Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

essebsi-klebis

Le scénario paraissait au départ fort improbable. Impensable même ! Mais les jours passant, ses contours se mettent pourtant peu à peu à se préciser. Et il apparaît alors clair qu’un tel scénario a bien été pensé, réfléchi, et mis à exécution à grands renforts de ‘liquidités’.

Le premier épisode de ce scénario s’est écrit il y a de ça maintenant deux ans. Dans l’empressement et face au chaos qui menaçait au lendemain de la Révolution, le commun des citoyens a vu réapparaitre devant ses yeux le vieux Béji Caid Essebsi, déambulant tel un mort-vivant tout droit revenu de sa tombe. Quelque peu crédule, un tantinet résigné, et n’ayant pas été invité à donner son avis, ce même tunisien ne pouvait alors qu’entériner de telles retrouvailles. Faute de mieux, pensait-il ! Dans une pénombre que l’on sait propice à masquer les détails des choses, le vieil homme pouvait alors un temps apparaître comme un saint, tout auréolé de son diadème de sage ! Un vieux sage, qui, à bien y regarder, n’a en vérité de sagesse que le nombre d’années qu’il affiche sur son compteur temporel et les strates de rides empilées sur le visage. Lui ayant déjà consacré ici même toute une chronique, je n’ai nulle intention à m’attarder de nouveau sur ce personnage tout à la fois pathétique, écoeurant, et néanmoins romanesque !

Celui que ses adorateurs zélés appellent ‘Si Béji’, ayant tous été allaités au biberon du ‘ta9fif’ et élevés dans le culte de l’adoration et l’agenouillement au maître, n’est autre qu’un vieux renard de la politique. Adepte de la tactique dite des étapes dont il a dû sûrement se gaver auprès de son défunt mentor Bourguiba. Une stratégie qui avait déjà fait ses preuves, permettent à l’ancien despote d’évincer un à un tous ses adversaires politiques et jusqu’à finir par asseoir un règne sans partage ni contestation. ‘Si Béji’, tout comme son parcours le révèle, est ainsi un éternel revenant. Rompu à l’exercice du retournement de veste et à la ramification des alliances. Et c’est sans doute ce qui a fait croire à bien de tunisiens, aussi naïfs que la célèbre autruche qui s’enfonce la tête dans le sable pour se croire à l’abri de tout danger, que le retour du vieil homme au-devant de la scène n’était cette fois-ci qu’un épiphénomène sans lendemain, tout juste suscité par les circonstances. Persuadés tous, moi le premier, que le vieux ne faisait là que se livrer à son ultime parade ; le temps, qui lui est inéluctablement compté, devant logiquement se charger de le renvoyer définitivement aux oubliettes… Que de légèreté ! Que d’idiotie même !

La suite, les Tunisiens la connaissent. En spectateurs fatalistes, ils ont dû d’abord se rendre à l’évidence que le vieux avait encore plus d’un tour dans son compteur et n’entend nullement rendre l’âme de sitôt ; l’ambition politique et l’ivresse du pouvoir étant de longue date connues pour être des élixirs de jouvence et des boosters de longévité. Et puis, et c’est là que réside le nœud de la discorde, ces mêmes tunisiens allaient s’apercevoir au fil des jours que le vieux était loin d’être seul, et était même porteur d’un ‘projet’ ! Et seul alors un dupe pouvait ne pas voir toute la horde de frelons affamés qui se bousculaient par derrière, tous empressés de s’y frayer une place. La simple personne de BCE ne servant en réalité que de paravent à tous les anciens Rcdistes et autres nostalgiques du bourguibisme qui, loin d’avoir abdiqué, voyaient là une fenêtre entrouverte pour regagner une maison de laquelle ils se sont fait chasser et venir se replacer dans le jeu politique. Le lancement de ‘Nidaa Tounes’ n’allait être ainsi que l’aboutissement, toute logique, de cette première phase du scénario. ‘Nidaa Tounes’, un nom qui, venu d’anciens conspirateurs ayant été au cœur de toutes les dérives mafieuses et acteurs centraux des politiques désastreuses adoptées sur des décennies entières, -il n’y a pour s’en convaincre qu’à parcourir du regard le parterre des têtes placées aux premiers rangs des meetings de ce parti-, sonne en lui-même comme une provocation ! La Tunisie (Tounes), si riche de sa jeunesse et d’une Révolution qui se veut fondatrice d’une conduite nouvelle et d’un ‘destin nouveau’, a-t-elle seulement un jour fait appel (Nidaa) à ces vieux de la vieille pour qu’ils lui redessinent un avenir ?

La réussite, car il faut bien admettre que c’en est une, de cette première étape du scénario n’aurait sans doute pas pu s’accomplir, si ce n’était l’argent ! De l’argent qui, dans un pays que l’on dit exsangue, ne semble pas manquer aux caisses de ce parti. Il semble même s’y verser à flots ! De l’avis même du trésorier dudit parti qui invité un soir sur les plateaux de la malodorante Nessma, toute acquise à sa cause, ne s’embarrassait pas de le clamer : « Oui, nous sommes un parti riche »… Et comment !

Une richesse amassée au prix d’un appauvrissement soutenu infligé sur des décennies durant au petit peuple. Une richesse faite de l’extorsion et de la spoliation de centaines de biens mal-acquis qui demeurent, et le resteront hélas, entre les mains des dignitaires de l’ancien régime et autres entrepreneurs véreux qui se savent mal-aimés et sous la menace de poursuites, et qui ne lésineront pas sur les moyens pour appuyer un parti dont ils savent pouvoir compter pour se blanchir les mains et se refaire une virginité. Une richesse tout aussi bâtie par le détournement fait, au vu et au su même des forces de sécurité censées ouvrir l’œil dans le seul aéroport du pays (-et ce jusque sous l’exercice de Laârayedh au Ministère de l’Intérieur), de centaines de kilos d’or en lingots (voir l’article de Nice-Matin daté du 16 février 2013, et intitulé : ‘L’or sale de Ben Ali est-il passé impunément par Nice ?’).

De l’or extrait des entrailles de la banque centrale tunisienne et qui, j’en suis convaincu, ne fait que transiter pour mieux s’échanger et revenir sous forme de ‘liquide’ garnir encore les caisses dudit parti. Des liasses de billets qui, en l’absence de tout contrôle, affluent de toutes parts pour soutenir la contre-offensive organisée. L’argent étant le nerf de la guerre, il y a là largement de quoi mener à bien l’entreprise de ‘réhabilitation’, et repartir corrompre de nouveau, comme ils en ont si bien l’habitude, et par milliers hélas, des petites gens en détresse, et jusqu’à même des élus du peuple. Le dernier exemple venant de Adnane Haji qui, prétextant vouloir pactiser avec le diable pour exorciser sa paranoïa maladive envers Ennahdha, ne s’est pas privé d’aller y faire un tour. L’histoire de ce dernier ne révèle pas l’exacte montant de la somme qu’on a dû lui remettre en sous-main, ni le détail des propositions alléchantes d’une carrière future qu’on a également dû lui miroiter !

Et pendant ce temps… Que faisait donc le pauvre tunisien ?

Exténué à courir d’un épicier à l’autre pour dénicher une brique de lait pour ses enfants, et à arpenter tous les marchés du coin pour dégoter quelques carottes à prix abordable de quoi au moins garnir un peu son couscous, le petit citoyen se débat de plus en plus dans un quotidien qui le noie de toutes parts et ne lui laisse plus beaucoup de temps, ni de forces, à une quelconque réflexion. Lassé des turpitudes de ses élus et d’une fichue Constitution qui n’est pas prête à voir un jour le jour (!), ce même pauvre citoyen ne sait plus où donner de la tête et se voit contraint à ranger ses dernières illusions aux oubliettes. Assistant à ce qui l’entoure presque apathique, sans réelle réaction, ne pouvant ainsi que regarder des têtes de l’ancien régime parader d’un plateau-télé à l’autre, et réhabituant ses oreilles à un néologisme que l’on croyait appartenir à jamais au passé (le Destour, le néo et l’ancien, et tout le tralala qui va avec).

Le temps finissant toujours par accomplir son œuvre, un tel travail de sape a peu à peu dépeint sur les esprits ; et ce n’est alors plus aujourd’hui la seule guignolesque Nessma qui se fait la porte-parole de BCE et de son parti. Acceptant de lui emboîter le pas, Hannibal à son tour semble avoir largement révisé sa ‘ligne éditoriale’, permettant ainsi à l’un de ses présentateurs vedettes, j’ai nommé Walid Ezzaraa, d’annoncer clairement la couleur. Ce dernier, flanqué de Habib Jgham et autre Hala Dhaouadi, tous connus pour avoir été des petites faillotes au solde de Leïla et de sa cour (il n’y a qu’à aller jeter un œil sur leurs anciens papiers de presse !), dans son émission faussement intitulée ‘Bila moujaamala’ (traduisons : Sans complaisance !) datée du 5 Avril 2013, parlant alors de la fête des martyrs qui se préparait pour le 9 Avril, est allé jusqu’à oser une infamante précision : « La fête des vrais martyrs… pas les faux ! » (entendons par là, car nous ne sommes pas aussi bêtes que ce décervelé le pense, que les récents morts de la révolution, eux, ne mériteraient pas un tel titre !). Le crétin à la carrure de pitbull et à la cervelle de sardine, finissant même son émission par lancer un ‘subliminal’ appel -mais qui là encore ne nous aura pas échappé !- en direction de son nouveau mentor ‘Si Béji’, pour qu’il reprenne vite la direction des choses et les remette en ordre… Honte à vous, bande de traîtres ! Des tonnes et des tonnes de honte déversées au-dessus de vos têtes ! Et que puisse l’Histoire se charger de vous expédier au fin fond de sa déchetterie, pour que vous alliez y rejoindre votre cher maître et sa coiffeuse d’épouse. Car c’est sans doute là, et uniquement là, au bon milieu de la pourriture de votre espèce, baignant dans la puanteur jusqu’au cou, que vous vous sentiriez le mieux !

La suite et fin du scénario ne fait que se préciser de jour en jour. Au pôle de l’Union pour la Tunisie, noyauté par ’Nidaa Tounes’, est venu se joindre un deuxième : Le Front Destourien. Regroupés autour d’al Moubadara du sinistre Kamel Morjane, ce sont cette fois-ci les durs des durs du défunt RCD qui pointent le museau et reforment leurs rangs. Un conglomérat de partis qui n’ont de programmes ni de valeurs communes que d’avoir été au cœur du RCD. Pilotés par des hommes tous au passé lugubre, si lourd de compromission et de traîtrise. Morjane, dans un entretien accordé au journal ‘Achourouk’ daté du 1er avril, parlait lui-même de l’hypothèse d’aller rejoindre Nidaa Tounes pour, selon ses dires, faire fusionner la famille destourienne. BCE ne fait ces jours-ci que lui tendre la main. Et il est ainsi fort à parier que ces deux pôles, aux aspirations et aux méthodes communes, et qui faisaient jusqu’ici mine de s’ignorer, vont finir dans peu de temps, les échéances électorales approchant, par s’enlacer. Enserrant alors dans leur étreinte, jusqu’à l’étouffement, la pauvre Tunisie… Le scénario aura alors été parachevé !

L’aboutissement d’un tel scénario, je ne sais si cela mérite d’être précisé, ne serait sans doute pas à déplaire à nos amis occidentaux. ‘Si Béji’, à ce qui se dit, est un homme qui reçoit beaucoup. Et beaucoup lui prêtent l’oreille. La real-politique finissant toujours par l’emporter sur les bonnes intentions, les occidentaux qui voient d’un mauvais œil l’islamisation des rives sud de la méditerranée, ne ménageront pas leur effort pour appuyer des anciens partenaires qu’ils savent bien plus maniables et autrement plus coopératifs avec eux.

Ne s’improvise pas démocrate qui veut !

Face à une telle conspiration, il convient d’abord de rappeler une vérité toute simple. Redire et marteler que toute révolution se doit d’être une rupture radicale et irréversible avec le passé. Une remise en question profonde qui doit toucher tout autant à l’état d’esprit qu’aux attitudes et aux pratiques de ce passé. C’est ce qui me faisait dire, dans l’une de mes toutes premières chroniques post-révolution : « Maintenant que la Révolution s’est faite dans la rue, il faudra penser à la faire aussi dans les têtes ! »

Le risque d’un retour à la tyrannie n’est ni du délire paranoïaque, ni une facétie intellectuelle de l’esprit. Ce risque existe bel et bien. Et toutes les révolutions s’en sont trouvées un jour ou l’autre confronté.

J’ose alors, avec toute l’humilité qui s’impose, m’ériger ici en porte-voix de tous ces hommes et femmes qui n’ont d’autre à défendre que cette dignité qui leur avait été longtemps confisquée, et qui se sentent aujourd’hui si fiers de l’avoir reconquise au prix du sang et de beaucoup de souffrance. M’élever pour dire : « Nous Tunisiens, et aussi grandes que puissent être nos déceptions et nos frustrations, nous ne voulons pas d’un retour en arrière ! ». Tous convaincus d’une chose : Ne s’improvise pas démocrate qui veut ! Et encore moins s’agissant d’individus qui, toute leur vie durant, n’ont su faire autre chose que se remplir les poches en volant impunément les couches les plus déshéritées de leur peuple. Des voyous aux cols blancs qui, élection après l’autre, passant outre la volonté du peuple, ne se sont fait aucun scrupule à bourrer les urnes, rien que pour se faire leur place à eux au soleil (‘Si Béji’ lui-même en sait quelque chose !). Des malfrats qui ont trempé jusqu’au cou dans les manigances d’un parti qui n’a cessé d’épier le peuple jusque dans son sommeil, et qui faisait de l’oppression une conduite et un art de gouvernance… Ceux-là, nous Tunisiens, nous n’en voulons plus pour présider de nouveau à notre destin !

Face à une telle menace, une mobilisation citoyenne s’impose. A chacun d’entre-nous, et à nous tous. Il ne peut y avoir de conduite autre que celle-là. Une union du cœur d’abord, et de la raison aussi. Une union républicaine, fédératrice, désintéressée de toute arrière-pensée partisane, et qui regrouperait côte-à-côte toutes les forces de gauche comme de droite. Car, face au péril, toutes les convictions se confondent et se fondent en une, et une seule : le patriotisme. Ce même patriotisme qui nous a vus un jour nous soulever comme un seul corps pour crier ‘Dégage !’, et qui devra continuer à dicter notre ligne de conduite en ces temps difficiles. Le patriotisme, un socle commun auquel nous devons tous plus que jamais nous attacher, pour continuer à nourrir nos aspirations à cette liberté tant désirée et à entretenir nos rêves d’un futur meilleur… Le patriotisme, comme unique rempart pour faire échec au retour de La Bête.