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Dans l’agitation politicienne actuelle, une appartenance importante se trouve peu analysée et s’avère moins saillante que celle de Nahdha aux Frères Musulmans. Elle est pourtant capitale lorsqu’on veut expliquer les dessous de cette alliance appelée « Troïka ». Le parti Ettakatol est ouvertement membre d’une organisation internationale appelée : L’Internationale Socialiste. Qu’est ce que l’Internationale Socialiste et comment peut-on mieux comprendre Ettakatol à travers elle ?

Une internationale est une association, dont le but est l’union de tous les travailleurs, sans distinction de nationalité, pour la défense de leurs revendications communes. Ceci veut dire qu’une telle organisation, forcement de gauche, a pour but la défense des intérêts des travailleurs dans un cadre qui n’est pas borné aux frontières d’un pays. Notre internationale en question est une association de partis travaillistes et socialistes mondiaux qui préconisent ensemble une alliance internationale des classes populaires et le développement de la solidarité entre les peuples. Ces partis sociale-démocrates y sont au nombre de 154. Dans l’appellation de chacun d’eux, il est à mentionner qu’on trouve très souvent les termes  démocrate, social et travail, d’où le nom complet d’Ettakatol : Forum Démocratique pour le travail et les libertés. On y trouve des appartenances à plusieurs pays du monde : L’Afrique du Sud, L’Angola, le Costa Rica, Le Danemark, le Mexique, la Suisse, le Yemen…

Deux éléments attirent l’attention : le RCD de Ben Ali et le parti de Moubarak, le Parti national démocrate, ont fait partie dans le passé de l’Internationale Socialiste. Le RCD en a été exclu seulement trois jours après le 14 janvier. Ceci veut dire que le fait de prêcher avec insistance aujourd’hui la transition pacifique tunisienne ou égyptienne de la part de Laurent Fabius, François Hollande et Ségolène Royal est absurde et même indécent. Ceci veut dire également qu’Ettakatol fermait les yeux sur cette appartenance peu glorieuse et assez contradictoire avec son soutien actuel à la loi d’immunisation de la révolution.

Le deuxième élément est le fait qu’on peut trouver Israël dans la liste des pays de l’internationale, avec deux membres représentants :

• le Parti Meretz qui se définit comme sioniste et socialiste.
• Le Parti Travailliste d’Israël qui se définit comme social-démocrate sioniste dont le chef fut Ehud Barak de 1997 à 2001.

Ces appartenances peuvent nous renseigner sur la vraie position d’Ettakatol concernant le grand débat national déclenché à l’assemblée constituante sur la normalisation avec l’état d’Israël. Il nous semble évident qu’un parti se liant dans le cadre d’une cause commune internationaliste avec notamment deux grands partis israéliens, est contre la criminalisation de la normalisation avec Israël. Les propos du chargé de l’information à l’Assemblée nationale constituante, Mofdi M. Msaddi, en septembre 2012, défendant Mustapha Ben Jaafar sont donc faux. Celui-ci affirmait en effet qu’il n’est nullement question de normalisation pour Ettakatol, d’autant plus qu’Israël persiste à ne pas reconnaître les droits du peuple palestinien à la liberté.

Le représentant de la France à l’Internationale Socialiste est le Parti Socialiste, actuellement au pouvoir. Ce parti socialiste de plus en plus détaché de sa base ouvrière, dont Mitterrand fut le grand dirigeant à la tête du gouvernement français à partir de 1981. Il avait entamé, à l’époque, une grande politique de libéralisation à l’instar du modèle reaganien ou thatchérien. L’un des premiers ministres du président Mitterrand, Pierre Mauroy, fut le déclencheur, sous l’impulsion de Laurent Fabius, du fameux tournant de la rigueur à partir de 1983. Politique en vertu de laquelle le programme social promis initialement par les socialistes, fut remplacé par une vague de privatisation pour affronter la crise. Le même Pierre Mauroy qu’on trouve à la tête de l’Internationale Socialiste de 1992 à 1999.

Il faut dire que les apologistes de l’austérité ne manquent pas à l’Internationale Socialiste. L’ex premier ministre grec Geórgios Andréas Papandréou a été élu depuis 2006 à la tête de cette organisation. On se souvient de son nom comme étant lié à la banqueroute de la Grèce. Son mode d’action en tant que chef d’état de la Grèce est le même que celui de Mitterrand : venu redresser l’économie et défendre le droit des travailleurs, il se trouve contraint de basculer vers une austérité musclée. Tout cela se pratique en faisant appel à toute une artillerie de propagande internationale culpabilisant le peuple et l’acculant à perdre ses « privilèges sociaux » sous peine d’une catastrophe. En réalité, les grands gagnants de ce plan d’austérité grec seront le FMI et des banques telles que Goldman Sachs. Papandréou n’a été qu’un pion abandonnant son programme « socialiste » promis et servant les intérêts du néolibéralisme.

Si nous regardons les ministères du gouvernement tunisien, nous verrons que l’un des ministères clés a été confié à un ministre venu de ce parti : Elyas Fakhfakh. L’opposition a tendance à oublier que l’un des postes qui doivent être indépendants et neutres au gouvernement est ce ministère. Il peut ouvrir à toutes formes d’interventionnisme extérieur, s’il est tendancieusement géré. Il se trouve que Fakhfakh n’a pas été très indépendant face aux diktats de l’endettement : malgré toutes les protestations de la société civile avec notamment la campagne Magaloulnech qui dénonçait un scénario semblable à la Grèce en cas de collaboration avec le FMI, Fakhfakh avec la complaisance de Nahdha déclarait à African Manager :

L’endettement de la Tunisie est très soutenable et le crédit auprès du FMI est destiné à la balance commerciale pour les réserves en devises par rapport à un programme de relance économique. On ne peut s’inquiéter que si le processus politique se trouve bloqué. Ce n’est qu’alors qu’on pourra ressentir les conséquences négatives sur cette relance envisagée.
Elyas Fakhfakh

Mais Fakhfakh en disant ces paroles insouciantes en juillets 2013 savait que le processus avait effectivement de fortes chances d’être bloqué par l’insécurité galopante, la banalisation de la circulation des armes et les assassinats politiques.

Il nous est peut-être possible à travers les travaux de l’Internationale Socialiste inspirés de l’économiste Milton Friedman, de mieux comprendre les implications et l’idéologie d’Ettakatol. Tenter de disséquer ce parti impersonnel qui se désagrège, perd tous ses militants, mais qui s’accroche froidement au pouvoir comme s’il était fixé par les commanditaires d’un projet plus grand que lui qu’il doit terminer avant de s’émietter.

Tous les quatre ans se tient un congrès de cette internationale. Lors du dernier congrès qui s’est déroulé en Afrique du Sud du 30 aout au premier septembre 2012, Ettakatol a été élu membre permanent et Ben Jaafar y a exposé l’expérience tunisienne en matière de démocratie en période de transition. L’un des thèmes majeurs du congrès était « Pour un nouvel internationalisme ». Lorsqu’on regarde de plus près, cet internationalisme-là semble être assez déviant des théories marxistes et libertaires dans le sein desquels il est né. Au contraire il est très attaché à un mondialisme oligarchique perdant toutes les antennes avec la classe ouvrière. Voici ce qu’énonce un compte rendu des différents discours des intervenants à ce congrès à propos de ce mystérieux « nouvel internationalisme » :

Un internationalisme renouvelé devrait assurer le changement progressiste, répandre la démocratie, augmenter la sécurité coopérative, partager les fardeaux collectifs et renforcer les institutions internationales. Appelant à une plus grande gouvernance mondiale, il n’a pas seulement été souligné que les organisations telles que le FMI, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce devaient être renforcées, mais qu’il y avait également un besoin de réformes sociales et culturelles. Le besoin d’avancer vers un nouvel internationalisme donnera suite à des systèmes politiques plus responsables, à la démocratie et la liberté pour le peuple.

Bref une soupe droit-de-l’hommiste à la sauce américaine, assez hypocrite au fond, masquant difficilement une brutalité économique certaine. Et c’est sous ce jour-là que nous devons regarder Ettakatol, ce parti épuisé qui semble dessiner une trajectoire accélérée de ce que risque d’être dans les prochaines années le Parti Socialiste français. Il n’est nullement question d’un parti pitoyable et castré comme les idées reçues le répandent. Il s’agit d’une poignée de personnes qui par définition n’appliquent jamais leurs promesses électorales non seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan des libertés individuelles. Une petite classe qui noie constamment le poisson avec des références à la révolution mais qui cache mal les dangereuses concessions qu’elle pratique ainsi que son appartenance à un projet de gouvernance mondiale totalitaire sur lequel elle devrait s’expliquer ouvertement à la classe ouvrière et aux progressistes qu’elle est censée défendre.