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Par Limam Wajdi, président de l’association UNI*T

Enfin un projet de loi pour les Tunisiens de l’Etranger

Alors que plus personne ne s’y attendait, le projet de loi concernant la création d’un Conseil des Tunisiens de l’Etranger vient d’être déposé, auprès des membres du gouvernement, et au plus vite auprès des membres de l’Assemblée Nationale Constituante.

Nous tenterons ici de revenir sur les conditions de l’émergence de ce projet de loi, et les débats soulevés autour de celui-ci ainsi que le contexte particulier dans lequel il s’inscrit. Puis, dans second temps, nous traiterons de la question des Tunisiens de l’étranger, d’un point de vue tunisien, et d’un point de vue diasporique. Avant toute chose, il faut préciser qu’il s’agit du point de vue d’un acteur engagé sur ces questions depuis maintenant près de deux ans. Je renverrais en bas du texte à d’autres textes écrits sur la question, et les faits avancés ici sont le fait de mon expérience et de mon analyse.

La question la plus importante étant de quelle manière on peut inclure les Tunisiens de l’étranger, afin de participer avec les Tunisiens de Tunisie, à la construction et à la promotion d’un état démocratique, solidaire, porteur de valeurs d’émancipation.

Tout d’abord, on entend parler du projet de cette instance depuis la chute de Ben Ali. C’est une revendication essentielle de l’immigration tunisienne organisée. Bien que des divergences existent sur son contenu, son rôle, son mode de désignation, la quasi-totalité des organisations présentes en diaspora souhaitaient la création de ce conseil.

La nomination de Houcine Jaziri, en tant que Secrétaire des Tunisiens de l’Etranger fut accueillie par une profonde satisfaction de la part des acteurs associatifs. En effet, ce dernier était connu et reconnu, et bénéficiait d’une bonne image à l’extérieur de son propre parti. Très vite, toutefois, des tensions vont émerger entre les acteurs de la diaspora/immigration tunisienne et le nouveau Secrétaire d’Etat.

Ce dernier ne semble pas prendre la mesure des attentes des acteurs associatifs, ou du moins n’arrive pas à traduire ces revendications en politique publique ou en proposition publique. Les rencontres furent nombreuses mais souvent organisées à la dernière minute, formelle ou informelle et sans que rien n’aboutisse.

Les personnes nommées pour mener à bien ce projet ne sont pas restées longtemps en poste, en raison des difficultés pratiques  qu’on a sous-estimé. L’OTE en charge de verser les salaires, de payer les billets d’avions et d’hôtels, donc dans les faits, permettant le travail au quotidien, faisait pour le coup un profond travail de sape, dont il faudra juger l’action, et en tirer, un jour, des conséquences judiciaires. Ces difficultés alliées à la bipolarisation et à l’omniprésence du débat politique ont profondément freiné la gestion de ce sujet. La seconde étape au mois de mars, lors du FSM à Tunis, le SE Jaziri convoque une partie des acteurs présents, avec l’absence notable de tout représentant de la mouvance islamiste. Il nous annonce alors que le dossier est repris et que la personne en la personne d’une nouvelle chargée de mission. Celle-ci a en charge de continuer le travail entamé. Toutefois, toujours dans la même logique, celle-ci ne semble pas disposer des moyens de mener à bien sa mission. Les réunions publiques continues à être organisé à la dernière minute, et les acteurs de la diaspora sont toujours dans le flou concernant cette question. Les conflits partisans tunisiens participent aussi à une crispation politique qui impacte sur les associations, et crée une sorte de « flou » durant de nombreuses semaines.

C’est vers octobre 2013, qu’une équipe Majlisna est nommée pour mener à bien le travail sur le conseil des TE. Cette équipe, compétente, plurielle, salariée par l’OTE, a produit en un temps record, un projet de loi, qui est actuellement à l’examen par des ministres pour être intégré dans les rouages de l’ANC.

Nous aborderons donc, avec un peu de recul plusieurs points d’abord d’ordre pratique, puis plus idéologique. On a vu durant cette mandature, l’impossibilité pour un SE de mener la moindre politique digne de ce nom en direction des Tunisiens de l’étranger. Les plus indulgents évoqueront bien entendu la question des douanes, du VCR ou encore le projet bancaire lié aux Tunisiens de l’étranger. Au-delà du caractère marginal et parfois fortement partisan de ces points, il faut revenir sur le fait, qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucune doctrine sur la question de la diaspora tunisienne, encore qualifiée d’immigration tunisienne.

Ou plutôt si, il existe une doctrine, c’est celle développée par l’office des Tunisiens à l’étranger, qui se trouve à mettre en place la doctrine, mais aussi de la mettre en œuvre. Qu’une administration, dont le passé sulfureux a été largement oublié, et dont le rôle sous Ben Ali, était de procéder à des opérations policières, de manipulations médiatiques et surtout de permettre aux réseaux des proches de Ben ali de disposer de revenus en devises net d’impôts, est cette charge sous la Tunisie révolutionnaire a de quoi interroger. Non contente de ne pas avoir rendu de compte, de ne pas avoir connu de changement notable de ces effectifs, elle exerce toujours autant d’influences, dans une opacité quasi-totale. C’est cette instance qui verse les salaires, des chargés de mission en lien avec le conseil des Tunisiens de l’étranger, c’est cette administration qui avait le rôle de salarier ou pas le cabinet de Jaziz, le SE. C’est encore cette instance, qui choisit les interlocuteurs, sur des critères totalement inaudibles.

Cette institution, est aujourd’hui le cœur du problème de la question de la diaspora et de l’immigration tunisienne. Dotée d’un pouvoir dont on a du mal à prendre conscience, elle utilise à bon escient l’usage de la bourse dont elle est la seule à disposer. On ne veut donc envisager un travail sur la question des Tunisiens de l’étranger, sans dissoudre cette administration, et sans tirer les conséquences de l’audit qui a récemment été réalisé par l’anc.

Au-delà de la question de la doctrine concernant les Tunisiens de l’étranger et qui a la charge de la mettre en œuvre, il va falloir entamer un travail sur la question de la diaspora. Un travail de formulation pour définir l’objet dont on parle, mais aussi un travail interne avec ces derniers sur leurs rapports aux pays d’origines et aux Tunisiens de Tunisie. Nous ne pouvons plus faire l’économie de ces interrogations.

Les Tunisiens de l’étranger, sont qualifiés de « Tunisiens résidents à l’étranger » « immigrés » « colonie tunisienne à l’étranger », différente appellation qui permettent d’en savoir long sur l’émetteur de ces propos. Ce qui est clair, c’est que les Tunisiens de l’étranger sont divers, et ont dans l’ensemble peu de points communs. Certains sont immigrés, d’autres étudiants, certains cadres supérieurs, d’autres ouvriers, et d’autres sont ceux qu’on appelle les secondes, voire les troisièmes générations. En l’absence d’études sérieuses sur la topologie des TDE, nous sommes pour le moment contraints d’extrapoler, et de partir de ce que l’on voit.

Au-delà de cette diversité, il faut aussi avoir en tête, la catégorie la plus homogène dans son ensemble, celles des secondes et troisièmes G. Une catégorie socialisée en diaspora, détentrice des codes des pays d’accueil de leurs parents, et dont le rapport avec le pays d’origine est essentiellement un lien symbolique, culturel, identitaire, structurant dans leurs représentations de soi et des autres. Cette catégorie est homogène, partage des visions communes, un engagement commun, et semble être aujourd’hui, la seule en mesure de produire un discours sur la question de la diaspora, du lien avec les Tunisiens de Tunisie, sans sombrer dans le manichéisme et dans la lutte partisane.

Car au fond, il ne faut pas perdre de vue, qu’il s’agit de lier les TDE avec les Tunisiens de Tunisie, au nom d’une volonté commune de construire un état de droit et solidaire. Au-delà des slogans vides de sens sur l’amour de la Tunisie, sur le fait que nous sommes Tunisiens, il, s’agit de s’ancrer autour de valeurs partagées et de pratiques sociales partagées. La question de la diaspora ne peut pas être de fait, traitée hors de la question des Tunisiens de Tunisie, il ne faut ni les opposer, ni les diviser, et bien au contraire renforcer un sentiment commun d’appartenance.

Car au fond, cette instance ne devrait avoir comme vocation, que de ressouder le lien entre les Tunisiens à travers le monde et les Tunisiens de Tunisie, et de coordonner ces énergies afin de renforcer la construction d’un Etat démocratique, social, porteur d’un message d’émancipation des peuples, au-delà des lieux de résidences. Le reste n’est qu’accessoire.