Les Femen devant le Tribunal de Tunis mercredi 29 mai.

Les trois Femen, Joséphine, Marguerite et Pauline, deux françaises et une allemande ont été condamnées aujourd’hui par le Tribunal de Première Instance de Tunis à quatre mois et un jour de prison ferme. Alors que leurs avocats ont l’intention de faire appel, les leaders du mouvement s’organisent pour mener une autre action.

« Pour nous, le gouvernement tunisien a montré son vrai visage avec cette décision politique. La Tunisie montre clairement qu’elle est sous l’emprise d’un gouvernement islamique qui n’est pas en faveur du droit des femmes ni de la liberté d’expression. »

Interrogée au téléphone, Inna Schevchenko, une des leaders du mouvement Femen à Paris, s’est montrée très déçue du jugement émis à l’encontre de trois de ses camarades. Arrêtées le 29 mai lors d’une action seins nus, devant le Palais de justice à Tunis, pour soutenir la Femen tunisienne Amina, les trois jeunes femmes avaient été mises en prison et inculpées sur la base des articles 226 et 226 bis du code pénal tunisien qui sanctionne « l’outrage public à la pudeur » de six mois d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à 1000 dinars.

Le 5 juin, leur procès avait été reporté, à la demande des parties civiles. C’est le juge tunisien Karim Chebbi qui a statué sur leur sort mercredi 12 juin 2013. Les Femen ont été interrogées par le juge en fin de matinée au Tribunal de Première Instance de Tunis.

Islam contre liberté d’expression

Selon l’AFP, elles ont assumé leur acte tout en déclarant que leur intention n’était pas de choquer la religion « musulmane mais de mener une action « militante » pour soutenir leur amie Amina. Le juge a demandé si elle connaissait le fait que le pays était musulman et donc qu’elle pouvait heurter la sensibilité des Tunisiens. L’une des Femen a rétorqué qu’elle savait qu’on pouvait « être topless sur les pages de Hammamet » selon un témoin au procès.

L’outrage à la pudeur n’a en effet pas été le principal argument utilisé par les avocats de la partie civile. D’après l’AFP, ces avocats ont surtout comparé leur action au choc que cela pouvait représenter dans la religion musulmane. Le référentiel religieux a été fréquemment utilisé par les avocats de la partie civile tandis que la défense, incarnée par Maître Leila Ben Debba, a plaidé pour la liberté d’expression. L’autre avocat, Maître Souheil Bahri, également avocat d’Amina a plaidé en déclarant qu’il fallait arrêter de faire prévaloir “l’Islam” dans toutes les affaires juridiques.

Le jugement rendu a également suscité la surprise pour la militante et avocate Bochra Bel Haj H’mida qui ne soutient pas le mode d’expression du mouvement des Femen mais déplore la sévérité de la peine :

« Je trouve que le recours à cette loi est clairement politique. Il faut rappeler le contexte dans lequel cette loi a été mise en place. C’était sous Ben Ali en 2004 lorsque nous menions une action contre le harcèlement sexuel. Et l’ajout de ces articles dans le code pénal a été vu par beaucoup de femmes comme le moyen de contrebalancer l’article sur le harcèlement sexuel. A l’époque c’était déjà une manière d’intimider les femmes. »

Une justice deux poids deux mesures?

Mme Bel Haj Hmid a également souligné une justice « deux poids deux mesures » qui condamne à deux ans avec sursis certains délinquants (en référence au procès des inculpés dans l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis) mais à « quatre mois de prison ferme » ces jeunes femmes. « Sur le plan légal, les juges ont le droit de condamner ces filles mais ce jugement est beaucoup très sévère, il est réservé aux récidivistes. » Or il semble que l’argument de la récidive ait été utilisé par le juge puisqu’il a estimé que les Femen ont récidivé en Tunisie, ayant déjà mené des actions seins nus ailleurs. Ce à quoi, la Femen allemande lui a répondu, “Je me réjouis de chaque opportunité pour exprimer mes positions politiques” d’après l’AFP.

Cette justice deux poids deux mesures a également été dénoncée par maître Souheil Bahri qui estime que la justice n’a pas été indépendante dans son verdict et soumise à une certaine “pression politique.”

“La sévérité de la peine est disproportionnée au regard des faits et nous comptons bien faire appel.”

Et Amina?

Les Femen en France craignent que ce genre de jugement présage le pire pour celui de la Femen tunisienne Amina. Inna Schevschenko a confié son inquiétude :

« Cette décision montre que le pays s’éloigne un peu plus des standards de la modernité. Quand on voit comment la justice tunisienne s’est comportée envers des femmes européennes, on ne peut que craindre le pire pour Amina, une jeune tunisienne. »

La militante affirme pourtant que les Femen vont se mobiliser et revenir en Tunisie pour mener d’autres actions seins nues. Elles en ont fait une devant l’ambassade de Tunisie en Espagne et une autre devant l’ambassade tunisienne en Suède ainsi que devant le parlement européen pour soutenir leurs camarades.

Peu de soutien en Tunisie

En Tunisie, le mouvement n’attire pourtant pas les soutiens de la société civile. Bochra Bel Haj Hmida déclare qu’il y a peu de chances pour qu’une association comme celle des Femmes démocrates se mobilise pour leur sort :

Malheureusement ces femmes nous ont imposé un agenda à un moment où la Tunisie a d’autres préoccupations. Quand on veut se solidariser avec une cause ou des femmes dans un pays étranger, il faut avoir une certaine connaissance du terrain et évaluer si cela sera réellement bénéfique au pays. Je pense que cela n’a pas été le cas et vu le temps que prend le juge d’instruction pour émettre une décision pour Amina, cela ne l’a pas aidée non plus.
Bochra Bel Haj Hmida

La jeune Femen Amina de 19 ans est également en détention à Sousse et attend depuis le 5 juin un verdict du juge d’instruction du tribunal de première instance de Kairouan sur la base de trois accusations : participation à une association de malfaiteurs, atteinte aux bonnes mœurs et profanation de sépulture.