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Par Omar Alsoumi, coordinateur à Tunis du Mouvement des jeunes Palestiniens (PYM – Palestinian Youth Movement), membre fondateur de Génération Palestine, association européenne de jeunes pour la Palestine établie à Paris. Professeur de développement social.

Quand j’ai lu sur le site de Oumma.com que l’AIPAC, l’American-Israeli Public Affairs Committee, était à Tunis pour une visite officielle et des rencontres avec les principaux partis politiques tunisiens, mon sang n’a fait qu’un tour.

Militant du Mouvement des jeunes Palestiniens, je suis à Tunis depuis bientôt un an. J’ai participé, avec des jeunes militants de différentes organisations politiques tunisiennes, à coordonner la Conférence des jeunes Arabes pour la dignité et la libération qui s’est tenue à Tunis en décembre [1]. La question de la normalisation avec le régime sioniste est centrale dans l’espace politique arabe, et elle se pose ici avec une acuité particulière depuis la révolution tunisienne. L’ouverture de l’espace politique a renouvelé les espoirs et les ambitions auparavant contenues sous le couvercle de l’autoritarisme. « Le peuple veut la libération de la Palestine » est un slogan consensuel auquel de nombreux militants cherchent une traduction concrète dans la nouvelle Tunisie. C’est autour de l’interdiction de la normalisation avec le sionisme que s’est cristallisé le débat ces derniers mois. L’avant-projet de constitution mentionnait : « la normalisation avec le sionisme est un crime qui doit être puni ».

Finalement, la troïka dirigeante emportée par Ennahdha a renoncé à inclure ce point dans la constitution, affirmant qu’une telle disposition relevait plutôt de la loi, ce qui n’a pas manqué de susciter les réactions critiques d’une grande partie de l’opposition. Dans notre travail visant à constituer un front large contre le colonialisme et le sionisme, nous avons constamment été freinés par les critiques et les réserves sur la participation de jeunes militants d’Ennahdha. Nous avons toujours défendu leur présence, considérant qu’aucune de nos différences ne nous permettait de considérer qu’ils avaient trahi les principes fondateurs de notre rassemblement : le refus du sionisme et la lutte pour l’indépendance.

L’article de Oumma.com affirmait que l’AIPAC, officine centrale du lobby sioniste, était à Tunis, et que « Rached Ghannouchi faisait partie de ses hôtes de premier plan ». Une accusation grave relayée par certains médias tunisiens peu sourcilleux sur la qualité du travail journalistique.[2]

Je me suis donc attelé à vérifier cette information, qui me semblait un peu légère, fondée sur « des sources bien informées » mais mystérieuses, et relayée par un média militant qui a multiplié ces derniers temps les accusations contre les Frères musulmans. L’article présentait un certain Radwan Masmoudi comme la cheville ouvrière des relations entre Ennahdha et les réseaux américains, notamment des think tanks influents de Washington. J’ai alors entrepris de m’informer sur cet homme, le fondateur du Centre pour l’étude de l’Islam et de la démocratie. Et sur sa page Facebook, je découvre une dénégation enflammée de l’article de Oumma.com. En substance : « ce n’est pas l’AIPAC, c’est l’AJC qui est en visite à Tunis ! ». Mais qu’est-ce que l’AJC ?

L’American Jewish Committee est une autre organisation du lobby sioniste, un allié et concurrent de l’AIPAC, le deuxième élément d’un tandem fonctionnant un peu comme Shimon Pérès et Benjamin Netanyahou. L’un parle de paix, l’autre de sécurité, mais ensemble, ils volent leur terre aux Palestiniens, confisquent Jérusalem, traitent d’antisémite qui ose critiquer, et de terroriste qui ose résister. Un coup d’œil rapide sur le site de l’AJC permet de le vérifier… et de découvrir que l’AJC est un habitué des visites en Tunisie. Son directeur des relations internationales, Jason Isaacson, organisait un séminaire à Tunis en 2005, à l’occasion du sommet mondial de l’information qui avait accueilli Sivan Shalom, le ministre des Affaires étrangères d’Ariel Sharon. Depuis, les visites de courtoisie aux gouvernements successifs du régime de Ben Ali se sont enchaînées. La dernière a eu lieu le 15 décembre 2010, deux jours avant que Mohammed Bouazizi ne s’immole à Sidi Bouzid. Le communiqué de l’AJC salue « le rôle positif de la Tunisie pour la paix israélo-arabe, sa tolérance, et son respect des droits des femmes » [3].

Ainsi, Radwan Masmoudi a confirmé que des représentants du lobby sioniste, l’AJC, étaient en visite officielle à Tunis. Qui va les recevoir ? Difficile de s’appuyer sur le seul article d’Oumma.com. Et Radwan Masmoudi, que j’ai contacté, m’a affirmé qu’il ne pouvait pas me renseigner. Le bureau de l’information d’Ennahdha a nié tout contact avec l’AIPAC, et toute information sur une telle délégation [4]. Cela ne vaut pas dénégation d’une rencontre avec l’AJC, mais confirme leur ligne politique officielle de refus des rencontres avec les organisations sionistes. Les responsables du CPR (Congrès pour la République, parti du président provisoire de la République, Moncef Marzouki) et du Parti républicain (un des héritiers de l’opposition à Ben Ali) ont affirmé ne pas avoir été contactés. Mais, alors, quels sont les partis qui ont accepté de recevoir l’AJC ? Peut-être les lobbyistes sionistes se sont-ils contentés de solliciter le gouvernement ? Nous n’en savons rien pour l’instant. Espérons qu’à leur habitude, ils se vanteront bientôt dans un communiqué officiel de l’accueil chaleureux qui leur a été réservé, et nommeront leurs interlocuteurs tunisiens.

En attendant, cette affaire révèle au moins une chose : alors que nos frères palestiniens et syriens sont systématiquement bloqués « pour vérification » à l’aéroport de Tunis-Carthage, les sionistes entrent et agissent sans difficulté en Tunisie.

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[Notes]

[1] Voir le rapport sur Al Mayadeen
[2] A lire “Le puissant lobby sioniste AIPAC reçu en Tunisie
[3] A lire : AJC President Confers with Tunisian Officials, Jewish Community

[4] Communiqué du parti Ennahdha [Ar]