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Des milliers de sit-inneurs se sont rassemblés le soir du 27 Juillet 2013 devant l’ANC pour réclamer sa dissolution. Crédit image : Amine Boufaied | nawaat.org

Commençons pourtant par le parti majoritaire. Sans perdre de temps à tourner autour du pot, je n’ai jamais fait de mystère autour du fait que le parti Ennahdha représente un danger pour la réussite de la transition démocratique tunisienne.

Il l’est si le but est une véritable représentativité de toutes les composantes du peuple, quelque soit leur appartenance religieuse, confessionnelle, idéologique, sociale ou même ethnique ; l’égalité inconditionnelle entre eux, y compris les différents sexes ; l’établissement d’un vrai Etat de droit ; la séparation des pouvoirs ; la liberté de conscience, d’expression, d’information, du travail syndical et politique, etc.

A ces réserves, j’ajoute la longanimité d’Ennahdha envers les salafistes ; le refus de dissoudre les Ligues de la protection de la révolution impliquées dans des actes de violence et de harcèlement, et même un meurtre ; l’abstention à signer des accords contre la propagation de la violence ; la distribution de postes clé à des membres d’Ennahdha ; l’infiltration de djihadistes dans le système de l’enseignement ; le silence approbateur sur des prêches incitant au meurtre d’opposants ; le recrutement ouvert de jeunes Tunisiens pour le djihad en Syrie et de jeunes Tunisiennes pour un soi-disant djihad du Nikah ; l’introduction d’un cheikh proche du wahhabisme dans la fonction de Moufti de la Tunisie ; les tentatives de saper les libertés dans la constitution ; l’éviction trop souple de Rachid Ammar, chef d’état-major des armées.

A moins qu’il ne se cache un autre plan derrière cette démission… ? La crainte que son successeur soit un homme d’Ennahdha ; à moins que lui-même ne poursuive des ambitions qui ne font qu’attendre le bon moment ? Des voix imprudentes appellent déjà à le nommer président de la République.

Et pour conclure cette longue liste : les hautes pénalités pour de simples délits de conscience, alors que des actes de vandalisme ou même de terrorisme issus de salafistes et de néosalafistes nahdhaouis sont accompagnés de beaucoup de compréhension et de grâce.

Ce sont suffisamment d’actes illicites pour retirer à ce parti l’assurance de persister à diriger la destinée de la Tunisie.

Pourtant, je ne peux pas manquer d’appeler à rester vigilant car, en fait, Ennahdha est loin d’être le seul danger qui menace la Tunisie dans cette étape transitionnelle. Les vraies intentions poursuivies par les dirigeants de l’armée, en restant neutres avant et suite à la fuite de Ben Ali, ne sont toujours pas tout à fait démasquées.

Les plus grands perdants de l’écroulement de la dictature de Ben Ali représentent eux aussi un danger à prendre en considération ; comme du moins une partie des agents de sécurité, qui se sont laissés impliquer dans des actes de tortures et qui sont présumés craindre une vraie démocratisation, car celle-ci engendrera leurs déferrement devant la justice.

Ca n’est pas moins le cas d’une partie de l’opposition, qui n’a pas toujours brillé par une vraie âme démocratique et paraissait assez souvent être dirigée par le seul désir de vouloir aboutir au pouvoir. Sans parler de tous les protagonistes extérieurs qui, sans doute, ne poursuivent pas tous avec bienveillance les petits progrès de la Tunisie.

Alors, quelles conclusions en tirer ?

Établissons un inventaire : le quatrième brouillon de la constitution est proche de l’adoption, si les points réclamés par les experts sont modifiés. Ceux-ci se laissent vite retirer, mais sont cruciaux pour déterminer un avenir autodéterminé, responsable, à l’abri de l’arbitraire ou bien de sceller la future dictature, pour ne pas dire théocratie.

Les sondages les moins favorables à l’égard d’Ennahdha prédisent que celle-ci ne peut plus compter que sur environ 12 % des voix. La dissolution de l’ANC, le vote d’une nouvelle assemblée, ferait peut-être changer l’équilibre en faveur de l’opposition « moderniste ». Mais se prétendre moderne, séculaire ou laïque ne présente pas de garantie, en soit, à être plus démocrate.

Selon mon constat, l’opposition, à part quelques exceptions méritoires, se faisait trop souvent remarquer soit par un pragmatisme presque embarrassant à l’égard du parti majoritaire, soit par une fixation sur les postes à pouvoir. Trop souvent on entend que certains veulent présenter leur candidature pour la présidence, mais ne se donnent même pas la peine de prétendre poursuivre un programme de développement quelconque.

De toutes manières, une constitution véritablement représentative de tous les Tunisiens devrait être rédigée par des experts, hommes et femmes, en droit constitutionnel et en histoire ; par des personnes respectées, des jeunes de la révolution, des représentants de la société civile et de tous les courants, y compris les minorités, afin d’aboutir à un vrai contrat social,.

Il est dans la nature des choses d’observer que des partis, chargés de rédiger une constitution, chercheront à préfixer leurs propres intérêts au détriment des autres. Mais ce n’est pas admissible.

Si Ennahdha est exclue du processus transitionnel, la vraie violence s’installera en Tunisie. Si nous faisons appel à l’armée, une dictature militaire s’installera ; l’état d’urgence sera décrété.

Un regard vers l’Égypte suffit pour avoir une idée des implications. Reste à ne pas oublier que Ben Ali provenait de l’armée.

À mon avis, et ce n’est qu’un avis qui s’élabore sur la base des donnés qui me sont accessibles, je recommande à la société civile de mettre tout son poids – manifestation à grand nombre à fin ouverte – pour obtenir les concessions suivantes :

  • En aucun cas ne faire appel à l’armée ;
  • S’assurer cependant que l’armée et la police ne font rien qui puisse nuire à la contestation légale ;
  • Si un nouveau gouvernement est exigé, il serait conseillé que celui-ci soit le plus sommaire possible et que les ministères clefs soient confiés à des personnes politiquement neutres et de confiance générale ;
  • Terminer la rédaction de la constitution par des experts de renommée, en collaboration avec des personnalités comme mentionnées ci-dessus, pour aboutir à une vraie démocratie, seule garante de la poursuite d’un travail légal pour l’opposition, mais également, aussi ironique que cela puisse paraître, pour Ennahdha ;
  • Exiger la dissolution immédiate des Ligues de la protection de la révolution ;
  • Préparer au plus vite de nouvelles élections, mais faire attention à ce que la représentativité soit mieux assurée. Ennahdha a par exemple profité de presque dix voix de plus parce que des candidats indépendants n’ont pas pu ramasser assez de voix pour entrer dans l’Assemblée nationale, ce qui à profité au parti majoritaire ;
  • Seule la compétence doit être un critère pour occuper une tâche, et non l’appartenance à un parti. Les gouverneurs devraient être choisis par vote ;
  • Aux médias : que soit fait l’appel d’organiser des débats nationaux entre salafistes, néo-salafistes et démocrates. Expliquer l’essence de la démocratie, animer la réconciliation nationale, inviter des experts en économie, en histoire, en théorie d’Etat, etc.