La correspondante du Point.fr, Julie Schneider, agressée par la police alors qu’elle couvrait les manifestations du 9 Avril 2011. La police avait fait un usage excessif de la force, notamment contre des journalistes tunisiens et étrangers dont plusieurs avaient été physiquement agressés.

Rares sont les manifestations qui ont lieu en Tunisie durant lesquelles les journalistes ne sont pas victimes de violences de la part des citoyens comme des forces de l’ordre. Depuis des mois maintenant des formations et des rencontres ont lieu pour que forces de l’ordre et professionnels des médias comprennent leurs tâches respectives et travaillent ensemble sur le terrain sans violence.

En se fiant à nos rapports on voit que le plus grand taux de violence vient des forces de l’ordre. Pour moi il s ‘agit de toute une culture à changer. La culture de la police doit être celle du respect des droits de l’Homme affirme avec force Ahlem Bousserwel du CTLP.

Depuis le mois de novembre 2012 le Centre de Tunis pour la liberté de la presse a mis en place un observatoire des violences faites aux journalistes. Chaque mois les chiffres varient, mais pas un mois ne se passe sans que des journalistes soient victimes de violences de la part des forces de l’ordre.

Et pour « changer la culture de la police », des ateliers de discussions et des formations ont lieu en Tunisie. Dont notamment un programme mis en place par le DCAF (Democratic Control of Armed Forces) et par l’UNESCO.

Mehdi Benchelah, chef du bureau de projet de l’UNESCO à Tunis explique que le programme à l’intention du ministère de l’Intèrieur se fait sur deux volets :

– former les forces de sécurité à la liberté de la presse et à la sécurité des journalistes ;
– établir un Code de conduite pour les forces de sécurité dans leurs relations avec les journalistes.

Le travail se fait à l’attention des deux publics : les forces de l’ordre et les journalistes.

“Nous fournissons des expertises sur les mesures de procédures à observer dans les relations avec les journalistes. Notre travail est d’apporter une expertise institutionnelle en identifiant les bonnes pratiques : comment dans d’autres pays ces relations sont traitées ; documenter ces pratqiues et accompagner le MI dan la mise en place de son propre manuel de procédure et veiller à ce que le tout réponde aux normes des standards internationaux”, explique Haykel Ben Mahfoudh du DCAF.

Des rencontres entre forces de l’ordre et journalistes pour établir un dialogue

Le programme a débuté en janvier 2013 et se poursuit jusqu’au mois de septembre. Il concerne des formateurs des différents corps des forces de sécurité : la garde nationale, la police, la protection civile. Des formations qui ont lieu dans les différents centres de formation des forces de l’ordre du pays : Bizerte, Kairouan, Sousse, Salambo.

Des journalistes sont également invités à prendre part aux rencontres. Sana Ben Farhat, qui travaille pour le quotidien Le Temps, a assisté à une de ces formations au début de l’année. Elle avoue y être allée par curiosité :

La formation avait lieu à l’école des officiers de Salambo. Je n’avais jamais mis les pieds dans un lieu appartenant au ministère de l’Intérieur, j’avais envie de voir à quoi ça ressemblait.

« Ce type de projet permet d’avancer dans la bonne direction. Ce qui est important c’est l’envie des partenaires avec lesquels on collabore. Le ministère sait qu’il y a des tensions et s’engage pour commencer et poursuivre la formation », témoigne Mehdi Benchelah de l’UNESCO.

Il n’y a pas encore de culture de l’échange en Tunisie, selon Haykel Ben Mahfoudh du DCAF, qui estime qu’il faut apporter des changements et que le travail fait va dans ce sens : « Ce programme permet d’aider le ministère de l’Intérieur à avoir un dialogue. »

Blessée aux cervicales par des policiers lors d’une manifestation d’universitaires en janvier 2012, Sana Ben Farhat souffre toujours de sa blessure et était, de fait, concernée par cette formation. Elle raconte une journée qui a permis de créer un dialogue :

 Chacun était assis dans son coin, les forces de l’ordre d’un côté et les journalistes de l’autre. La tension était très forte, chacun accusait l’autre. Puis au fur et à mesure de la journée il y a eu des échanges et des explications.

Chokri Hamada, porte-parole du Syndicat des forces de sécurité intérieure, est enthousiaste. Pour lui la formation est primordiale :

Avant 2011 il n’y avait aucune formation sur les relations entre forces de l’ordre et journalistes. Or c’est par là que tout passe. Quand les journalistes sont sur le terrain on doit les prendre en compte. Aujourd’hui toutes les libertés sont ouvertes, le journaliste a le droit de travailler et le citoyen a le droit d’être informé.

Via les formations et les échanges les policiers et les journalistes se familiarisent au travail et aux contraites de chacun. Des recommandations ont été données aux journalistes :

“On nous a conseillé de prendre contact avec le chef de l’opération sur le terrain, de se présenter, de discuter avec les forces de l’ordre, de demander leur timing et de se retirer quand les forces de l’ordre chargent… mais dans la réalité c’est difficile. Surtout que quand tu es journaliste tu ne peux pas partir quand il se passe quelque chose, tu dois rester !”, explique Sana Ben Farhat.

Un Code de conduite pour les forces de l’ordre

Le deuxième volet de la formation porte sur la mise en place d’un Code de conduite pour les forces de l’ordre. Une version est en train de circuler entre les services afin de permettre une meilleure appropriation. Le format n’est pas encore déterminé, mais l’idée est de « normaliser les rapports des policiers avec les médias dans l’exercice de leurs fonctions respectives », explique Haykel Ben Mahfoudh du DCAF. Car il y a des normes internationales qui permettent de poser des règles de conduite.

Il s’agit de régir le comportement des forces de sécurité en fonction de leurs obligations, de leurs attributions et de leurs limites explique-t-il.

« Ce travail n’est pas évident, il demande une nouvelle perspective », explique Mehdi Benchelah de l’UNESCO. Et c’est tout le ministère qui doit être du changement, mais pas seulement. « Ce ne sont pas les idées et la volonté de changer qui manquent au sein du ministère de l’Intérieur. Or c’est l’autorité politique qui donne le cap. Elle doit être engagée dans ce processus », explique Haykel Ben Mahfoudh.

Autre point, le plus important finalement, celui du poids du futur Code. Haykel Ben Mahfoudh du DCAF explique que le ministère doit décider de la valeur juridique à lui donner. S’il n’est pas contraignant le Code servira de ligne de conduite, mais ne permettra sans doute pas de faire des réformes importantes.

Journalistes et forces de l’ordre doivent apprendre à travailler ensemble sur le terrain

Or Chokri Hamada, du Syndicat des forces de sécurité intérieure, explique lui-même qu’il faut un changement de mentalité au niveau des policiers et qu’il faut former les agents de l’ordre et les journalistes pour qu’ils cohabitent sur le terrain.

C’est toute une culture à changer, les policiers ne sont plus les rois du terrain. Il faut savoir quelles sont nos limites. Lorsque nous sommes au travail les règles prennent le dessus. Or le travail du policier nous met dans une posture différente. Si l’on veut un ministère républicain, neutre, il faut des agents qui appliquent la loi et qui doivent être jugés quand ils la dépassent. Mais pour ça il faut former des agents à la démocratie et aux libertés explique Chokri Hamada

Sana Ben Farhat n’a pas l’impression que la situation évolue : « Dans les faits ça ne donne rien, on voit bien qu’il y a toujours des actes de violence. » Mais elle relativise. Pour elle tout dépend des personnes : « certains policiers sont très calmes, d’autres se font déborder par la situation et ne font aucune différence entre un agresseur et un journaliste… »

Changer de regard

Chokri Hamada l’affirme : son syndicat est pour la liberté d’expression. Pour lui les journalistes doivent pouvoir aller sur le terrain. Et la police doit être neutre politiquement et agir de manière démocratique. Mais le policier doit apprendre à se comporter de manière adéquate lors des événements : « Il y a beaucoup de risques sur le terrain et il faut prendre des mesures pour garantir la sécurité. En tant que forces de l’ordre on doit s’attendre à tout car nous sommes responsables. »

Il en appelle également aux journalistes, qui doivent changer de regard :

Depuis le 14-Janvier il y a eu beaucoup de médiatisation des violences des forces de l’ordre. Un policier avec une matraque à la main est une image qui se vend bien. Mais lorsqu’il y avait des attaques contre les policiers personne n’a couvert ces événements. Aujourd’hui les choses changent. Mais les journalistes doivent être plus compréhensifs.

Ahlem Bousserwel du CTPL parle déjà d’un changement dans les comportements des forces de l’ordre :

« Il y a une évolution, on voit de plus en plus de policiers protéger les journalistes. » Pourtant, lors des dérapages, elle trouve que les responsables parlent un peu trop facilement “d’actes isolés”. Or, pour elle, le travail des journalistes et celui de la police vont dans le même sens :

“Il s’agit de la recherche de la vérité. Mais parfois les forces de l’ordre sont dans la censure et la répression et ne veulent pas que les journalistes le voient. Voilà pourquoi il y a des réactions violentes. A terme il faut que les forces de l’ordre comprennent que leur travail et celui des hommes de média converge. Ce travail permet d’apporter la clarté au public. Si le travail va dans ce sens il n’y aura plus de haine contre la police”