bardo-6aout

Depuis l’assassinat du député Mohamed Brahmi le 25 juillet, la contestation gronde devant l’ANC. Aprés que pendant plusieurs jours des sit-inneurs, ainsi que des députés, gelant leur activité se sont réunis en demandant la dissolution de l’ANC et du gouvernement, des manifestants voulant maintenir le pouvoir en place sont venus se faire entendre. Voilà comment s’est créée la fracture sur la notion politique de légitimité. Mais que signifie cette notion ?

La légitimité : la qualité qui justifie la domination

Les manifestants du sit-in Ra7il (“départ”) ont commencé fort : « Le peuple veut détruire le système ! », « Après le sang plus de légitimité pour la mafia nadhaouie ! » L’idée est claire : ces sit-inneurs ne reconnaissent plus l’ANC et le gouvernement en place. Plus de légitimité. Plus rien ne justifie la domination de ce groupe sur le reste du peuple.

En face les manifestants pro gouvernements entonnaient des « L’Assemblée est une necessité ! », « La nouvelle Constitution est une nécessité ! », « Soutenir la légitimité est un devoir ! »

Si on s’en tient à la définition du Petit Larousse, la légitimité est une qualité fondée en droit, en justice ou en équité. Elle permet à une personne, à un groupe, à un pouvoir, d’exercer sa domination sur une communauté ou une société.

Le sociologue Max Weber a défini la légitimité en la liant à la domination. Pour lui le concept de légitimité se rapporte à la reconnaissance sociale. Il donne trois types de légitimité :

  • légitimité du fait d’un caractère rationnel
  • légitimité du fait d’un caractère traditionnel
  • légitimité du fait d’un caractère charismatique

Lorsqu’en Tunisie on parle de légitimité des urnes, c’est d’une légitimité démocratique dont il s’agit, comme l’explique Sami Abderhammen, juge au Tribunal administratif :

Elle vient d’élections libres et transparentes. Un gouvernant accède au pouvoir du fait d’un processus démocratique. On voit ici que la légalité et la légitimité coïncident.

Selon Chafik Sarsar, professeur spécialisé en droit constitutionnel et futur membre de l’ISIE, «  la légitimité est une notion essentiellement politique. C’est la qualité de celui ou de ceux qui ont reçu le consentement du groupe. C’est pour cette raison que ce qui est légitime peut ne pas être légal, et réciproquement ce qui est légal peut ne pas être légitime. D’ailleurs on dit souvent que la révolution est un changement illégal mais légitime du système politique et social. Il est donc normal que le côté politique prenne le dessus dans ce débat relatif à la légitimité. »

L’idée qui ressort de ces définitions est que pour gouverner un pouvoir à besoin de légitimité, puisqu’il doit pouvoir répondre de manière justifiée à la question que les citoyens peuvent poser : à quel titre gouvernez-vous ?

Légitimité des urnes versus légitimité de la rue

En ce moment en Tunisie c’est justement cette question qui est posée aux gouvernants. A quel titre gouvernez-vous ? Les manifestants du sit-in Ra7il, demandant la dissolution du gouvernement et de l’ANC, estiment que ces institutions ne les représentent plus. Après la fin du mandat d’un an dont a bénéficié l’ANC, et le peu de résultats du gouvernement, qui émane de l’ANC, rien ne semble plus donner de légitimité au pouvoir en place.

Chafik Sarsar explique que dans une démocratie, la légitimité des urnes permet de représenter la majorité pour une période bien déterminée.

C’est la périodicité des élections qui permet de sanctionner la force politique qui n’a plus la confiance des électeurs à travers les urnes. C’est l’alternance qui assure cette remise en cause périodique de la légitimité des gouvernants, et c’est pour cette raison que normalement la majorité des urnes et celle de la rue vont de concert.

C’est là que se joue la bataille.

La légitimité des urnes veut qu’un pouvoir élu ne puisse être contesté. Pourtant ce cas peut se produire, comme l’explique Chafik SarSar : « Il arrive même dans les démocraties, juste après des élections et la constitution d’un gouvernement représentant la majorité du parlement, que les choix politiques du gouvernement soient impopulaires. Et cela peut conduire à des manifestations importantes qui désapprouvent le gouvernement. Ces manifestations peuvent conduire à une crise politique voire un blocage du pays, et c’est en fait une distorsion entre les résultats des urnes et la voix profonde de la rue ou la légitimité effective. Les solutions peuvent aller crescendo : remaniement ministériel, démission du premier ministre, ou enfin dissolution de l’assemblée nationale. La France, entre 1995 et 1997, avec les deux gouvernement d’Alain Juppé, offre une illustration de cette distorsion entre la légitimité des urnes et celle de la rue. »

Mais à partir du moment où, du fait de la période de transition, une légitimité consensuelle a pris le pas pour permettre à l’ANC de continuer au delà du délai imparti par son mandat, la légitimité de la rue n’a-t-elle pas trop tardé à s’exprimer ? « Au point où ils en sont laissons les finir », disent des voix au sein du gouvernement. Le fait est que la légitimité de la rue n’est pas limitée dans le temps. Par contre la question principale la concernant est son poids et sa représentativité du reste de la population. D’où une bataille des chiffres permanente pour faire pencher l’opinion public d’un côté ou de l’autre.

La légitimité pour une période déterminée est un engagement moral des partis au pouvoir

Reste un point légal : l’article 6 du décret du 3 août 2011 stipule que l’Assemblée mise en place devra rédiger la Constitution dans un délai maximal d’un an. Une fois ce délai dépassé, ne peut-on pas considérer que l’ANC n’est plus légitime ?

Pour Sami Abderhammen nous vivons un imbroglio légal :

il n’y a jamais une légalité électorale qui ne commence pas à une date précise et ne finit pas à une date précise. Une légalité électorale ouverte n’existe pas.

La durée du processus était connue d’avance : un an. Ce délai a été contesté. Or il y a eu des engagements politiques dans ce sens avant l’élection. Aucun des partis présents ne peut dire qu’il n’est pas lié par cet engagement. Celui qui, en étant au pouvoir, laisse la période ouverte, conteste sa légalité et sa légitimité.

Reste que, comme l’explique Chafik Sarsar, le décret portant convocation du corps électoral pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante a été pris par le président de la République par intérim. « Il y a un problème se rapportant à l’inadéquation entre une limite prise par un président intérimaire, qui n’avait qu’une simple légitimité fonctionnelle, et un pouvoir constituant originaire. Le décret du 3 août 2011 n’est pas, de part sa nature, une règle juridique ordinaire, c’est-à-dire permanente. C’est une règle “à usage unique”. »

Il explique donc que, pour lui, la limitation temporaire du mandat de l’ANC est d’ordre morale parce qu’un engagement à été signé à la veille des élections par onze partis, dont Ennahda et Ettakattol, et que l’engagement a été réitéré après les élections par des déclarations des leaders de la Troïka.

Il y a donc une sorte de pacte moral politique pour limiter la période constituante. Le fait de ne pas honorer ce engagement discrédite l’Assemblée et porte atteinte à sa légitimité.