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Depuis que la troïka, plus précisément Ennahdha, a tenu le pouvoir, au lieu de s’attaquer à la corruption qui gangrène le pays et de se concentrer sur l’écriture de constitution, Ennahdha s’en prend à un ennemi qui n’est point vulnérable et entre gratuitement et bêtement en guerre contre les médias, les traitant de « médias de la honte » (i3lem el 3ar) parce que – selon elle – tous les médias qui n’ont pas manifesté un minimum d’allégeance pour le parti au pouvoir sont considérés comme des traîtres à la révolution, à la démocratie, au choix du peuple et surtout à la fameuse légitimité !

Au mois de mars 2012, trois mois après la nomination du gouvernement, Ennahdha ne perd pas trop de temps pour mobiliser ses supporters pour aller revendiquer le départ des anciens journalistes de la télé qui seraient – selon elle – non professionnels et appartiendraient au paysage médiatique de l’ancien régime. Etant le seul média public, Ennahdha veut mettre la main dessus pour pouvoir le manipuler selon ses orientations politiques, puisque le parti au pouvoir n’a pas de machine médiatique puissante et populaire qui puisse faire l’équilibre avec les médias privés, qui lui paraissent partiaux dans leurs lignes éditoriales. Ce sit-in a été marqué par la présence d’Ansar Chariâa avant qu’il « devienne » un organisme terroriste ! Aussi par quelques figures des LPR et des jeunes sympathisants du gouvernement de la troïka. Cela a duré plus de deux mois, marqués par le harcèlement des journalistes, qui ont été grossièrement insultés et agressés jusqu’au jour où le ministère de l’Intérieur a décidé de disperser le sit-in « à l’amiable ».

Au mois de juillet 2012, l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC), présidée par Kamel Laabidi, décide de s’auto-dissoudre, accusant le gouvernement de contrôle de l’information. Cette auto-dissolution a été suivie par un communiqué de la présidence du gouvernement rappelant aux médias qu’elle ne bénéficiait pas d’une couverture médiatique digne d’un gouvernement élu.

Quelques mois après, Imen Bahroun a été nommée par le gouvernement de Jebali PDG de la télévision nationale 1 et 2, ce qui a engendré une colère des journalistes, qui ont vu que cette nomination était dépouillée et l’ont considérée comme une intervention dans les affaires de la presse.

En septembre 2012, Lotfi Touati est nommé PDG de Dar Assabah, ce qui suscite une polémique en raison de ses liens avec le régime déchu. Les journalistes entament une grève de la faim, l’établissement entre dans une grève ouverte et s’abstient de sortir le journal dans les kiosques pour revendiquer la révocation de Lotfi Touati de son poste à la direction de Dar Assabah et la liberté de la presse.

Entre temps, on ne cessait d’agresser les journalistes verbalement dans l’hémicycle de l’ANC, de les faire tabasser par la police ou par les milices des LPR à chaque fois qu’ils sortaient en mission lors des émeutes, sans compter les menaces de mort répétées qui sont devenues leur pain quotidien sans que les autorités prennent les mesures nécessaires pour arrêter cette violation en crescendo de la liberté de la presse et de l’intégrité physique des journalistes.

Encore pire, les élus de la troïka ont tenté d’élaborer des projets de loi visant à rétrécir la liberté de la presse, comme celui proposé par le CPR qui tend à saper la protection des sources, limiter les sujets que les journalistes pourront aborder, etc., au lieu d’activer les décrets-lois 115 et 116.

Tahar Ben Hassine, propriétaire de la chaine Al Hiwar Ettounsi, est convoqué le 13 septembre 2013 par le tribunal de Beb Bnet pour incitation au « changement de régime », ce qui est – selon la loi de Ben Ali – une haute trahison qui mérite la peine de mort. Radio Tataouine a été surprise par une nomination gouvernementale d’un directeur qui n’a aucun rapport avec la presse. Zouhaier El Jiss a été convoqué lui aussi par le procureur de la République pour diffamation de la présidence. Et finalement, Zied El Heni a été convoqué par le juge d’instruction puis arrêté pour diffamation aussi.

Visiblement, ces derniers temps, les journalistes sont dans le viseur de l’Etat, le ton se durcit de plus en plus, et sinon, selon la logique des nahdhaouis, les journalistes n’ont pas de quoi s’indigner. Ils ne mâchent pas leurs mots, n’hésitent pas à dénoncer toutes sortes de dépassements et parfois, voire souvent, manquent de respect aux figures emblématiques du gouvernement, critiquent violemment les institutions légitimes de l’Etat et par conséquent affaiblissent la soi-disant « démocratie naissante » que la troïka est en train d’instaurer.

Désormais, les journalistes qui gênent sont considérés comme une menace pour la sécurité nationale, au même titre que le terrorisme.

L’économie va très mal : baisse de la valeur du dinar tunisien, baisse du pouvoir d’achat, hausse des prix des produits alimentaires, prise de mesures très impopulaires vis-à-vis de l’assassinat de deux figures emblématiques de l’opposition tunisienne, etc. En même temps, le temps presse et la pression augmente, que ce soit de la part des partisans d’Ennahdha ou de ceux de l’opposition, pour finir la constitution et la période transitoire et appeler à des élections législatives et présidentielles, ce qui pousse Ennahdha à entamer une campagne électorale très prématurée basée essentiellement sur l’évincement de tout ceux qui dérangent leur propagande et de ceux qui divulguent leur incapacité et leur échec à gérer le pays, à instaurer la sécurité, à arrêter les terroristes, etc.

De son côté, le syndicat des journalistes tient toujours à élever une vive protestation contre les obstructions et les mesures répressives prises par le gouvernement à l’égard de la presse, à travers les grèves générales qu’il organise. Mais ce processus semble malheureusement et malgré tout inefficace devant cette stratégie bien organisée visant à museler la presse.