Natif de Kairouan, Ridha Khadher a remporté la semaine passée, le prix de la meilleure baguette de Paris. Le boulanger fournira le palais de l’Elysée pendant un an. Mais pour Ridha Khadher, son prix doit surtout donner de l’espoir aux jeunes Tunisiens.

 

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« Allo », « allo », « il faut des pains au chocolat » crie Ridha pour se faire entendre au sous-sol de sa boulangerie «dans huit minutes »lui répond une voix. Il est 8h du matin, le mercredi 1er mai et Ridha presse ses employés comme n’importe quel jour de la semaine. Il interpelle les apprentis pour commander de nouvelles fournées. Même si c’est férié, tout le monde travaille dans la boulangerie du Paradis des gourmands à Paris. La quarantaine et le sourire aux lèvres, Ridha sert ses clients sans répit. Son téléphone n’arrête pas de sonner, la plupart du temps, ce sont juste des curieux qui cherchent à savoir si Ridha vend bien sa fameuse baguette tradition, celle qui a été élue meilleure baguette de Paris.

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Plus jeune, rien ne le prédestinait à devenir boulanger mis à part une enfance dans les champs de blé. Issu d’une famille d’agriculteurs, il suit son frère à l’âge de 15 ans en France et commence à travailler dans la boulangerie de ce dernier comme apprenti. « J’ai dû tenir car au début, rien ne me plaisait. J’avais juste envie de rentrer, le soleil tunisien me manquait » confie Ridha. Il persévère pourtant dans le métier et finit par ouvrir son propre commerce, Au paradis des gourmands dans le 14e arrondissement.

Le concours de la meilleure baguette, Ridha y participe à la dernière minute quand il voit l’annonce de la mairie. « Je suis arrivée 20 minutes avant la fermeture avec mes baguettes à la main et à 17h30, le téléphone a sonné, on m’a annoncé que j’avais gagné. » C’est la chambre professionnelle des artisans boulangers-pâtissiers qui ont jugé parmi 151 baguettes la meilleure d’entre elles. Le pain était jugé sur cinq critères: l’aspect, la cuisson, la mie, l’alvéolage, l’odeur et le goût. Pour obtenir sa désormais célèbre baguette, Ridha travaille parfois de 1h du matin jusqu’à 18h, entre le pétrissage et le repos de la pâte. Pour produire les 1500 baguettes quotidiennes qu’il vend dans sa boulangerie, il doit tenir le rythme. Selon lui, c’est la persévérance et le travail qui lui ont permis d’en arriver jusque là.

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« J’aimerais inspirer d’autres Tunisiens. Je reviens tous les mois au pays et cela m’attriste de voir que rien n’est fait pour encourager les jeunes à entreprendre. Il faut montrer que le travail manuel n’est pas ingrat. Au contraire, on peut gagner vite sa vie et c’est gratifiant. » Ridha a huit employés dans sa boulangerie parmi lesquels cinq sont Tunisiens. Au sous-sol, certains enfournent les baguettes tandis que d’autres préparent des gâteaux. Son cousin s’occupe pendant la nuit des pains de campagne dont la pâte nécessite plus de temps. Parmi les employés, l’un est arrivé de Lampedusa il y a quelques mois. Ridha l’a pris sous son aile et il est désormais apprenti. « Si quelqu’un est prêt à travailler dur, je lui donne toujours sa chance » dit- il.

Dans la boulangerie de Ridha, les pains traditionnels se mêlent aux cornes de gazelle. Le boulanger dispose aussi des chaussons aux pommes à côté des galettes de semoule. Il déclare en riant que sa victoire lui a valu aussi des remarques du côté tunisien. « A l’ambassade tunisienne, ils étaient un peu vexés de voir que j’allais fournir l’Elysée donc ils ont appelé pour que je les fournisse aux aussi pendant un an. » En effet, le lauréat du concours fournit les cuisines présidentielles et gagne également 4000 euros en récompense. La baguette tradition à la farine de froment de Ridha est le fruit d’une recette secrète qui s’appuie sur les techniques de fabrication à l’ancienne. « Il faut laisser reposer la pâte beaucoup plus longtemps que pour les autres baguettes. »

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Depuis deux jours, Ridha n’arrête pas de la faire et refaire pour les télévisions japonaises, américaines, brésiliennes qui viennent déguster ce symbole français. «Celui qui m’a fait rire c’est Bertrand Delanoë (maire de Paris). Il est venu me féliciter et m’a demander de lui faire un pain « mbsasse », c’est son préféré. » Ridha n’est pas seulement fier de sa baguette mais aussi des fricassés maison, qu’il a mis en vente il y a une semaine et qui ont un succès fou ou encore les brioches orientales qui se vendent comme des petits pains. Isabelle, sa femme, l’aide de temps en temps à la caisse, tandis que sa fille de 17 ans rêve plutôt d’être vétérinaire.

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Malgré sa réussite en France, Ridha espère revenir au pays afin d’organiser des concours similaires mais aussi des formations pour de futurs boulangers. « C’est vrai qu’aujourd’hui on remarque le manque de sécurité et cela n’incite pas à revenir. Mais il faut aller au-delà de ça et essayer d’encourager les jeunes et leur donner les moyens d’entreprendre. » Le mercredi 8 mai, Ridha recevra en mains propres son prix pour la meilleure baguette de Paris. En attendant, il continue de faire sa baguette et multiplie les allers-retours à Kairouan où il a investi pour se construire une maison.

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