Au terme de deux semaines de rassemblements non-stop au Bardo, une question tautologique s’impose : « et maintenant ? ». Si les foules pro et anti pouvoir semblent s’être neutralisées, si la marée humaine du 6 août n’a pas été en mesure de transformer l’essai, c’est probablement parce que la contestation, encadrée par des élites politiques orthodoxes, n’a pas su se réinventer un discours.

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Mobilisation historique mais vaine

Mardi 6 août, la mémoire de Chokri Belaïd insuffle un second souffle au sit-in du « rahil ». La mobilisation atteint son apogée en agrégeant une masse hétéroclite réunie autour des compagnons de route du martyr.

Qu’ils soient 100 ou 400 000, les manifestants n’obtiendront du pouvoir en place qu’un « dont acte » de plus.

La veille, Mustapha Ben Jaafar outrepasse allégrement ses prérogatives en annonçant une décision officiellement unilatérale : la suspension sine die des travaux de l’Assemblée constituante. Manœuvre politique ou pas, la mesure coupe l’herbe sous les pieds des pro dissolution. Les leaders de l’opposition se félicitent d’une décision qui « va dans le bon sens ».

Machiavélisme, faiblesse ou realpolitik ?

Le 5 août toujours, c’est Moncef Marzouki qui prend de court l’opinion et le CPR dont il est toujours le chef honorifique, en recevant coup sur coup Béji Caïd Essebsi et surtout Hamed Karoui, deux concurrents sur le créneau controversé du recyclage néo destourien.

Politiquement et sociologiquement, ce qui est à l’œuvre quelques jours plus tard sur le terrain de la grande place du Bardo à l’occasion de l’Aïd el fitr, c’est aussi la tentation de faire du neuf avec du vieux : une prière collective a lieu en présence de quelques ténors de l’opposition. Ceux-ci s’évertuent à expliquer, en off, le bien-fondé stratégique de cette démarche polémique.

Au nom du combat anti monopole de l’islam, ce qu’il convient d’appeler « l’esprit Nidaa Tounes », cela consiste en somme à opposer au conservatisme « étranger » un conservatisme local, zitounien et malékite.

Cette dimension incantatoire contraste avec la coloration globalement sociale de la manifestation du 6 août. Les jeunes les plus à gauche notamment ne comprennent pas que l’on puisse descendre dans la rue et investir l’espace public pour réclamer « une simple variante » : l’islam modéré, ou plutôt une religion d’Etat qui fut aussi celle du législateur de l’ancien régime, avec les dérives que l’on connaît.

Au passage, on fraternise (politiciens en tête) le jour de l’Aïd avec des forces de l’ordre qui ne se gêneront pas dès le lendemain pour tenter de démanteler le sit-in.

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Au chapitre des tractations politiques, l’un des sujets de discorde au sein de la troïka est l’intégration ou non d’al Moubadara, le parti de Kamel Morjène, au prochain gouvernement d’union nationale (qui quant à lui est déjà acquis) dont la composition devrait être connue avant la mi-août.

Parmi les adversaires politiques de la troïka, les partis affiliés à l’ex régime s’avèrent donc les plus enclins au dialogue. Ce sont sans doute eux qui permettront à Ennahdha une sortie de crise à moindre frais.

C’est moins paradoxal qu’il n’y paraît : contrairement à la gauche radicale qui campe sur sa demande de gouvernement de salut national, les destouriens ont toujours été adeptes du pragmatisme lorsqu’il s’agit du partage du pouvoir, sachant qu’ils ne peuvent ostraciser à nouveau l’islam politique ou le réprimer dans l’immédiat.

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Une sortie de crise superficielle

De son côté le leadership d’Ennahdha ne peut plus exclure l’éventualité d’un retour à la case prison, ayant tiré les leçons du scénario égyptien : un coup d’Etat qui démontre que la dynamique régionale ne met plus les Frères musulmans à l’abri d’une régression à l’ère du délit d’appartenance.

Le fléchissement de la rue tunisienne ces dernières 72 heures permet cependant au parti islamiste de renouer avec un ton plus déterminé, du moins en apparence. Chaque camp propose son candidat à la présidence du prochain gouvernement, les premiers noms circulent : Radhouane Masmoudi côté Ennahdha, le général Rachid Ammar ardemment défendu par Noureddine Ben Ticha.

Perçus comme moins partisans, Ahmed Mestiri et Ahmed Ben Salah se sont également entretenus avec Ben Jaafar samedi.

Quelle que soit la personnalité qui se chargera de la gestion de la périlleuse ultime période transitoire, il ne faut pas s’attendre à un changement de cap majeur tant que le débat politique se résume idéologiquement à un conflit des droites, en l’absence d’un dépassement de la question identitaire.

Mardi 13 août, un défilé de sefséri est déjà prévu à l’occasion de la célébration de la Femme, une journée qui promet d’être hautement politisée. La chambre nationale des agences publicitaires continue entre temps de financer une campagne d’affichage aux couleurs du drapeau national.

Un peu court sans doute, voire assez creux, pour espérer proposer une alternative viable aux barbelés de la discorde au Bardo.

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