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La nouvelle liste des candidats est à peine diffusée le lundi 13 mai que le Tribunal Administratif décide de geler les activités de la commission de tri le lendemain: motif le délai trop court pour le dépôt des candidatures et l’échelle d’évaluation dont certains critères sont contraires à la loi. Cette décision n’est pourtant que le suite d’une succession de polémique au sein de la commission qui laisse planer le doute sur l’avenir de l’instance.

«Le choix se fera dans le vote, là on ne peut plus vraiment faire grand-chose» témoigne Jalel Bouzid, député d’Ettakatol et membre de la commission de tri des candidatures de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections. Or, il est possible que dans les jours qui viennent, le vote sur les candidats n’ait même pas lieu. Après les premières sélections qui ont commencé vendredi 10 mai, le Tribunal Administratif de Tunis a finalement statué en faveur de la plainte déposée par le collectif des 25 avocats en mars 2013.

La pétition lancée à l’époque par le collectif, dénonçait les anomalies des décisions prises par la commission de tri sur les critères d’évaluation des candidats et sur la prolongation du délai des candidatures. Selon Maître Amor Safraoui, membre du Collectif des 25, ce sont surtout des erreurs de forme que la commission a commise dans sa manière de faire contraires à ses prérogatives énoncées par la loi sur la création de l’ISIE. Mardi 14 mai, le Tribunal Administratif a décidé de geler les activités de la commission de tri pour des vices de forme au sujet de la grille d’évaluation établie par ladite commission. En effet, les députés avaient choisi de sélectionner les candidats en fonction de tranche d’âge basée entre 35 et 45 ans et 45 et 55 ans.

Ce critère de sélection avait créé un doublon pour les gens ayant par exemple 45 ans, qui se retrouvaient dans les deux catégories et donc privilégiés. Autre problème de forme : Le dépôt des candidatures et la prolongation des délais. Les députés avaient publié une décision au journal officiel comme quoi ils prolongeaient les délais de dépôt des candidatures en mars 2013 mais ils n’ont pas respecté le temps imparti de 5 jours entre la publication et l’application de celle-ci. Ces vices de forme sont énoncés en détail dans la décision du Tribunal Administratif publiée dans l’édition du journal Le Maghreb datée du 15 mai.

“Globalement ces vices de procédures étaient contraire à la notion d’égalité des chances édictée par la loi” commente Amor Safraoui.

Des candidatures déjà contestées

Cette décision arrive à un moment critique pour la commission dont les décisions sur les candidatures retenues sont déjà contestées. En effet, plusieurs députés ont élevé la voix depuis vendredi pour dénoncer certaines candidatures qui ne semblent pas correspondre aux critères d’intégrité, d’indépendance et de neutralité requis par l’article 7 de la loi sur l’ISIE. Ainsi les députés Ali Belchrifa et Selma Baccar ont dénoncé les candidatures de Leila Bahria, actuelle secrétaire d’Etat au Ministère des affaires étrangères, celle de Houda Touzri, conseillère au Ministère des droits de l’homme et de la justice transitionnelle ou encore celle de d’autres membres réputés proches du parti Ennahdha.

«Le problème est que malgré les discussions, nous ne sommes parvenus à trancher sur ces candidats.» témoigne Selma Baccar. En effet, il faut des documents, preuves à l’appui, que telle personne a fait parti d’un parti politique. Seulement cela n’est pas explicitement dit dans la loi sur l’ISIE. En effet la loi stipule les conditions requises pour se porter candidat et la peine encourue si la personne a donné de fausses informations. Mais elle ne dit rien sur les procédés de vérification de ces informations. «Est puni d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de mille dinars quiconque, sciemment, fait de fausses déclarations ou dissimule une des interdictions de candidature prévues par la loi et ce, sans préjudice de la poursuite dont il peut faire l’objet en application des dispositions du code pénal.» (Art 7 de la loi sur l’ISIE).

C’est ainsi que pour vérifier l’origine des candidats et la véracité de leurs dossiers, les députés se sont appuyés sur un rapport demandé au Premier Ministère.

«C’était une très mauvaise idée car nous nous sommes rendus compte en recevant le rapport qu’il ne visait que deux candidatures. Un homme qui aurait été RCdiste et une candidature, d’une avocate qui aurait été liée au PCOT.» Commente Selma Baccar députée du Bloc démocratique et membre de la commission. Selon elle, ce rapport était politisé et faux puisqu’il a omis de signaler que des certains candidats (cités ci-dessus) occupaient actuellement des postes au sein du gouvernement.

«Comme par hasard, le rapport ne mentionne pas un seul candidat qui serait lié à Ennahdha alors que nous avons des preuves que l’un des candidats a participé à la campagne électorale de l’un des députés nahdhaoui, faisant parti de la commission.» ajoute-t-elle.

Nous avons tenté de joindre le Premier Ministère et le chargé des relations avec l’assemblée constituante, Nourredine Bhriri pour connaître les critères de vérification des dossiers des candidats. Cette tentative de contact est restée sans réponse.

27 candidats s’opposent à leur rejet

Une candidate éliminée, Sonia ben Amor, a décidé de porter plainte lors de son élimination de la liste des 98 candidats comme 27 autres mécontents. «Je la connais en tant qu’avocate. Elle a eu comme client Hamma Hammami une fois et a plaidé en sa faveur. Certains en ont déduit qu’elle faisait partie du PCOT. Alors qu’elle a amené une attestation du parti lui-même pour prouver qu’elle n’y a jamais adhéré.» Témoigne Samia Abbou, députée CPR et 1er rapporteur adjoint de la commission. Une autre avocate Latifa Guizani, membre du barreau depuis 1988 a aussi exprimé son indignation face à son rejet : «On m’a sorti que j’étais une ancienne RCDiste alors que je n’ai jamais été encartée» En effet, des zones d’ombres subsistent sur la procédure de vérification des dossiers de candidature par le gouvernement.  «De notre côté, nous n’avons pas le temps d’aller vérifier donc nous nous sommes basés sur ce rapport.» commente Néji Jmal, député nahdhaoui et rapporteur de la commission. Lilia Rebaï, représentante de l’ATIDE (l’Association Tunisienne pour la Transition pour l’Intégrité et la Démocratie des Elections) a dans ce sens, appelé à plus de transparence dans le déroulé du travail de la commission :

«Ils auraient dû rendre publiques les notes des candidats et ouvrir les possibilités de recours.»

 Pour la première sélection des candidatures, l’assemblée ne semble pas non plus avoir respecté la procédure en ne donnant pas d’argumentaires aux candidats sur ce qui a pu motiver leur refus selon la décision du Tribunal Administratif.

Blocage au sein de la commission

 Aujourd’hui, la commission qui devait commencer à auditionner ses 98 candidats dès jeudi est désormais bloquée pour des raisons antérieures aux premières polémiques. Pour les députées Selma Baccar et Samia Abbou, cette décision du Tribunal est difficilement compréhensible. «Nous aurions pu régler cela en interne,  il a fallu qu’ils nous bloquent entièrement dans notre travail.» déclare Selma Baccar.

«La décision du tribunal est abusive ils ont interprété la loi de l’ISIE à leur gré.» déclare Samia Abbou.

Selon Sami Ben Abderrahmane, juge au tribunal administratif, la décision ne force pourtant pas les députés à refaire tout leur travail. Elle les oblige juste à revoir les critères de sélection des dernières candidatures. «Ils doivent juste revoir les critères et peut-être rouvrir certaines candidatures. La décision n’est pas une décision sur le fond, c’est un sursis à exécution. C’est-à-dire que nous avons statué sur des irrégularités dans la manière de travailler de la commission.» Pour la députée nahdhaouie Fattoum Lassoued, il s’agit désormais de prendre en compte ce jugement : «il faut respecter la loi, nous allons voir comment éviter de tout recommencer depuis le début en prenant en compte la décision du Tribunal.» Les députés ont décidé mercredi 15 mai de la démarche à suivre. Selon le député rapporteur adjoint, Néji Jmal, les 98 candidatures sont conservées mais les auditions prévues en fin de semaine sont suspendues. En attendant, le président de la commission va consulter des experts en justice administrative afin de faire appel de la décision du tribunal. “Nous voulons expliquer au Tribunal les raisons de certaines de nos modifications. Nous n’allons pas rouvrir l’appel à candidatures, cela prendrait trop de temps.” a conclu le député.