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Le « Code d’investissement » a été considéré par certains comme étant la prochaine « constitution économique ». Mais, contrairement à la constitution, ce projet de loi n’a pas été préparé par les autorités tunisiennes. Qui l’a donc fait ?

Le Gouvernement ou dix membres, au moins, de l’Assemblée nationale constituante disposent du droit de proposer des projets de loi.

article 4 de la Loi constitutionnelle n°6-2011 du 16 décembre 2011 (petite Constitution)

Tel est le texte de l’article 4 de la Loi constitutionnelle relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, qui permet au gouvernement de faire voter plusieurs projets de lois relatifs à des réformes qui engagent la Tunisie pour les longues prochaines années… dont le « Code d’investissement ». Sauf que cette loi ne parle que du droit de proposition des projets de loi, c’est-à-dire tout simplement leur dépôt au bureau de l’ANC pour qu’ils soient soumis au vote. Par contre, ce qui est de loin plus important, c’est la définition des grandes lignes du Code, et l’écriture du texte de la loi.

Dans son allocution prononcée lors des 27èmes Journées de l’entreprise organisées par l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) à Port El Kantaoui, à Sousse, le 8 décembre 2012, Ridha Bettaieb, qui était alors ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, et qui est actuellement conseiller auprès du chef du gouvernement, avait déclaré vaguement que le bureau d’avocats Kallel & Associates avait apporté son soutien pour les aspects juridiques. Dans les deux versions du document suivant, nous verrons qu’il s’agit de la rédaction même du Code.

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De même, nous pouvons remarquer dans le même document que le gouvernement a également fait appel à des cabinets de conseil tunisiens et étrangers comme Ernst & Young, ISTIS et ECOPA pour étudier le cadre actuel. On y mentionne également une certaine expertise technique « offerte » par les institutions internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Banque européenne d’investissement (BEI), la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et le groupe de la Banque mondiale Société financière internationale (SFI/IFC).

Plus de détails ont été données par Riadh Bettaieb lors de son passage sur Express FM, le 16 août 2012. Il a expliqué que la Banque européenne d’investissement (BEI) s’occupait de la relation compétitivité-emploi, l’OCDE de l’évaluation du rendement des incitations, et la CNUCED de l’intégration socio-économique de l’investissement. Quant à l’IFC, il avait expliqué qu’elle se chargerait du paiement des experts devant contribuer à l’élaboration de ce Code.

De plus, et contrairement à ce qui est cité dans le document précédent, il a annoncé que l’étude comparative entre les codes d’investissement qui ont été pris comme exemples à suivre avait été déléguée au Département du Commerce des États-Unis (United States Department of Commerce) !

Comment ce fait-il qu’un gouvernement d’un pays déclaré comme étant souverain, comme la Tunisie, se permette de confier des études relatives à une loi aussi importante que le Code d’investissement, non seulement à des institutions internationales ou à des privés qui ont des intérêts autres que l’intérêt général de la nation, mais à un gouvernement étranger ?

Revenons maintenant à la Société financière internationale (IFC) qui, rappelons-le, a financé la préparation de ce Code de l’investissement. L’IFC est également actionnaire dans plusieurs sociétés établies en Tunisie comme Amen Group (Amen Bank et Amen Santé), Fuba Printed Circuits, Poulina Holding Group, TAV TUNISIE, Candax Energy ainsi que le Maghreb Private Equity Fund III. Le conflit d’intérêts entre le fait de financer l’écriture du Code d’investissement et d’investir dans plusieurs projets n’est-il pas évident ? Et est-ce que l’IFC s’est limitée à financer l’écriture de ce projet de loi en laissant le libre-arbitre aux « experts » de choisir les grandes lignes que devra suivre le nouveau cadre ?

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Dans cet extrait du document présenté plus haut, nous trouvons tous les détails sur le rôle de l’IFC et de l’OCDE dans la préparation du nouveau cadre légal de l’investissement en Tunisie. En effet, l’intervention de l’IFC ne se limite pas au financement des experts qui ont préparé le projet de loi, mais s’élargit également à tout un programme qui sera exécuté par l’IFC et l’OCDE pour le compte de l’Etat, et non pas conjointement avec l’Etat.

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Plus loin dans le même document, nous retrouvons une répartition des tâches à faire entre l’OCDE et l’IFC. On y parle de la réforme de la régulation. Et là, on fait allusion à la « Regulatory Guillotine™ » : la « guillotine » dont a parlé Riadh Bettaieb lors des Journée de l’entreprise précédemment citées. Il s’agit d’une stratégie néolibérale développée par le bureau de conseil américain « Jacobs & Associates » qui consiste, comme l’indique son nom, à supprimer le maximum (25% dans le cas de la Tunisie) d’outils de régulation de l’Etat en un temps record.

Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que dans la partie qui concerne l’alignement avec la stratégie nationale, on comprend que ce projet n’est qu’une reprise d’un travail qui a commencé sous le gouvernement Ben Ali en 2010 et qui a été interrompu par la révolution. La mise sous tutelle des institutions financières internationales de la Tunisie ne s’est bel est bien par arrêtée avec la révolution : ce n’était qu’une interruption momentanée. La reprise s’est faite via le Partenariat de Deauville, lancé depuis 2011 sous le gouvernement Beji Caid Essebsi et reprise par la Troïka après les élections du 23 octobre 2011. Et les prochains gouvernements continueront dans la même ligne, vu que le projet de mise en oeuvre du nouveau cadre légal de l’investissement durera 3 ans ; et la dépendance des institutions de l’Etat tunisien s’approfondira encore plus, vu que le financement de l’Instance nationale de l’investissement sera assuré pendant 3 ans par l’IFC.

L’atteinte à la souveraineté nationale ne s’arrêtera pas là. Rappelons que Chedly Ayari et Mustapha Ben Jaafar sont allés présenter le Code de l’investissement en France, au siège de l’Assemblée nationale française, lors d’une réunion qui a réuni de grands bailleurs de fonds internationaux comme la BM, le FMI, la BAD, l’OCDE la BEI, des investisseurs français et, surtout, des ministres Français, et tout cela « sous le haut patronage de M. François Hollande, président de la République française ». Un bon nombre de médias et de politiciens ont dénoncé cette atteinte à la souveraineté et se sont indigné contre le fait que le Code d’investissement ait été présenté à l’Assemblée nationale française avant qu’il ne soit même déposé au bureau de l’ANC en Tunisie. En réaction à cela, le ministère de l’Investissement et de la Coopération internationale et Ben Jaafar ont tous les deux démenti l’information. Ils ont été trahis par les organisateurs de l’événement qui, sur Twitter, ont partagé un article confirmant le fait que le nouveau Code a bel et bien été présenté devant l’Assemblée nationale française.

Parmi les partenaires de cet évènement, nous trouvons l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED), un puissant lobby euro-méditerranéen qui, dans l’une de ses publications explique que son premier objectif est de « parvenir à influencer les décideurs qui eux-mêmes doivent produire des actions concrètes. Que ce soit sur la sécurisation des investissements, la sécurité alimentaire, la mise en marche des médicaments au Sud, IPEMED doit être à l’origine de projets concrets, de lois, de règlementation, etc. ». Dans l’équipe de l’IPEMED, nous trouvons en effet des personnes très influentes comme Radhi Meddeb, qui serait actuellement proposé pour le poste de Premier ministre après l’avoir été lors des discussions sur le gouvernement qui a suivi l’assassinat de Chokri Belaid. Yadh Ben Achour en fait également partie, qui serait aussi proposé pour la commission d’experts qui devra rédiger la constitution en cas de dissolution de l’ANC, et ce après avoir été suggéré par Ben Jaafar lors de la formation de l’équipe d’experts qui a donné son avis sur le projet actuel de la constitution.

Juste avant l’appel à la dissolution de l’ANC, le gouvernement s’apprêtait à faire passer le projet de loi du Code d’investissement au vote. Quel sera l’avenir de ce code si l’ANC est effectivement dissoute ? Quelles sont les décisions que prendra le prochain gouvernement en ce qui concerne ce projet de loi ? Continuera-t-il dans le même chemin que les gouvernements Ben Ali, Essebsi, Jebali et Laarayedh ont suivi ? Ou va-t-il œuvrer pour la reconquête de la souveraineté de la Tunisie et mettra-t-il fin au processus du Partenariat de Deauville ?