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Cheikh Khamis Majeri
Cheikh Khamis Majeri

Par Farhat OTHMAN

Cheikh Khamis Majeri, au prétexte de faire l’exégèse du rite de l’imam Malek, école en vigueur en Tunisie, vient de verser dans l’ignorance totale de sa religion en voulant faire montre de son savoir.

Que dit le docte Cheikh? Que d’après le rite malékite, on met à mort le musulman qui persiste à ne pas vouloir faire la prière; rien de moins ! Et le vénérable Cheikh se prétend musulman !

Pour se justifier et se dédouaner dans le même temps d’inciter au meurtre sur les ondes d’une radio nationale, il prétend ne faire que de l’explicitation de la jurisprudence malikite. Or, il oublie que justifier le meurtre, même si c’est au nom d’un rite, c’est être complice de celui qui, influencé par les propos publiquement défendus, commettra l’irréparable.

Attention donc à ce que vous dites, cheikh Majeri, vous vous rendez juridiquement coupable d’incitation au crime ! Tout crime qui serait commis — à Dieu ne plaise — au lendemain de vos propos et en application de votre fausse explication du rite de Malek, vous en porterez aussi la responsabilité. Et cette responsabilité sera double, devant les hommes et aussi devant Dieu.

Car, ce que vous dites est absolument erroné. Et si l’imam Malek était vivant, il vous l’aurait dit lui-même, s’inscrivant en faux contre vos propos.

En effet, on savait l’imam Malek très attaché à ne pas heurter le sens commun et à user de son intelligence pour être à la hauteur de la sagesse divine que la raison humaine n’arrive pas à comprendre.

Ainsi, il n’hésitait pas à rejeter toute tradition du prophète qui suscitait en lui le moindre doute et insistait sur le fait qu’il ne faisait qu’un effort de réflexion pour servir au mieux sa communauté; et que cet effort n’était en rien infaillible.

En cela, il ne manquait pas de citer régulièrement le verset 32 de la sourate n°45 Les Agenouillés dont le libellé, selon la traduction de Sadok Mazigh est le suivant : « Nous n’en avons qu’une idée vague, mais point de certitude ! »

C’est ce que dit le Maître duquel vous vous réclamez; comment se fait-il donc que vous soyez plus sûr que lui dans votre incitation au meurtre? Auriez-vous, par hasard, plus de certitude que lui-même?

L’imam Malek était un religieux sérieux, respectueux de sa foi islamique qui est adaptée à son époque et assez souple pour l’être à toute époque, prévoyant le nec plus ultra du comportement humain pour que le croyant arrive toujours à être en harmonie avec lui-même et avec son créateur.

L’imam, rappelons-le, était humaniste, bien compréhensif des choses humaines, même les plus profanes. Il a raconté ainsi que ce fut sur l’insistance de sa mère qu’il s’adonna aux sciences de la religion, alors qu’il voulait être chanteur !

Il était aussi connu pour être très perspicace à aller au fond des choses humaines et comprenait mieux que quiconque la nature imparfaite des hommes avec ses lumières et ses ombres.

Nous voyons aujourd’hui nos jeunes lycéens danser; et ils ne font que ce que faisait l’imam Malek quand il était jeune; lui voulait chanter et eux veulent danser. Lui a fini par fonder un rite majeur et eux peuvent, si on les laisse à leur liberté, devenir d’excellents musulmans. Pour cela, la seule condition est de les laisser libres, car la foi vraie est une foi libre. En tout cas, c’est la foi islamique authentique que vous ne comprenez pas, Cheikh Majeri !

L’islam n’est pas un commandement à tuer, mais un commandement à prier. Et la meilleure prière est celle qui se fait en toute liberté. Aucune prière imposée par la peur d’être mis à mort, à laquelle vous invitez, honorable cheikh, ne fera germer l’amour de Dieu dans les cœurs, l’amour ne se commandant pas. Car ce sera alors de la peur et nullement de la foi.

Seriez-vous, par hasard, un sbire de la dictature déchue s’érigeant en religieux, Cheikh Majeri ? Ben Ali ne se maintenait au pouvoir que par la crainte qu’il inspirait et la mort qu’il dispensait à la moindre contestation. Vous voilà donc devenu un petit dictateur ! Avez-vous oublié que le peuple s’est libéré définitivement de la dictature, toute dictature, y compris celle de tyranneau religieux comme vous ?

Et vous n’avez même pas le courage d’assumer vos opinions puisque vous vous cachez derrière l’autorité de l’imam Malek tout en déformant sa pensée !

Ce qu’a prévu l’école de Malek pour une époque est contingent et est propre à celle-ci; et comme il ne s’agit que d’une opinion devant forcément progresser avec le temps, la jurisprudence que vous citez est forclose, devant inévitablement évoluer. Et vous auriez pu et dû le faire par votre interprétation, en vrai musulman usant de sa raison, ne répétant pas comme un perroquet le résultat du labeur de ses ancêtres. Le vrai Cheikh est un penseur !

Car la société aujourd’hui n’est pas la même que celle de l’époque de l’imam, et la liberté des mœurs d’aujourd’hui ne correspond pas au règne de la violence d’antan où les actes de contrainte pour le bien général relevaient de la pure banalité et de la salubrité publique étant, en tout cas, un moindre mal par rapport à la loi du plus fort qui régnait le plus sauvagement du monde. Cela permettait de faire de la morale religieuse une affaire publique pour ce qu’elle emportait d’assainissement dans les us et coutumes ensauvagés des gens.

Aujourd’hui, les choses ont changé et les mœurs ne sont plus les mêmes et la morale n’est réellement respectée et renforcée qu’en étant une affaire privée, ne relevant que de la dimension personnelle et de la sphère privative.

Prier ou ne pas prier, vous dira l’imam Malek aujourd’hui, c’est une affaire personnelle, ne regardant que le croyant et son créateur; car qui seriez vous, Cheikh Majeri, pour contraindre le croyant à adorer Dieu qui l’a voulu libre ? Seriez-vous un intermédiaire en Dieu et sa créature ? Alors, vous seriez chrétien ou juif, mais pas musulman, étant donné qu’en islam il n’y a ni église ni synagogue.

Le musulman est un homme libre, y compris à ne pas honorer sa religion, car seul Dieu le dirige, vers le bien ou le mal; et Dieu ne veut son adoration que libre de toute contrainte, émancipée de la moindre peur. Et seul Dieu punit pour les questions relevant de son ressort, les considérations de pur culte.

Alors, révisez votre doctrine malikite, Cheikh Majeri, et si vous voulez lui rester fidèle, ne la récitez pas aveuglément, faites usage de votre intelligence, imitez l’imam en utilisant votre raison, et ne dites plus d’âneries ! Faites aussi attention à ne pas devenir pyromane; ni l’imam Malek ni Dieu ne vous le permettent !

Et rappelez-vous que l’imam Malek n’a pas théorisé son rite; ce fut l’œuvre de ses élèves. Lui, en pragmatique par excellence, se contenta de donner son avis, avec la restriction qu’il ne cessait d’apporter, à savoir qu’il ne faisait qu’émettre un avis susceptible d’erreur et d’évolution selon les circonstances. En cela, il cherchait à coller du plus près aux réalités de son temps, et être en totale harmonie avec les intérêts humains, toujours variables et diversifiés.

D’ailleurs, son livre, comme il le raconte lui-même, il l’a voulu sur une sollicitation politique, celle du Calife AlMansour dont il ne nie pas l’influence, non seulement pour son écriture, mais aussi pour sa composition.

Or, qui dit origine politique d’un travail quelconque, dit forcément intention de prendre en compte la réalité sociale et de la servir au mieux. L’imam Malek affirme ainsi que le Calife lui conseilla de mettre à la disposition des gens un outil utile, qui ne soit ni trop permissif ni trop répressif ni basé sur des avis singuliers. En somme, une œuvre de consensus pour l’harmonie sociale.

Cela indique bien le souci majeur qui a primé la naissance de cette école, à savoir servir la communauté et aider à assainir les rapports dans la société avec une compréhension saine de la religion, libre de tout dogmatisme néfaste, de cette autonomie responsable où la liberté de chacun impose celle de son prochain, respectueuse l’une de l’autre. Or, honorable Cheikh, par vos propos, vous travaillez à la disharmonie sociale et religieuse ! Et vous le savez, c’est pire que la mise à mort.

La saine compréhension de la religion aujourd’hui, dans un monde où les rapports sociaux ne sont plus dominés par la loi du plus fort ou du plus fou ni par la sauvagerie des mœurs, est de magnifier cette veine intarissable de notre religion insistant sur la liberté humaine, meilleure façon d’adorer Dieu. En effet, seule une créature totalement libre de ses actes, n’ayant aucune crainte à faire ce qu’elle fait, adore vraiment son créateur. Pour les autres, ce n’est que de la fausse adoration, et Dieu n’en voudra jamais.

Revenez donc à notre religion des Lumières, Cheikh Majeri, sortez des ténèbres qui vous font voir que la peur et la crainte peuvent fonder une foi quand ils ne font que la corrompre ! Pareille foi n’est nullement musulmane; elle est une croyance étrangère à l’islam et, en tout cas, une croyance viciée.