libyenne, lors des vagues de froid dans les hauteurs, au cours des divers événements sanglants qu’a vécu la Tunisie… Ils ont été agressés, pris en otage, braqués, volés, molestés… mais ils ne demandaient, constamment et sans faire de vagues, que le respect auquel ils ont droit et que des conditions dignes et adaptées à l’exercice de leur art. C’est dire aussi qu’ils n’ont de leçons à prendre de personne en matière de patriotisme. Mais comme nous avons pris l’habitude millénaire de croire que celui qui criait le plus fort avait nécessairement raison, ils ont donné l’impression d’être passifs alors qu’ils n’étaient qu’en hibernation, induite, il est vrai, par la nature même de leurs fonctions.

Le réveil a été très rude mais tardif et, malheureusement, inadapté dans la forme. Car je ne vais pas discuter le fond du problème sur lequel il y a pratiquement accord.

Depuis le début de la révolte des jeunes médecins, plusieurs images se dessinaient dans ma tête ; des dormeurs de la grotte qui, enfin, se réveillaient, en passant par le chat qui ne veut pas avouer qu’il est un lapin, jusqu’au combat de Don Quichotte contre les moulins-à-vent. Que personne n’y voie une référence à la tradition meunière bien ancrée dans notre culture tunisienne! Non, c’est plutôt une représentation bien réelle, hélas! de ce qui est en train de se passer. En effet, si on observe de près ce mouvement qui paraît, de loin, tellement grandiose, que trouve-t-on ? Des externes, internes, résidents, mais aussi assistants, professeurs et autres seniors demandent au Ministère de la Santé, en faisant sur lui une pression énorme par des grèves diverses (y compris celle des examens pour les étudiants !) de retirer un projet de loi qui a été proposé par des élus de l’ANC et qui suit actuellement le processus normal de tout projet de loi en son sein !

Donc, des protestataires peu ou prou concernés qui exigent des instances qui n’en ont pas le pouvoir une mesure assurément non démocratique, en y mettant, qui plus est, toute leur force ! Sans rien garder pour des luttes futures ! Sans parler des plumes que tout le corps médical est en train de laisser car la bataille médiatique est quasiment perdue et ce ne sont pas les dépistages de diabète et d’hypertension faits sur l’Avenue Habib Bourguiba à Tunis (si, si, à Tunis capitale et non pas dans un de ces bleds perdus qui auraient bien aimé changer d’opinion sur le mouvement des jeunes médecins. Parenthèse fermée) qui y changeront quoi que ce soit auprès des citoyens.
Allez y comprendre quelque chose! Nos frères Algériens illustreraient cette situation par le proverbe : يضرب الريح بهراوة ou battre le vent avec un gourdin…

Je me doutais bien que la culture démocratique était difficile à inculquer et à adopter mais j’étais loin de penser qu’on puisse invoquer et réclamer une procédure dictatoriale qui fasse intervenir l’exécutif dans le législatif ! Je ne pousserai pas la naïveté jusqu’à croire que ceux qui mènent la danse ne savent pas ce qu’ils font mais j’avoue humblement ne pas être arrivé à entrevoir leur but ultime, à moins qu’ils n’y soient justement parvenus avec ce mouvement. Ah ! Ces endorphines et cette adrénaline qui envahissent nos corps quand nous sommes « tous ensemble » et dont la sécrétion est entretenue par d’habiles charmeurs ! Bah ! Il faut bien que jeunesse passe, mais attention à la gueule de bois et… au retour de bâton !

Toujours dans la forme mais dans un autre registre, l’éthique et la morale semblent être allégrement malmenées ; l’Ordre des Médecins m’a peut-être appris la xyloglossie, selon certains, mais il a certainement amélioré ma connaissance des valeurs déontologiques. Il est peut-être utile de rappeler à mes confrères, y compris ceux qui n’ont pas encore prêté serment (car ce n’est pas une thèse de Doctorat qui tient plus du symbolique que de la vraie recherche qui s’érigera entre eux et la confrérie) que leurs revendications sont soutenues par les articles 4 et 12 et 77 du Code de Déontologie Médicale mais que si le droit de grève est indirectement garanti par les articles 37 et 38 du CDM, il est également sévèrement encadré par ces mêmes textes. Non ? Vous ne les connaissez pas ? Une mise à jour déontologique s’impose alors ! Je ne ferai pas de commentaires, en tout cas pas dans cet article : pour moi, une limite a été dépassée et j’en prends acte. Ou plutôt si, un seul : quand on demande ses droits, il faut penser également à s’acquitter de ses devoirs.

Pour finir, on est très souvent le manipulé de quelque chose ou de quelqu’un, même quand on se croit manipulateur ; je déteste pour moi quand je m’en rends compte tardivement (je le suis peut-être en écrivant cet article, manipulateur manipulé) mais je l’accepte, c’est humain. Toutefois, je le refuse pour une corporation (une confrérie?) telle que la nôtre : il n’est pas question que nous soyons ou fassions partie d’un agenda syndical ni politique !

A bon entendeur, comprenne qui voudra !

N. B. Cet article n’engage que ma propre personne et en aucune façon les structures dont je fais partie.C’est un gazouillis hors de la nuée : تغريدة خارج السرب

Dr Foued Bouzaouache