Chadly Ayari, gouverneur de la Banque Centrale et Elyes Fakhfekh, ministre des finances. Crédit image : Leaders.com

L’évidence que les banques publiques ont besoin d’assainissement fait aujourd’hui l’unanimité entre les différents acteurs du milieu économique. Ce qui pose problème c’est la manière dont cet assainissement devrait se faire. Un full-audit a donc été lancé afin de déceler les problèmes financiers comme les défaillances au niveau du système d’information et même au niveau des ressources humaines. Cet audit aboutira à une restructuration. Plusieurs éléments montrent que la restructuration des banques publiques ne se fait pas actuellement de façon indépendante et objective, ce qui met en danger l’aboutissement de ce chantier.

Au début du mois de septembre nous avons appris de nos sources, que Chedly Ayari, Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) a envoyé une lettre à Elyes Fakhfakh, Ministre des Finances, pour l’informer de l’arrivée en Tunisie, au cours du mois de septembre, d’une nouvelle délégation du FMI. Elle devait rencontrer les cabinets d’audit et de stratégie chargés des full audits des banques publiques. Dans un communiqué publié le 26 septembre 2013 sur le site de FMI, Amine Mati, chef de la délégation du FMI en Tunisie, a affirmé que la délégation qui était en Tunisie entre le 11 et le 25 septembre, “s’est également entretenue avec des représentants du secteur bancaire…”.

Certes, comme l’explique un article publié précédemment sur nawaat, afin de répondre aux exigences du FMI et de la Banque Mondiale, la désignation des auditeurs des banques a du se faire dans des circonstances tumultueuses. Mais maintenant que l’audit a commencé, les institutions financières internationales devraient laisser ces bureaux travailler indépendemment pour que l’audit arrive vraiment à déceler les défaillances de ces banques. Ce n’est que de cette façon que les autorités tunisiennes pourront prendre les meilleures décisions possibles quant à l’avenir de ces institutions. Sauf que les prises de contact du FMI avec les bureaux d’audit laissent penser que le FMI cherche à faire de la pression pour orienter la restructuration des banques vers des choix prédéfinis. Il a d’ailleurs fait de la pressions pour orienter la restructuration de banques dans plusieurs pays européens et africains.

Selon une autre source de la Banque de l’Habitat, Chedly Ayari exercerait lui aussi des pressions sur les conseils d’administration des banques publiques pour que les résultats préliminaires de l’audit soient prêts le plus tôt possible alors que pour des raisons techniques l’audit devrait prendre des mois.

Le 10 septembre, Elyes Fakhfekh a déclaré lors d’une émission télévisée sur Watanya 1, que les résultats préliminaires de l’audit seraient déjà prêts malgré le fait que l’audit de la BNA a commencé en retard. Afin de distinguer mensonges et vérités, nous avons contacté par courrier électronique Laurent Gonnet, spécialiste senior du secteur financier de la Banque Mondiale qui suit l’audit des banques publiques de très près. A notre grande surprise, il a démenti ce que Elyes Fakhfakh, ministre des finances a déclaré la veille. Selon Laurent Gonnet, l’audit est toujours en cours, nous répond-il dans un autre courrier. Il est encore trop tôt, a-t-il jugé pour avoir des données, surtout que l’audit de la BNA n’aurait selon lui toujours pas commencé. Quant à l’estimation de la somme nécessaire à la restructuration des banques publiques qui serait budgétisée dans la prochaine loi des finances, elle n’aurait pas pu être évaluée en se basant sur les résultats de l’audit, mais plutôt sur la base d’estimations faites depuis 2012.

Par contre, ce qui a vraiment attiré notre attention dans la réponse de Laurent Gonnet, c’est qu’il nous a déclaré que de toute façon la Banque Mondiale n’a pas accès aux résultats de l’audit. Sachant que la Banque mondiale à déjà exposé au ministre des finances des propositions pour restructurer les banques publiques, nous nous demandons sur quelles données s’est basé la Banque Mondiale pour orienter sa proposition ? La Banque Mondiale essaierait-elle donc d’imposer encore une fois l’une de ses solutions préconçues sans attendre le résultat de l’audit ? Pire encore ! Lorsque nous avons demandé à Laurent Gonnet de nous communiquer les documents qui ont été présentés à Fakhfakh, il nous a répondu d’abord qu’il ne peut malheureusement pas donner de suite favorable à notre demande. Il nous a déclaré que c’est le ministère des finances qui est le commanditaire de ce travail, et qui en est aussi désormais le propriétaire exclusif. Il lui appartient de décider si oui ou non ce rapport pouvait être rendu public. Heureusement, il nous avait promis de demander au Chef de cabinet si la Banque Mondiale pouvait les divulguer. Sauf que quelques temps plus tard, Laurent Gonnet nous a répondu que “les documents qui sont entre les mains du Ministère des Finances sont des documents de travail et n’ont à mon avis pas vocation à être diffusés”. Pourtant, le premier principe directeur de la nouvelle politique d’accès à l’information de la Banque Mondiale est de “porter à son maximum l’accès à l’information”. De plus que les informations que nous avons demandées n’entrent pas dans la liste exhaustive des exceptions.

La mauvaise gouvernance et le manque de transparence sont considérés comme les principales défaillances structurelles des banques publiques. Il est ironique de voir aujourd’hui les acteurs chargés de la restructuration de ces banques suivre la même politique basée sur l’opacité des processus de prise de décision et l’infraction des lois et des chartes.