Conference Lotfi Ben Jeddou assassinat Belaid Brahmi

Lors d’une conférence de presse, tenue aujourd’hui mercredi 28 août à midi, le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, a présenté les résultats de l’enquête et les preuves qui confirment l’implication du mouvement Ansar Al Charia dans les assassinats politiques de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi, dans des trafics d’armes en Tunisie, ainsi que dans les attentats du mont Chaâmbi, de la Goulette et de Mhamdia.

La conférence fait suite à l’allocution coup de tonnerre du Premier ministre, Ali Laarayedh, hier mardi 27 août, durant laquelle il a officiellement classé Ansar Al-Chariaa comme organisation terroriste en déclarant :

À partir de maintenant, toute personne appartenant à cette organisation [Ansar Al-Chariaa] en sera tenue responsable devant la loi.

Ansar Al-Chariaa lié au groupe terroriste Okba Ibn Nafaa et à AQMI

Le ministre de l’Intérieur a, pour sa part, indiqué que les investigations avaient notamment établi que le mouvement Ansar Al-Chariaa et la phalange Okba Ibn Nafaa, opérant au mont Chaambi, avaient des liens avérés avec le réseau Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Grâce au bombardement des fiefs terroristes au mont Chaambi par les militaires, plusieurs éléments dangereux, qui fournissaient une aide logistique aux terroristes, ont pu être arrêtés.

D’autres personnes qui fournissaient aux terroristes l’aide logistique ont reconnu qu’il y avait une relation directe entre Ansar Al-Chariaa et le groupe Okba Ibn Nafaa a déclaré le ministre

Mohamed Habib Omri et Ahmed Mbarki, deux personnes impliquées dans les actions et détenues par la police, qui font partie de Ansar Al-Chariaa, ont ainsi confessé l’existence de cette relation étroite entre Ansar Al-Chariaa et Okba Ibn Nafaa. La présence de Kamel Gadhgadhi, tueur présumé de Chokri Belaid, et Boubaker Hakim au mont Chaambi, avant leur fuite, et l’implication de ce dernier dans l’assassinat de Mohamed Brahmi, confirment également ces liens.

M. Ben Jeddou a ajouté que :

La relation entre Katibat Okba Ibn Nafaa et AQMI est prouvée puisqu’ils reçoivent les directives de la part de Abou Mousaab Abdelwadoud, l’un des leaders d’Al Qaida.

Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur avait déjà annoncé, le 6 août dernier, que 46 personnes appartenant à cette cellule liée au réseau d’AQMI avaient été appréhendées.

Le ministre a cependant indiqué qu’à l’heure actuelle :

Il [était] impossible de confirmer l’implication d’un pays étranger.

L’aile secrète d’Ansar Al-Chariaa, main armée du terrorisme en Tunisie

C’est l’arrestation récente d’un groupe d’individus à Hammam Chott qui a dévoilé l’existence d’une aile secrète d’Ansar Al-Chariaa chargée de recueillir des informations, de désigner les objectifs et de mettre en place des opérations d’assassinat ou des opérations terroristes. Une découverte qui, comme le souligne le ministre, confirme définitivement l’implication de l’organisation Ansar Al-Chariaa, avec, à sa tête, Seifallah Ben Hassine plus connu sous le nom d’Abou Iyadh, dans le terrorisme sévissant en Tunisie.

Engageant les parties à ne pas dramatiser ni minimiser la portée de ce phénomène, le ministre de l’Intérieur a souligné que :

Les listes des individus impliqués dans le terrorisme sont désormais fixées, et le nombre de ceux qui sont en prison est supérieur à celui qui se retranche au mont Chaâmbi.

Si le secret de l’enquête ne permet pas de présenter toutes les preuves au public, le ministre affirme cependant qu’un équilibre sera trouvé entre le droit à l’information et la nécessaire confidentialité de l’action des forces sécuritaires.

Lotfi Ben Jeddou a précisé que :

les vérités révélées s’appuient sur des enquêtes, des preuves irréfutables, des aveux, qu’il faut prendre tels qu’ils sont, sans instrumentalisation.

Le ministre a cependant voulu rassurer l’opinion publique en promettant que la lutte contre le terrorisme n’allait pas influer sur l’action et le déploiement des forces de sécurité pour assurer la sécurité des Tunisiens, indiquant que le niveau de lutte contre le crime était élevé.

S’adressant aux forces de l’ordre, il les a exhortées :

à ne pas traiter les gens selon leur apparence vestimentaire, à ne pas leur imposer des restrictions dans la pratique de leur culte et à appliquer la loi dans le respect des droits de l’Homme et des règles d’intégrité physique et morale

Enfonçant le clou planté par le Premier ministre, la veille, Lotfi Ben Jeddou a confirmé que toute appartenance ou action de soutien à Ansar Al-Chariaa serait désormais considérée comme un acte criminel qui donnera lieu à des poursuites judiciaires.

Exhortant les partisans du groupe extrémiste à en quitter les rangs, le ministre de l’Intérieur a néanmoins, dans une volonté de ne pas stigmatiser tous les salafistes, adjuré toutes les parties à se conduire avec :

une grande prudence et sans restrictions envers les enfants du pays qui ont le droit à la diversité et à la liberté de culte. […] Nous sanctionnons des actes et non une doctrine.

Concernant le volet des archives du ministère de l’intérieur, notamment celles de la police politique, Lotfi Ben Jeddou a exprimé sa volonté de les rendre publiques tout en soulignant que cette mesure ne pourrait être effectuée qu’avec l’assurance d’un cadre légal adéquat garantissant la préservation des données personnelles.

Le ministre a par ailleurs appelé toutes les forces politiques à poursuivre le dialogue afin de sortir le pays de cette crise politique et économique, et tous les citoyens à assister les forces de l’ordre dans cette lutte contre le terrorisme.

Un coup d’État pour l’instauration d’un émirat islamique avorté

En seconde partie de la conférence, la parole a été donnée à Mustapha Taeib Ben Amor, directeur général de la sécurité intérieure, et à Mohamed Ali Araoui, porte-parole du ministère de l’Intérieur pour révéler, dans une présentation par PowerPoint, les données et preuves des investigations menées dans le cadre des affaires terroristes en Tunisie.

De nombreux éléments ont ainsi été présentés : enregistrements (conversation par Skype, etc ), photos, vidéos, e-mails, documents retrouvés dans les locaux perquisitionnés (habitations et dépôts d’armes), ainsi que les identités, notamment de Mohamed Akkeri, et aveux de terroristes appréhendés, dont certains sont âgés d’une vingtaine d’années à peine. Parmi ces derniers, plusieurs auraient bénéficié d’une grâce présidentielle, malgré leur implication dans des affaires de terrorisme sur le plan international.

Le porte-parole du ministère de l’Intérieur a ainsi soutenu que l’enquête avait permis d’établir que :

Ansar Al-Chariaa dispose d’une aile militaire qui cherche à s’emparer du pouvoir par la force », ajoutant que, « les investigations ont permis d’établir des vérités indéniables, sur la base d’aveux, de preuves irréfutables, qu’il existe des liens étroits entre les affaires d’assassinat des deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, l’entrée des armes dans le pays et les éléments retranchés au mont Chaambi

Toujours d’après Mohamed Ali Araoui, c’est grâce à des opérations préventives que les forces de sécurité ont réussi à déjouer des opérations terroristes dans plusieurs régions du pays. Il a ainsi été révélé que des institutions influentes avaient été choisies par Ansar Al-Chariaa comme des cibles potentielles, pour commettre près d’une cinquantaine d’attaques terroristes ; avec comme objectif ultime la planification d’un coup d’État pour l’instauration d’un émirat islamiste.

La société Air Liquide, leader mondial des gaz pour l’industrie, la santé et l’environnement, située dans la zone industrielle de Charguia II, à Tunis, faisait ainsi partie des cibles.

Le directeur général de la sécurité intérieure, Mustapha Taeib Ben Amor, a également dévoilé la liste de personnalités publiques (politiques, journalistes, artistes, etc.) menacées d’assassinat et qui comprend : Naoufel Ourtani, Sofiène Ben Farhat, Lotfi Amari, Haythem Mekki, Maya Jribi, Amer Laâridh, Mustapha Ben Jaâfar, Mongi Rahoui, Slaheddine Zahaf, Khemaïs Ksila, Selma Baccar, Taeïb Baccouche, Ferid Beji, Olfa Ben Youssef, Wided Bouchamaoui, Lina Ben Mhenni et son frère Faouzi Ben Mhenni, Nouri Bouzid et Mohamed Talbi.