Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Mes chers compatriotes,

Il y a longtemps que je souhaite m’adresser à vous avec les mots qui vont suivre. Car j’entraperçois notre avenir commun et j’ai peur de l’horrible tournure qu’il peut prendre.

Mes chers compatriotes,

C’est en tant que Français musulman que je vous parle, exprimant la totalité de mon Moi sans reniement d’aucune des parcelles qui façonnent, je crois, mon identité, et ce, sans doute pour toujours.

Mes chers compatriotes,

C’est de notre pays, la France, et de notre destin commun, l’avenir, que je compte vous entretenir par cette lettre ouverte.

Nous sommes semblables

Mes chers compatriotes,

Il y a longtemps que j’observe ce pays, la France, qui est le mien. Je l’aime tout comme vous. Mais je veux voir les malentendus qui existent entre les communautés musulmanes de France et le reste de la population, et qui gouvernent malheureusement les tendances de ce pays, cesser une bonne fois pour toutes.

Nous sommes tous semblables. Nous naissons, nous vivons et nous mourrons. Nos proches naissent et s’en vont pour l’éternité. Nous cherchons tous la dignité, la liberté et le bonheur. Nous voulons pour chacune de nos familles le mieux que puisse offrir cette vie terrestre.

Nous rêvons de justice et d’équité, au plus profond de nous-mêmes. Nous détestons le mal et la violence dans le fin fond de nos âmes. Nous détestons la douleur en lui préférant la sérénité et la quiétude d’esprit. Nous aimons rire et passer du bon temps. Passion française entre toutes, nous adorons nous laisser aller à des débats et des joutes verbales sans fin.

Nous utilisons les mêmes services (La Poste, SNCF, transports en communs, banques, hôpitaux, organismes d’État…). Nous sommes logés à la même enseigne au regard de l’impôt et des taxes à payer pour aider l’État à faire face à ses dépenses et à redistribuer les richesses. Nous envoyons nos enfants dans les mêmes écoles, qui distillent les mêmes programmes, dans une langue identique qui façonne notre esprit et notre pensée, au-delà de nos différences.

Nous avons en horreur l’égoïsme et le “m’as-tu vu”. L’affirmation excessive de soi et l’ostentation des richesses sont étrangères à nos prédispositions naturelles. Nous aimons la tolérance et le droit à la différence.

Nous sommes la patrie des Droits de l’homme et du citoyen. Nous chérissons la laïcité. Nous œuvrons pour la liberté de culte. Notre devise est Liberté, Égalité, Fraternité.

Et pourtant !

Un dialogue de sourd

Mes chers compatriotes,

D’où vient ce mal qui nous ronge de l’intérieur ? Ne sommes-nous pas tous de la même patrie, la France ? Comment se fait-il que vous ayez peur de l’islam ? Les musulmans, ou les personnes prétendues comme telles, ne cherchent-ils pas à vivre, comme toutes les composantes de la société, dans leur grande majorité, dans le respect des lois de la République ?

Nous vous parlons, vous ne nous écoutez même pas, ce que vous pensez comme étant des principes qui vous gouvernent vous rendant sourds, pour la plupart.

Nous nous justifions, vous n’y voyez généralement que de la mauvaise foi ou un double discours.

Nous vous faisons part de nos malaises avec tant de sincérité, mais cette dernière n’entre à aucun moment en compte dans votre réflexion, pourtant réputée, dans le monde, si cartésienne et objective.

Nous crions à l’islamophobie et à la discrimination, et vous ne faites fondamentalement rien pour changer le cours des choses. Vous ne croyez parfois même pas en l’existence de la première.

Les blessures

Mes chers compatriotes,

Nous sommes parfois blessés par vos attitudes. Non pas que nous délégitimions tout égard horrifié que vous prêtez à tout acte terroriste islamiste qui touche des civils. Avec vous, nous condamnons fermement le terrorisme djihadiste. Clairement, nous ne pensons pas que l’islam appelle à cela. Profondément, nous disposons d’une éthique, musulmane, que nous souhaitons vous faire comprendre si vous en avez seulement l’appétit intellectuel. Et vous démontrer qu’elle est paix et bienfaisance.

Lorsque nous vous disons que des caricatures du prophète le montrant en tant que terroriste nous atteint dans notre identité et dans notre foi, vous répondez “liberté d’expression”. C’est votre droit, je le concède, ainsi que le nôtre. Je la chéris et la défends, cette liberté d’expression, tant qu’elle ne provoque ni illégalité, ni haine. Sauf que, et cela est un fait, beaucoup de ceux parmi les musulmans qui regardaient à la télévision des “Michel” ou des “François” sourire devant un kiosque à journaux, car se languissant de feuilleter un exemplaire de Charlie Hebdo, ont senti en eux-mêmes un désarroi sans fin les envahir à l’idée que leurs amis, leurs compatriotes, leurs frères de nationalité, ne tenaient réellement aucune rigueur de la souffrance que cela leur procurait intérieurement.

Tandis que si certaines de nos jeunes sœurs de religion, mineures, avec leurs familles, vous avaient exprimé leur attachement à leurs symboles religieux et vous avaient expliqué que selon elles, elles respectaient totalement, en arborant un voile islamique à l’école, la loi de 1905, ce qui avait été confirmé par l’avis du conseil d’Etat de 1989, vous auriez appuyé en retour le changement de la loi en 2004, pour l’adapter, tout le monde le sait, au contexte de la présence importante d’un islam de France, et ce, au mépris des recommandations allant dans le sens contraire et émises à posteriori, dans son rapport de 2007, par le Comité des Droits de l’Enfant chargé de faire appliquer les clauses de la Convention internationale des Droits de l’Enfant sous l’égide de l’ONU que notre pays, la France, a ratifiée. Je vous rappelle que l’une de ses clauses stipule ce qui suit : “Les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion” (Art. 14, par. 1). Défendant le principe de la neutralité religieuse de l’enfant, au contraire de ce qui était prévu par la loi de 1905, et qui ne visait que la neutralité de l’Etat et de ses agents, vous dénaturiez ce que l’Histoire avait produit, résultat d’une dialectique entre défenseurs du concordat de 1801 et ceux du dépassement de celui-ci.

Quand la justice donne raison à une employée licenciée injustement de son lieu de travail (une crèche associative privée) parce qu’elle refusait d’enlever son foulard, vous soutenez un nouveau changement de loi, cette fois du Code du travail, au mépris d’une cohérence intellectuelle qui est pourtant si importante pour l’évolution vers le mieux d’une République égalitaire et afin que l’attachement que l’on doit avoir envers elle se noue véritablement dans les cœurs et dans les esprits de tous.

Si nous avons l’envie de bénéficier de la liberté de culte pour construire nos propres mosquées, voici que vous en freinez parfois l’avancement par des chicaneries judiciaires, ainsi de celle prévue depuis des lustres à Marseille et dont la première pierre n’a été posé que tout récemment. Pourtant, vous réclamez la fin de l’islam des caves.

Autre chose ? Elle est la pire, de mon point de vue. Dès lors que nous nous efforçons de respecter les règles de la démocratie et de l’Etat de droit tout en agissant selon notre propre éthique musulmane, nous sommes accusés de faire de l’entrisme. Or nous sommes là. Nous sommes vos compatriotes. Nous usons de ce que le droit nous permet pour défendre notre point de vue et participer avec vous au cours de l’Histoire de France. Serait-ce donc en vain, tout cela ?

Les problèmes au sein de la communauté musulmane (ou prétendument comme telle)

Mes chers compatriotes,

Oh ! N’allez pas croire que je nie les problèmes et les points négatifs présents dans notre communauté ! Et ne pensez pas que je les dissimule !

Je suis au courant du fait qu’une grande partie des prisonniers de France sont musulmans ou de culture musulmane. Cela, je ne le mets nullement sur le compte d’une essence islamique qui n’existe pas en tant qu’émanation d’actions quotidiennes lambda (travail, loisirs, achats, habitation, associations…). Car s’il y a une essence islamique, ce qui reste à prouver et qui, au final, n’est que du fait de celui qui se dit musulman, elle ne résiderait que dans la foi, qui est de l’ordre de l’intime même si d’elle naissent des projets et des actions, des attitudes et des habitus, des rites et des croyances. Il s’agit plutôt, dans cet état de fait, de la résultante du fait que les populations de culture musulmane sont les plus pauvres de France puisqu’il est prouvé scientifiquement que les manquements à la loi sont les plus répandus parmi les parties de la société les plus défavorisées.

Je sais que certains n’entre les musulmans versent dans le terrorisme ou l’action djihadiste. Je dis, par rapport à cela, qu’ils ne reflètent nullement la quasi totalité de l’islam de France et de ses adeptes. Les musulmans aspirent à vivre en paix et en harmonie avec leurs voisins, quelle que soit leur religion (ou leur absence de religion). Et nous condamnons fermement le terrorisme qui se caractérise par des tueries de civils, d’où qu’il vienne.

Grâce à notre vie en France, nous découvrons les joies de la liberté d’expression et de la tolérance. Nous nous sentons légitimes à exprimer nos avis qui ne sont pas monolithiques au sein des musulmans. Loin de là ! Mais parfois, cela est vrai, nous nous complaisons, sans remise en question et de prise de distance d’avec nous-mêmes, dans la posture victimaire. J’appelle donc tous les musulmans, s’ils lisent cette lettre, à s’intéresser réellement à leurs compatriotes non-musulmans. Et à chercher à les connaître, avec respect et sans complexe de supériorité (la foi) ou d’infériorité (les discriminations).

L’espoir en l’avenir

Mes chers compatriotes,

Même si je vous ai adressé cette lettre, elle est en réalité à destination des élites de ce pays, pensantes et agissantes. Car je sais, fondamentalement, que vous êtes tolérants dans votre vie quotidienne. Je le vois tous les jours, dans le côtoiement de vos destins. Que cela soit le fait d’une aimable dame qui voyage, le temps de quelques heures, à mes côtés dans un train, ou bien la commerçante souriante du coin. Ou encore le conducteur de car public qui me conduit à mon lieu de travail et l’agent de police me renseignant quand je cherche mon chemin. Parmi tous ces Français non-musulmans que je rencontre, et d’autres, je ne lis aucunement, dans leur regard, une peur de ce que je représente ou de ce que je suis. Au contraire, une connivence de cœur et d’esprit semble possible dès lors que la barrière du silence est rompue pour laisser place à un dialogue courtois et généreux, en français, notre langue commune.

Ceux que je vise donc, ici, ce sont les hommes politiques et leurs cultures du sondage. Ainsi que les responsables de presse et leur néfaste régularité à faire paraître des Unes chocs sur l’islam, cela afin d’appâter le badaud marchant paisiblement dans nos villes où il rencontrera forcément l’une des affiches les présentant sur les devantures des kiosques. J’avoue que j’en suis aussi, de ces badauds, et que je les achète ces numéros de presse. Par faiblesse sans doute, ou encore pour mieux vous connaître et ressentir les peurs que vous ressentez et que je sens sincères en vous.

Mes chers compatriotes,

Je vous en prie, il en va de l’avenir même de nos enfants qui vivront “dans le même bateau”. Engageons le dialogue ! Essayons de nous comprendre mutuellement ! Construisons des ponts entre nous ! Afin qu’un passé, pas si lointain que cela, ne risque aucunement de se représenter à nous à l’avenir, ne serait-ce que par le simple petit bout de son nez.