Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

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Comme celui, il y a six mois, de Chokri Belaïd, l’assassinat, jeudi 25 juillet 2013, du député Mohamed Brahmi a provoqué des manifestations de colère spontanées pour exprimer le refus du terrorisme politique.

Quatre jours plus tard, huit soldats ont été assassinés et lynchés par un groupe terroriste à Djebel Chaâmbi, tout juste avant la rupture du jeûne. L’émotion était grande lors des funérailles et la peur s’installe chez les Tunisiens après l’explosion d’une bombe artisanale, mercredi 31 juillet 2013, dans la région de Mhamdia près de Tunis.

Aujourd’hui, la place occupée par la violence, à vrai dire par les violences, n’a jamais été aussi systématique et importante. Elle apparaît comme la préoccupation principale de la société tunisienne car elle est vécue comme une fatalité, aboutissant à la fois à une résignation à l’ordre établi et à la fascination d’un voyeurisme de masse.

Bien que les définitions, les doctrines et les classifications se rapportant au terrorisme soient multiples, en raison de sa complexité croissante, aucune étude n’est cependant parvenue à cerner le phénomène de façon pleinement exhaustive. Notre approche n’a par conséquent nullement l’intention de donner une définition juridique ou politique, mais bien une définition opérationnelle. Aussi, si quelqu’un s’attend à une définition claire, générale et acceptée par tous, il n’y en a pas.

Des centaines d’ouvrages ont porté sur la seule définition du terrorisme ; aucun n’est cependant parvenu à donner une définition précise et acceptable pour tous. Il est évident que trop souvent le concept de terrorisme est utilisé à des fins politiques, de propagande, rendant toute analyse de la question extrêmement complexe et contre-productive.

Bien qu’une définition juridique ne soit, nous le reconnaissons, pas aisée, il est à notre sens possible d’établir une définition opérationnelle, laquelle permettrait de distinguer les actes terroristes d’autres actes de violence politique. Notre méthodologie d’approche est que le terrorisme n’est ni une idéologie, ni un objectif politique, mais une façon de combattre ; c’est-à-dire un moyen d’affronter « l’autre » et dont les motifs se trouvent davantage dans les objectifs politiques à atteindre que dans sa pratique opérationnelle. Notre premier souci est par conséquent de différencier le terrorisme d’autres formes de violence politique telle que la guérilla.

Selon les chercheurs, le concept de terrorisme n’est pas synonyme de violence politique, la terreur n’en étant qu’une forme particulière. Ainsi, pour Paul Wilkinson:

« Political violence is either the deliberate infliction of physical injury or damage for political ends, or it is violence which occurs unintentionally in the course of severe political conflicts. We are still dealing with an extremely broad range of phenomena. It would surely be an act of sheer folly rather than mere hubris to attempt to explain all forms of political violence, ranging, say, from the intimidation of a professor for his alleged political views to acts of international wars, in terms of a grand scientific theory. We must bear in effects, between small group violence and the large-scale collective violence of modern total war, which can engulf continents. »

Suivant cette approche, il est difficile d’établir une différenciation claire au niveau phénoménologique entre le terrorisme et la violence politique. Néanmoins, on peut tenter de présenter les grandes formes de violence qui ont marqué l’agora en Tunisie depuis le 14 janvier 2011 jusqu’à nos jours :

LES FORMES DE VIOLENCE EN TUNISIE DEPUIS LE 14 JANVIER 2011

A- Actes isolés de sabotage
B- Guérilla locale et à petite échelle
C- Tentatives d’assassinats
D- Assassinats politiques
E- Terrorisme transnational

En effet, pour compléter la démarche explicative du lien qui existe entre politique et violence en Tunisie, il paraît utile d’interroger la terminologie utilisée. Assurément, le terme « terrorisme » est employé, dans la Tunisie post-révolutionnaire, comme synonyme de rébellion, de batailles de rues, de luttes civiles, d’insurrection, de guérillas rurales, d’extrémisme politico-religieux et autre, etc. L’usage sans discernement du terme gonfle non seulement les statistiques, mais rend la compréhension du caractère spécifique du terrorisme et la façon d’y faire face beaucoup plus complexe.

Dans ce cas, l’originalité d’une approche scientifique est de s’intéresser non pas en premier lieu à l’auteur de l’acte terroriste, mais bien à l’acte terroriste lui-même. Cette position permet d’éviter le piège dénoncé par le cliché selon lequel « un terroriste pour l’un est un combattant utopique pour l’autre ». Or, ce cliché confond ce qu’est le terrorisme avec l’auteur de l’acte terroriste.

Évidemment, un individu est un terroriste quand il emploie des méthodes agressives contre l’ensemble de la société ; mais tant que nous ne serons pas disposés à traiter le terrorisme de l’un comme celui de tous, nous ferons très peu de progrès dans la compréhension de ce phénomène ou dans la prise de mesures effectives réduisant son occurrence. Dans notre situation actuelle, on doit souligner que, pour prévenir et combattre efficacement le terrorisme dans le plein respect des droits fondamentaux, la Tunisie ne peut cantonner ses activités au maintien de sa propre sécurité, mais elle doit également axer celles-ci sur la sécurité de l’ensemble de l’espace maghrébin.

Pour atteindre cet objectif, la Tunisie post-révolutionnaire doit faire appel aux compétences de ses services de renseignement et de sécurité non seulement pour parer à des menaces contre sa propre sécurité mais aussi, le cas échéant, pour protéger la sécurité intérieure des autres États du Maghreb.

Les échanges d’informations entre les services de sécurité doivent se poursuivre d’une façon très intense afin de sortir de l’impasse. Certes, les chemins de la résistance à la violence et au terrorisme sont difficiles. Mais les Tunisiens doivent engager les autorités à augmenter le financement des projets de renforcement des capacités en matière de lutte contre le terrorisme et à faire en sorte de disposer de l’expertise nécessaire pour mettre en œuvre de tels projets d’une manière efficace.