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Le messie était donc sous nos yeux. Mehdi Jomâa « al Mahdi al mountadhar » comme l’appellent déjà les facétieux réseaux sociaux, a été chargé samedi par un dialogue national moribond de former le prochain gouvernement de compétences. Technocrate plutôt discret, le quinquagénaire a su se ménager une virginité politique qui lui permet aujourd’hui d’être l’homme par qui Ennahdha opère une sortie de crise politiquement à moindre coût.

Filali plébiscité : comment en est-on arrivé là ?

Jeudi soir, même s’il ne dure que le temps d’un ballon d’essai de 12 heures, le « buzz » Filali n’est pas anodin. Si Ahmed Mestiri a pour lui un long passif de militant insoumis, Mustapha Filali (92 ans) est un authentique destourien dont le conservatisme lui vaut d’être l’invité d’honneur de nombreux meetings Nidaa Tounes où il est considéré comme le « cheikh » du parti.

Cette recherche à tout prix de la figure du sage semble avoir motivé l’accord d’Ennahdha avant que l’intéressé ne se désiste de lui-même. Une unanimité préoccupante qui révèle le degré d’orthodoxie des élites politiques tunisiennes, y compris du Front Populaire qui a appelé de ses vœux cette candidature.

La peur de la trahison, l’obsession d’un Premier ministrable électoralement inoffensif, a en quelque sorte conduit vers une candidature du néant.

L’épisode est à comparer à celui de Jelloul Ayed, en lice jusqu’au bout. Discuter du bien-fondé de la candidature de Filali est en soi pour beaucoup de Tunisiens un affront fait à la révolution de la dignité et de la jeunesse, au même titre que la candidature de l’ultra libéral Ayed, un contre-sens.

Sans le vouloir, la troïka neutralisait cela dit le contre-argument de l’âge avancé qui pesait contre Ahmed Mestiri face à une extrême gauche décidément incohérente.

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Mehdi Jomâa, « tout ça pour ça » ?

Le nom de l’actuel ministre de l’Industrie avait déjà été évoqué une première fois dès le 18 novembre comme alternative envisageable à Ali Larayedh.

Contrairement aux ministres régaliens indépendants mais mêlés malgré eux aux méandres des conflits politiques partisans, Mehdi Jomâa a su rester en retrait, se contentant de rares interviews lors de ses déplacements à l’étranger. Il y apparait comme un défenseur de la révolution et dégage l’image d’une force tranquille, sans fanfaronnades.

De son court mandat à l’Industrie, on sait finalement peu de choses, si ce n’est qu’il s’est timidement opposé à l’exploitation du gaz de schiste : « On ne peut trancher pareille question que si tous les éléments nécessaires sont réunis et dans un climat serein. Le gaz de schiste peut représenter une solution, mais pas toute la solution. Pour le moment, nous n’en sommes pas encore là », avait conclu le ministre.

Quand arrive la seconde itération de son nom samedi, dans les arrêts de jeu du dialogue, le quartet arbitral a pour principal souci de sauver la face. Visiblement embarrassé par des reports à répétition ayant sérieusement entamé sa crédibilité, Houcine Abbassi se saisit de l’occasion d’une solution mitigée et ne met pas son veto, ce qui permet d’éviter la disgrâce d’avoir à annoncer l’échec de 3 mois de gesticulations.

Ce « changement dans la continuité » a cependant un air de déjà-vu. Invoquant la loi organisant les pouvoirs publics provisoires, Ennahdha avait conservé en parti majoritaire la primature au lendemain de l’assassinat de Chokri Belaïd. Même si la donne a changé avec le dialogue national supposé substituer la logique du consensus à la celle de la légitimité, le Premier ministre en place réitère la manœuvre en propulsant à son poste l’un de ses propres ministres.

Là aussi c’est imparable, puisque l’intéressé est cette fois un indépendant. En l’occurrence l’opposition ne peut qu’objecter des spéculations sur le degré de proximité, non avéré, qu’aurait Mehdi Jomâa avec l’actuel pouvoir au terme de 7 mois de collaboration gouvernementale.

Quand arrive le moment de réenclencher le mécanisme controversé du vote, 8 sur 21 partis, dont le Front Populaire, s’abstiennent de voter sur l’option Jomâa. Si Nidaa Tounes claque même la porte prématurément, il y a lieu de penser que le parti de Béji Caïd Essebsi fait officiellement la fine bouche mais se résout en réalité à ce compromis, le seul susceptible de passer face à un vote à l’Assemblée constituante.

Bancal, l’accord risque néanmoins de compromettre par son imperfection l’avenir de la feuille de route, où ce pécher originel ne manquera pas d’être instrumentalisé par l’opposition.

Carton plein pour le pouvoir ?

« Beaucoup de bruit pour rien », se disent aujourd’hui les partisans de la campagne « Errahil », encadrés par un leadership qui a sans doute péché par excès de confiance en exigeant, comme l’a fait cette semaine Béji Caïd Essebsi, un Haut Conseil de l’Etat s’arrogeant tous les pouvoirs et où des personnalités illégitimes auraient pris la place d’une équipe à la légitimité expirée.

Pour Ennahdha, le gain est triple.

L’UGTT sort du dialogue affaiblie, tenue de ne pas parasiter le travail d’un futur gouvernement qu’elle a de facto cautionné.
Nidaa Tounes suspend son adhésion à l’Union Pour la Tunisie. Au terme de ce long marathon couteux pour les nerfs et les égos, l’opposition est décimée par de nouvelles divisions qui feront dire entre autre amabilités à Hafedh Caïd Essebsi « Quand on a des alliés comme al Joumhouri, on n’a pas besoin d’ennemis ».

Enfin, l’épineuse question de la confiance est désamorcée par le choix de Mehdi Jomâa. Promu, celui-ci n’a a priori aucune raison d’être ingrat au point de contrevenir à la légalité du prochain processus électoral au profit de l’ancien régime, principale force crainte par Ennahdha. De surcroît, passée quasi inaperçue, la loi sur la justice transitionnelle a été votée à l’ANC dans la même nuit de samedi à dimanche.

Reste l’avenir immédiat, avec les mouvements de contestation conjoints promis par les LPR et les mouvements salafistes le 17 décembre, où là aussi la famille islamiste élargie a une longueur d’avance dans les préparatifs, ce qui permettra de sécuriser la rue. Jackpot !