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Image originale par Ben Husmann, remixée par nawaat

La dette publique [1] d’aujourd’hui n’est autre que les taxes de demain [2]. Sauf que demain nous ne serons pas tous ici pour payer des taxes afin de rembourser cette dette. Et comme la dette doit être payée alors d’autres personnes, qui n’étaient pas présents lors de la contraction de cette dette, vont être appelées à contribuer, via des taxes, aux efforts de remboursement. L’impact du niveau actuel d’endettement sur le bien-être des générations futures ne dépend pas du niveau de la dette per se, mais dépend plutôt de son effet sur la productivité future. En effet, selon ce que nous faisons aujourd’hui avec cette dette, les générations futures vont essentiellement se retrouver dans l’un des deux cas suivants :

Premier cas : si nous utilisons cette dette pour accroître, dans le présent mais aussi dans le future, notre capacité de créer des richesses en accumulant plus de capital productif (autoroutes, hôpitaux, usines, etc.) alors, dans ce cas, la taxe sera pleinement justifiée et les générations futures n’auront pas à se plaindre [3]. Ceci parce que leur bien-être sera meilleur que si nous n’avions pas fait le choix, aujourd’hui, de contracter cette dette. Justement, si nous construisons des hôpitaux que nous allons laisser par la suite à nos enfants, alors ces derniers, en ayant en moyenne un niveau de santé (et donc de productivité) meilleure que le notre, vont penser, peut être, à construire des théâtres. Mais si nous ne construisons pas d’hôpitaux aujourd’hui, les générations futures doivent les construire eux même, et donc ne pourront pas, éventuellement, construire des théâtres.

Deuxième cas : le problème c’est lorsque la dette que nous contractons aujourd’hui n’est pas dépensée pour booster la productivité. En effet, elle peut par exemple nous induire dans l’illusion d’être plus riche, ce qui nous conduit à augmenter notre consommation finale au détriment de l’investissement. Dans ce cas, en plus de ne pas avoir servie à accroître l’appareil productif que nous allons léguer aux générations futures, la dette publique va faire en sorte que ces derniers ne pourront probablement pas construire ni les hôpitaux ni les théâtres! Ainsi, il est clair que dans ce cas la dette publique que nous contractons aujourd’hui va léser ceux qui vont venir parce que nous avons consommé, aujourd’hui, une partie des revenus que ces derniers vont créer demain. De plus, nous leur avons probablement transmis une économie moins génératrice de croissance et moins efficiente à cause des distorsions induites par un niveau élevé de taxes.

Peut-être qu’un lecteur initié remarquerait l’importance de faire la distinction ici entre la dette publique détenue par les Tunisiens eux-mêmes et celle détenue par des étrangers. Dans le premier cas, sous certaines conditions, le niveau de la dette publique ne lèse [4] pas nécessairement les générations futures puisqu’il s’agit d’un jeu à somme nulle. Justement, ces derniers vont hériter la dette mais ils vont hériter aussi les flux de revenus que va générer cette dernière. C’est la partie de la dette qui est détenue par des étrangers qui pose problème. En effet, cette partie de la dette signifie qu’une fraction du PIB qui va être produite dans le futur sera systématiquement transférée à l’extérieur sous forme de payements du principal et des intérêts.

Il me semble que c’est exactement ce dernier cas de figure qui est en train de se produire actuellement en Tunisie. En effet, le recours de plus en plus systématique du gouvernement à l’endettement extérieur, notamment auprès des institutions comme le FMI ou la Banque Mondiale devient assez problématique. Ceci non pas parce qu’il y a un quelconque plan occulte ayant pour objectif d’asservir la Tunisie et les Tunisiens [5], mais plutôt parce que l’objectif de cette dette (qui est bien sûr contractée en devise !) est de payer des salaires et non plus d’accroître les investissements afin de booster la productivité. Donc, en plus de l’injustice commise à l’égard des générations futures, cette situation de surendettement « non-productif » n’aura réussi qu’à amplifier les pressions inflationnistes.

Je comprends que nous traversons actuellement une période assez délicate de notre histoire, et qu’une bonne partie de cette dette a été, à priori, utilisée pour stimuler l’économie nationale. Mais la délicatesse de la situation n’est pas une excuse pour fermer les yeux sur les risques inhérents à cette situation. Surtout si l’on sait que la manière dont on gère actuellement la dette publique, que nous le voulions ou pas, définie, en grande partie, la croissance de demain. Donc, si on ne le fait pas pour nous, pensons au moins à nos enfants et à nos petits enfants !

Notes

[1] : Lorsque j’ai commencé à écrire cet article, j’avais l’intention de faire une analyse bien illustrée avec des données concernant la dette publique de la Tunisie. Mais après quelque recherche, je me suis rendu compte que Mehdi Khodjet El Khil avait fait une très bonne analyse bien illustrée. Donc, j’ai décidé de changer mon approche et je renvois ceux qui désirent plus de détails à ces deux articles disponibles ici et ici.

[2] : Il s’agit du principe de l’équivalence ricardienne énoncé pour la première fois par l’économiste David Ricardo.

[3] : La satisfaction des générations futures de notre décision de contracter aujourd’hui une dette va dépendre des gains générés suite à l’octroi de cette dette. En d’autres termes, nos enfants et nos petits enfants vont comparer les gains qu’ils ont obtenus aux taxes qu’ils vont payer.

[4] : Le seul cas où la dette publique détenue par des résidents influence négativement le bien-être des générations futures c’est lorsque cette première cause une baisse de productivité en faisant baisser les investissements par un effet d’éviction.

[5] : La théorie du complot est un sujet qui fascine la plèbe. Personnellement, je pense qu’il doit y avoir une explication rationnelle à cet engouement irrationnel. Par exemple, au lieu de reconnaître que le problème est essentiellement en nous, je pense qu’il est beaucoup plus facile, mais surtout plus rassurant, d’imputer le malaise économique actuel de la Tunisie à des forces occultes (FMI, BM, etc.) qui, avec la complicité du gouvernement, cherchent à nous réduire en esclavage. De ma part, je n’adhère pas à ce genre d’explication. Pour moi, ces instituions sont à la base des banques. Et l’objectif ultime d’une banque c’est de rentabiliser ses fonds. Donc, lorsque l’FMI impose des plans d’austérités drastiques aux pays en difficultés, son but ce n’est pas de le ruiner même si cette politique signifie plus de souffrance au niveau global. Peut-être que je m’étalerai davantage sur ce sujet dans un autre billet.