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La Tunisie, 1er pays à constitutionnaliser la protection de l’usage de l’Internet

 

C’est fait !

La Tunisie est le premier pays au monde à protéger au sein de sa Constitution la capacité des citoyens à exercer leurs libertés fondamentales –également– via l’Internet.

Bien que le vocable même d’ « Internet » ne soit pas mentionné, par un « petit alinéa » inséré au sein de la nouvelle Constitution, le droit d’accéder à l’Internet devient, par ricochet, garanti.

La nouvelle Constitution dispose en effet : « L’exercice des droits et libertés publiques, dont les personnes jouissent “hors ligne”, est également garanti “en ligne”. »

La formulation est habile puisqu’elle constitutionnalise l’usage de l’outil pour l’exercice des libertés et non l’outil en soi, d’une part, et évite, d’autre part, cette longue narration inutile du rôle unanimement reconnu d’Internet quant à l’accès au savoir, à la Culture, à l’éducation, à l’information, etc.

Il faut reconnaître cependant, que cette formulation fut inspirée de la résolution des Nations Unies relative à la « promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels » via les réseaux en ligne et laquelle fut adoptée en juin 2012. Mais, il est tout aussi vrai, faut-il le souligner, que la Tunisie fut l’une des initiatrices de cette résolution.

En effet, avec le Brésil, les États-Unis, le Nigéria, la Suède et la Turquie, la Tunisie fut l’un des pays qui poussèrent à l’adoption, le 29 juin 2012, de la résolution onusienne du Conseil des droits de l’Homme invitant les « États à promouvoir et faciliter l’accès à l’Internet et la coopération internationale aux fins du développement des médias et des moyens d’information et de communication dans tous les pays ».

La Tunisie, avec 47 autres Nations, considère au sein de cette résolution que « les droits dont les personnes jouissent hors ligne doivent également être protégés en ligne, en particulier le droit de toute personne à la liberté d’expression qui est applicable sans considérations de frontières et par le moyen de son choix, conformément aux articles 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».

Sûrement qu’il eût été quelque peu inconvenant de la part de la Tunisie, après la signature d’une telle résolution, qu’elle ne réalisa pas, à la première occasion, ce, à quoi, elle invita les autres nations à promouvoir et à garantir.

Il semblerait même que la constituante tunisienne ne voulait pas rater l’occasion de réaliser un précédent. En somme, être la première à formaliser dans sa Constitution, ce qui, effectivement, pourrait s’avérer à l’avenir un large mouvement vers la constitutionnalisation des garanties protégeant l’accès à l’Internet. Les déclarations de certaines personnalités politiques vont manifestement dans ce sens.

En effet, et à l’issue de l’adoption de cette mesure protectrice de l’usage de l’Internet au sein de la Constitution, le leader du parti islamiste tunisien, devant une myriade de micros, s’est plu à prédire l’avenir. « La consécration –affirme-t-il– dans les Constitutions de l’exercice du droit à l’accès à l’information, à l’éducation, à la culture et au savoir en général par le biais des réseaux en ligne est inscrite dans la marche de l’Histoire. Qu’aucun pays –précise le leader d’Ennahdha– ne l’ait encore réalisée n’est qu’une question de temps. Dans la décennie à venir, cette consécration –insiste Rached Ghannouchi– sera vraisemblablement inscrite dans de nombreuses Constitutions. La Tunisie s’étant trouvée devant une opportunité historique pour être la première à le faire, elle l’a donc fait ! », commente Ghannouchi serein.

Dans le même sens, Mostapha Ben Jâafar, président de l’ANC, explique : « même si nous ne l’avions pas instituée à cette occasion, la protection de l’usage d’Internet dans la Constitution aurait été tôt ou tard consacrée ». Non sans une pointe de malice, il ajoute : «  pourquoi alors laisser à ceux qui vont nous succéder à l’Assemblée l’honneur de la réaliser. Du reste, l’Assemblée nationale constituante aurait franchement eu l’air malin de manquer une telle occasion. D’abord parce qu’il y a une quasi-unanimité à considérer que l’exercice des droits des citoyens passe également aujourd’hui par l’Internet. Ensuite, protéger cet usage “en ligne” dans la Constitution tunisienne s’inscrit dans le prolongement logique des événements dans cette Tunisie post révolution. Surtout –rappelle-t-il fort justement– avec le rôle qui fut celui de l’Internet dans la révolution du 14 janvier et les plaidoiries de la Tunisie en faveur de l’adoption de la résolution de l’ONU du 29 juin 2012. »

Pourtant, certains avancent que cette consécration constitutionnelle est sans réelle portée, tant elle est, selon eux, inutile dans la Constitution. Tout au plus, il ne s’agit là que d’une mesure médiatique pour, localement, séduire la jeunesse, et, sur le plan externe, faire oublier les débordements salafistes récents ou encore certaines condamnations pénales très lourdes. D’autant plus, toujours selon les mêmes voix discordantes, qu’avant de garantir l’exercice des libertés fondamentales sur l’Internet, encore faut-il commencer par garantir à chaque Tunisien l’accès à ce même Internet.

Face à ces critiques, Habib Khedher, rapporteur général du projet de Constitution, rétorque, avec ironie : « cette mesure protectrice est aussi inutile que l’évocation de la garantie des droits sociaux et économiques dans certains projets des Constitutions occidentales de la fin des années 40 et 50. Et tellement inutiles que nous connaissons aujourd’hui la place qui est devenue celle de ces droits sociaux dans toutes les Constitutions modernes ! Plus sérieusement –ajoute-t-il– protéger l’exercice des libertés fondamentales également sur l’Internet ne change certes pas, sur le moment, les choses en terme de l’accès même à l’Internet ; mais, ceci au même titre que le droit au logement ou le droit au travail qui nécessitent tant d’efforts pour devenir pleinement effectifs. En revanche, sur le moyen et le long terme, garantir l’usage de l’Internet dans la Constitution engage aussi l’État à fournir les efforts nécessaires, selon ses moyens, pour que chaque citoyen ait accès à ce “réseau des réseaux”. Entre-temps –insiste le rapporteur du projet– faut-il ne pas l’oublier, cette garantie dans la Constitution vise d’abord à protéger l’Internet de velléités similaires à celle que nous avons connues sous Ben Ali et dont les Tunisiens ont tant souffert ».

Quant à l’aspect « coup médiatique » du fait d’être le 1er pays à garantir dans sa Constitution un tel usage de l’Internet, Habib Khedher lâche volontiers : « Les coups médiatiques ne se font pas au sein des Constitutions. Ceci dit, nous n’allons pas bouder un certain orgueil de l’avoir fait, et encore moins à rougir du fait d’être le premier pays à protéger cet usage de l’Internet dans notre Constitution. »

 

 

Hélas, ce qui vient d’être relaté est, en partie, une fiction qui n’a rien de journalistique.

Nous ne sommes certes pas le 1er avril, mais pour un 25 décembre, nous nous sommes permis cet écart fictif. Cependant, aussi fictif soit-il, il relève pourtant d’un scénario potentiel, fortement désiré par nombre de Tunisiens. Et pour peu que la constituante fasse preuve de bonne volonté, il n’est pas impossible que la fiction devienne réalité.

En outre, il convient de préciser que tous les faits relatifs à la résolution des Nations Unie sont authentiques (sur ces liens la version arabe et française). Seules les paroles prêtées aux personnalités politiques citées sont fictives tout comme la protection constitutionnelle de l’usage de l’Internet qui n’a jamais, encore, figuré dans le projet de la nouvelle Constitution.

Cependant :

Nous ne désespérons pas de la lucidité des membres de l’ANC à protéger dans la future Constitution tunisienne l’usage de l’Internet. Pour toutes les tendances politiques, il n’y a rien à perdre, mais tout à gagner.

Toutes les Révolutions ont été porteuses, chacune à sa manière, d’innovations constitutionnelles. Depuis l’époque de la « Sahifa de Médine », en passant par la Magna Carta de « Jean sans Terre » ou la Déclaration de 1789, de nombreuses innovations sont devenues avec le temps, du moins dans l’acceptation de leurs principes, le lot commun des Nations.

Innovant en garantissant dans la future Constitution tunisienne le libre usage de l’Internet, s’inscrira sans aucun doute dans l’Histoire comme étant une première constitutionnelle. De même, une telle mesure serait probablement l’une des meilleures façons d’honorer l’esprit de la tradition constitutionnelle tunisienne instaurée par le pacte fondamental de 1857 et la Constitution tunisienne de 1861.

Garantir la liberté d’expression dans la future Constitution tunisienne, c’est si banal, tellement cela va de soi… tellement il est impensable qu’il en soit autrement. Avoir la hardiesse d’aller encore plus loin en protégeant et garantissant l’accès à l’Internet, avec ce que cela suppose en terme d’exercice des libertés fondamentales, c’est cela être innovateur en 2013. C’est de la sorte que l’on répond aussi aux besoins de son temps… à l’abri des ombres des tuteurs du passé.

En sera-t-il ainsi ?

 
Riadh Guerfali (@astrubaal)
http://nawaat.org/
Le mercredi, 25 décembre 2013