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révolution-tunisienne-2013 Par Chérif Ferjani*, En refusant la dissolution du gouvernement d’Ali Laaryedh, et en restant sourd aux revendications de la société civile, de l’opposition et de larges franges du peuple tunisien, Ennahda persiste dans le choix irresponsable de la fuite en avant. Deux hypothèses sont à envisager sérieusement :

  • Ennahda ira jusqu’au bout dans la logique de la confrontation et imposera au pays un affrontement dont il sortira vaincu, au prix d’une aggravation dangereuse de la situation, très détériorée par sa politique, sur tous les plans (économique, sécuritaire, sociale, culturelle, diplomatique).
  • Les islamistes jouent au “poker menteur” pour tester la résistance de la population, de la société civile et de ses adversaires auxquels elle promet, pour la énième fois, de faire descendre un million de manifestants pour leur montrer que les partisans de sa légitimité sont plus nombreux que celles et ceux qui la rejettent.

Quels que soient ses plans et ses desseins, le facteur déterminant dans ce bras de fer sera la poursuite de la mobilisation pacifique, quelles que soient les provocations qui ne manqueront pas de se multiplier. Les islamistes, comme les partisans de toutes les formes d’idéologisation de la religion, dans le monde musulman comme ailleurs, ne reculent que sous la pression des rapports de force. Ils ne changent de position que contraints et forcés. Si leurs adversaires sont suffisamment forts et unis de façon à leur faire comprendre que la confrontation qu’ils cherchent sera à leurs dépens, ils finiront par reculer. C’est pourquoi il faut que les forces sociales et politiques restent mobilisées de façon pacifique contre la poursuite de la politique de la Troïka. Elles doivent rester unies derrière la position défendue par l’UGTT, l’UTICA et la Ligue des droits de l’Homme : la dissolution du gouvernement avant tout retour à la table des négociations pour trouver une sortie de l’impasse dans laquelle se trouve la transition. Il faut donc se préparer à l’affrontement qu’Ennahda veut imposer au pays en élargissant au maximum le front de l’opposition, y compris en laissant la porte ouverte à Takattol et au CPR qui n’oseront pas se mettre définitivement à dos l’UGTT et les autres expressions de la société civile, voire à celles et ceux qui, dans les rangs d’Ennahda, hésitent à suivre la politique suicidaire de Ghannouchi. Une résistance unie et sans faille ne peut s’envisager que sur la base des demandes de la commission administrative de l’UGTT du 29 juillet 2013, que partagent la centrale patronale (l’UTICA), la Ligue des droits de l’Homme, le Conseil de l’ordre des avocats et les ONG parrainant le dialogue national, à savoir :

  • le départ du gouvernement actuel et son remplacement par un gouvernement de compétences nationales qui aura pour tâche de parrainer les prochaines échéances électorales, selon une feuille de route conforme à ce qui a été défini lors du dernier dialogue national, et dont les membres ne pourront pas se présenter aux échéances électorales prévues dans les prochains mois ;
  • la dissolution des ligues dites de protection de la révolution (LPR) ;
  • la neutralité de l’administration et la révision des nominations partisanes ;
  • l’adoption de la Constitution, des lois organisant les prochaines élections et la mise en place des instances devant les organiser et les superviser de façon indépendante et transparente dans les meilleurs délais.

C’est de l’union et de la mobilisation les plus larges, sur la base de ces objectifs qui ne sont pas négociables, que dépend l’issue de la confrontation qu’Ennahda cherche à rendre inévitable. Le choix adopté, le 2 aout 2013, par l’opposition et la société civile, de ne plus négocier avec le gouvernement que d’une seule voix, que portera désormais Houcine Abbassi, le secrétaire général de l’UGTT, est la seule façon de mettre au pied du mur les dirigeants d’Ennahda et le gouvernement de la Troïka : c’est à eux de dire s’ils veulent persévérer dans la fuite en avant et le choix suicidaire d’un affrontement qui sera trop coûteux pour le pays, ou s’ils sont prêts à entendre l’appel de la société et à accepter, comme l’ont fait les partis de l’opposition, les propositions raisonnables de l’UGTT, de l’UTICA, de la LDH et de l’ordre des avocats – Par Chérif Ferjani , Professeur de science politique à l’Université Lyon 2, en délégation à l’IRMC à Tunis