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Le Think Tank Carnegie Middle East Center a sorti une étude sur l’éducation à la citoyenneté dans onze pays arabes. D’une nation à l’autre, l’éducation à la citoyenneté, premier jalon de la démocratie, peine encore à faire son chemin.

La connaissance des concepts, des systèmes et des processus de citoyenneté comme l’éducation aux droits de l’homme et à la démocratie, les capacités à participer à la vie citoyenne et le sens de l’appartenance à l’état ainsi que le partage de valeurs communes, construisent l’état démocratique. Des études menées par le Think Tank américain Carnegie middle east center se sont intéressées aux programmes proposés dans les écoles du monde arabe sur l’éducation civique. L’étude a révélé un fossé entre le contenu des livres scolaires à l’échelle nationale et leur implantation réelle. Onze pays (La Tunisie, l’Egypte, l’Algérie, le Maroc, le Bahreïn, le Royaume d’Oman, les Emirats Arabes Unis, la Jordanie, le Liban, l’Irak et le Koweit) ont été étudiés avec de nettes différences entre les pays en processus révolutionnaire et les pays encore sous un régime autoritaire. Mais dans tous les pays, le manque de pratique réelle de la citoyenneté se fait également sentir.

Plusieurs problèmes sont évoqués: La persistance de l’autoritarisme dans les structures éducatives et administratives créée par le système politique qui se reproduit dans la société. Malgré une diversité religieuse et spécifique à chaque pays, les systèmes éducatifs manquent de pluralisme et d’ouverture dans les pays arabes selon l’étude.

« Les écoles sous l’égide de régime autoritaires ne voient pas d’un bon œil la liberté d’expression, le respect de la diversité des opinions, la créativité, l’innovation. »

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Dépenses pour l’éducation dans les pays étudiés.

Des manques en matière d’éducation

La Tunisie fait partie des pays « partiellement libres » avec le Liban, le Maroc et l’Egypte depuis la révolution selon le rapport qui mesure cette liberté en fonction des droits civiques et politiques. La plupart des régimes du monde arabe dépensent beaucoup d’argent pour l’éducation, presque autant que d’autres pays réputés pour leur excellent système éducatif comme le Canada ou la Finlande. L’autre critère est le taux d’inscription à l’école primaire par exemple, qui témoigne également de la performance du système. A première vue, l’argent dépensé et le taux d’inscription massif laisse à penser que le système est performant mais si l’on teste l’étudiant sur des tests internationaux en lecture, mathématiques et sciences, les onze pays arabes étudiés semblent en dessous de la moyenne. Le budget consacré à l’éducation n’est donc pas le seul facteur pour une bonne éducation, une bonne gouvernance et un contexte politique sain sont également nécessaires.

L’héritage autoritaire fait que par exemple, les ministères de l’éducation centralisent tout le système éducatif sans réforme profonde. A cela s’ajoute un enseignement souvent trop scolaire qui ne pousse pas les élèves à penser avec un esprit critique.

Le paradoxe repose donc sur le budget massif octroyé à l’éducation qui ne pallie pourtant pas les lacunes du système éducatif.

Etre un bon citoyen, c’est être un bon musulman?

L’autre enjeu reste la vision de l’éducation à la citoyenneté pour certains pays qui promeuvent plus des valeurs religieuses et nationalistes que citoyennes. Dans le cas de la Tunisie, la réforme éducative de 2002 parle d’apprentissage de « la confiance en soi qui doit refléter l’appartenance culturelle dans sa dimension arabe, islamique et universelle. »

Les nations arabes ont en effet différentes approches avec des programmes d’éducation civique, obligatoires pour la plupart des pays, qui sont intégrés dans les cours de langue arabe, de littérature arabe et d’éducation religieuse. Mais le temps imparti pour les cours d’éducation civique reste assez faible.

« Dans la plupart des pays arabes, plus de temps est consacré à l’éducation musulmane qu’à l’éducation civique ». Autrement dit, les élèves passent plus de temps à apprendre comment être de bons musulmans que de bons citoyens. En Egypte, être un bon citoyen revient avant tout à être un bon musulman. Pour la première année de lycée, le nouveau livre scolaire présente dix sept attributs que le bon citoyen doit posséder. Les deux premiers sont «croire en Dieu et s’engager à respecter ses doctrines religieuses tout comme les religions des autres.» Ensuite viennent le vote, l’engagement politique, la tolérance etc…

Une idée positive de la démocratie

Paradoxalement, malgré les types de régime sous lesquels sont certains pays comme la Jordanie ou l’Irak, la plupart de leurs livres scolaires décrivent de manière positive le concept de démocratie et l’encouragent même dans le cas de l’Algérie, la Jordanie, l’Irak, le Liban, le Maroc, la Palestine, et la Tunisie. Le royaume d’Oman et les Emirats Arabes unis établissent comme modèles politiques la notion de « Choura » (conseil religieux). Quant au Bahreïn et à l’Egypte, ils incluent aussi bien des références aux démocraties occidentales qu’ à la Choura islamique. Mais malgré cette propension à la démocratie, les livres scolaires restent déconnectés des réalités selon l’étude. Par exemple, les livres tunisiens font l’éloge de la démocratie alors qu’ils avaient été écrits sous le régime de Ben Ali. Tout comme au Bahreïn, où le système politique est décrit comme « démocratique » et le livre scolaire explique que le peuple est la « source de toutes les autorités ».

Démocratie et Islam comme principes de citoyenneté

Dans certains pays post révolutionnaires, la vision de l’éducation à la citoyenneté a déjà été réformée. En Egypte, l’enseignement de la démocratie est promulgué dans une perspective islamique notamment dans la version réformée après janvier 2011. Le chapitre consacré à la démocratie est inclus dans la section, « Démocratie dans la pensée islamique ». Il en est de même pour les droits humains, certains pays dont la Tunisie font ouvertement référence aux droits de l’homme dans les livres scolaires tandis que le Bahreïn, l’Egypte et la Jordanie soutiennent les droits de l’homme mais dans le contexte des limites imposées par la Charia, revendiquant la notion de spécificité culturelle.

Mais encore une fois, la réalité semble éloignée des préceptes éducatifs. En Egypte, malgré le non-respect des droits de l’homme en période transitionnelle, les livres scolaires accordent une grande place à la question des droits humains tout comme les livres du Bahreïn. En Egypte, on liste avant tout les droits humains en Islam qui incluent le droit d’asile, de sécurité, du travail, de santé, et de sécurité sociale. La Tunisie se démarque des autres pays de par sa constitution de 1959 qui reconnaît des droits aux femmes selon les conventions internationales. Par contre, le royaume d’Oman et les Emirats Arabes Unis ne citent pas dans leurs livres scolaires la Déclaration Universelle des Droits de l’homme. De plus, mis à part le Liban et la Tunisie, tous les pays considèrent l’Islam comme source de législation ils ne vont donc pas soutenir des lois ou de déclarations en contradiction avec ces préceptes. L’éducation à la citoyenneté est donc fortement dépendante des réflexions sur la compatibilité entre démocratie et Islam.

L’identité citoyenne souvent réduite au nationalisme

Du côté de l’identité citoyenne, celle-ci est souvent décrite en termes d’appartenance à une nation, être loyale à celle-ci ainsi qu’à ses leaders. Dans la plupart des pays l’identité arabo-musulmane est souvent sous-entendue dans la définition de la citoyenneté. Mais pour ce qui est d’être un « bon citoyen » les pays différent sur les critères. Par exemple au Bahreïn et au Maroc, « être un bon citoyen » équivaut souvent à être fidèle au pays et loyal envers son dirigeant tout comme dans les Emirats Unis ou dans le Royaume d’Oman. En Tunisie, un bon citoyen participe à « l’élaboration des lois » et à la prise de décision, « contribue aux fonctions publiques » et il est « responsable pour le bon fonctionnement des institutions. » Encore une fois, cette étude se base sur des livres scolaires datant de l’ère Ben Ali. On peut voir à quels points les préceptes du « bon citoyen » étaient en décalage avec la réalité du pays.

Un manque de prise en pratique

Pour ce qui est de la participation civique, les textes scolaires sont peu détaillés. On parle souvent de volontariat, et d’activités caritatives. Aider celui qui est dans le besoin ou démuni est d’avantage considéré comme un devoir religieux que comme une responsabilité civique. Mais on lit peu de choses sur l’engagement politique ou même l’engagement associatif qui peut influencer sur la bonne gouvernance. En Tunisie, Palestine, Algérie et au Liban, les textes scolaires restent malgré tout explicites sur l’importance de la participation au vote dans des instances nationales et provinciales. Mais il n’est pas fait mention de pétition ou de manifestations pacifiques qui sont aussi le fruit de la citoyenneté.

« Aucun livre scolaire ne guide les étudiants ou ne présente de modèles sur comment influencer le mode de gouvernance(…) quand on arrive à la participation à la vie en communauté, celle-ci est restreinte au bénévolat dans des organisations apolitiques et non partisanes, comme des clubs de sport ou ONG caritatives. Mais aucun pays n’encourage les étudiants à être actif politiquement ou à s’engager dans des parties politiques ».

L’aspect extra scolaire de l’apprentissage citoyen est donc négligé et les étudiants ne peuvent pas développer leurs capacités à devenir de bons citoyens hors de l’espace scolaire. La seule activité « politique » reste la participation à des célébrations de fêtes nationales qui prêtent souvent allégeance au leader ne place. Etre éduqué à la citoyenneté requiert un aspect pratique qui semble être insuffisant.

La notion de citoyenneté encore à développer

L’étude conclue que malgré des efforts de la part des pays arabes pour introduire les notions de citoyenneté, de démocratie, de droits humains dans les livres d’éducation civique ou dans les programmes scolaires, l’enseignement et la pratique restent lacunaires et n’encouragent pas à aller vers une réelle conscience citoyenne. Cet encouragement dépend d’une volonté politique et nationale d’établir une réelle sensibilisation à la citoyenneté. L’autre question qui n’est pas posée dans le rapport mais qui émerge à sa lecture est de savoir comment les révoltes arabes peuvent impacter cette notion de citoyenneté.

En Tunisie, malgré une correspondance avec tous les critères évoqués, la population a su s’emparer des bases de la citoyenneté lors de la révolution en demandant des élections, le droit de participer à la rédaction de la constitution ou encore en soutenant les fréquentes manifestations. Comment les livres scolaires tunisiens s’approprieront cette mise en pratique effective et autonome de la citoyenneté ? Cette question reste encore en suspens alors que l’apprentissage de la démocratie semble se faire sur le terrain et non dans les livres.

L’intégralité du rapport en anglais:

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