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Palais de justice de Tunis. Crédit photo : Malek Khadhraoui | Nawaat

Notre justice, supposée révolutionnaire, s’illustre de nouveau par un jugement abracadabrant en condamnant le président du Parti Libéral Tunisien à la prison ferme pour homosexualité.

Certes, la peine n’est que de trois mois et elle est considérée comme insuffisante par les ayatollahs de la morale; pourtant, elle est déjà bien excessive, heurtant non seulement la légitimité de l’ordre juridique, mais carrément la légalité, tout en étant contraire à la morale islamique authentique.

Illégitime, la condamnation l’est tout d’abord car elle a été prononcée en application d’une loi faisant partie de l’arsenal juridique liberticide de la dictature que la Révolution est venue abolir.

Illégale, elle l’est de même du fait qu’elle est rendue dans le cadre d’un ordre juridique ancien qui a perdu matériellement toute sa légalité, et ce dès l’abolition de la norme supérieure de l’ordonnancement juridique du pays qu’est la Constitution.

Immoral, enfin, le jugement l’est en se voulant en conformité avec une source islamique censée avoir inspiré le législateur. Cependant, il ne représente en rien l’islam, la tradition dont il s’inspire ayant été théorisée sans discernement par des jurisconsultes musulmans interprétant mal les sources principales de l’islam que sont le Coran et la Sunna, les coulant dans le moule de l’esprit du temps dominé par une éthique judaïque et chrétienne encore prégnante dans la tradition populaire de la péninsule arabique à l’époque.

En effet, il n’est nulle interdiction de l’homosexualité en islam, le Coran n’y prononçant aucune peine et la tradition avérée du prophète n’en parlant point.

Il n’est ainsi aucun commandement y relatif dans le Coran qui ne fait que rapporter, dans le cadre de récits de la tradition judéo-chrétienne, les faits des anciens et leur morale. Or, c’est de cette tradition que se sont inspirés nos exégètes pour leurs constructions théoriques imputées à tort à l’islam.

De même, il n’est aucun hadith sur l’homosexualité dans les deux Sahihs majeurs les plus authentiques que sont Boukhari et Muslim. Certes, il existe bien des traditions attribuées au prophète dans les autres corpus recensant ses dits, mais ils sont soit faux soit sérieusement sujets à caution.

De fait, la condamnation que nous avons dans la conception courante sur la question vient des jurisconsultes musulmans qui, en une époque où la tendance généralisée dans le monde était à l’anathème jeté sur une pareille pratique sexuelle singulière, se sont inspirés de la tradition judéo-chrétienne pour reproduire en islam la condamnation bien explicite dans la Bible. Ce faisant, ils ont faussé l’esprit éminemment de liberté dans lequel baignait l’islam quant aux mœurs, reproduisant les traditions libertaires et nullement prudes des Arabes.

Or, si cette attitude de rejet de l’homosexualité pouvait être acceptée pour une période où tout le monde communiait dans une pareille condamnation de ce qu’on prenait encore pour une maladie et/ou abomination morale, il n’est plus possible de maintenir une telle exégèse aujourd’hui.

C’est que, d’abord, les mentalités ont évolué, la science même démontrant que l’homosexualité relève de l’ordre du naturel; ensuite, parce la pénalisation de l’homosexualité est non seulement injuste, mais qu’elle viole aussi la lettre et l’esprit de l’islam. On a ainsi une double injustice : une faite à la victime et une autre, encore plus grave, faite à notre religion en altérant sa tolérance et les libertés qu’elle reconnaît aux croyants dans leur vie privée.

Aussi, avant même que les défenseurs de M. Baâtour fassent appel d’un jugement inique, invoquant sa nullité absolue et la réparation du préjudice matériel et moral subi par leur client, il est impératif que le ministère public invite les juges à reconsidérer leur jugement nul de nullité absolue.

Ainsi et ainsi seulement nos juges s’élèveront-ils à la hauteur des exigences de notre Révolution à la justice et à la justesse. Ainsi notre justice retrouvera-t-elle la confiance qui lui fait défaut aujourd’hui auprès des larges masses du peuple qui ne s’y reconnaissent nullement. Et alors nos juges honoreront la justice en ce pays redevenu dès lors un pays des libertés !