La Tunisie a contracté en novembre 2012 un prêt auprès de la Banque Mondiale d’une valeur de 500 millions de dollars. Il est venu s’ajouter à des prêts de 700 millions de dollars provenant d’autres donateurs. Interviewé par Reuters en novembre dernier, le ministre de l’investissement Riadh Bettaieb a affirmé que pour l’année 2013 le budget de l’Etat a déjà été totalement couvert grâce aux dettes contractées auprès de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement. Il a également declaré que le gouvernement demandera un autre prêt de précaution d’une valeur de 1.78 milliard de dollars, et cette fois auprès du FMI et ce pour le budget de 2014.

Dans cette spirale infernale de la dette, où nous contractons une dette pour en payer une autre avec des taux d’intérêt de plus en plus élevés – compte tenu de la dégradation de la note par les agence de notations comme Moody’s, Standard and Poor’s and Fitch rating – il est important de se poser les questions suivantes :

  1. Jusqu’où allons-nous avec l’endettement et où va l’argent ?
  2. Les cessions que le gouvernement est en train de faire ne sont-elles pas suffisantes ?

Par ailleurs, le FMI, afin de sécuriser le remboursement du prêt, propose un ensemble de “réformes structurelles”, que certains experts appellent « réformes douloureuses » à cause de leur impact négatif sur l’économie et le niveau de vie des Tunisiens. Il est à noter que les certaines “réformes” que je cite dans ce document ont été discutées avec le chef de la mission du FMI pour la Tunisie, M. Amine Mati, au cours d’un interview conduit par moi-même à Washington DC le Mercredi 27 février 2013. Les conséquences sur l’économie nationale que je propose ci-dessous, ont été débattues avec M. Mati en personne :

  • Une suppression progressive des subventions qui constituent (5% du PIB): ceci augmentera le prix du carburant et par conséquent du coût du transport et provoquera enfin une augmentation générale des prix sur le marché. La suppression des subventions sur les produits de première nécessité (nourriture, médicament…) ne serait pas à exclure à plus long terme.
  • La création d’impôts pour les sociétés exportatrices et la diminution des impôts pour les sociétés non exportatrices : ce qui fera fuir les capitaux étrangers d’autres pays, comme le Maroc qui est considéré aussi comme un paradis fiscal. Ces mesures alourdiront nos exportateurs, déjà en difficulté depuis la révolution, de charges supplémentaires.
  • Une augmentation des taxes sur la valeur ajoutée (TVA): elle augmentera ainsi les prix des produits sur le marché et baissera par conséquent le niveau de vie du Tunisien puisque son salaire n’augmente pas.
  • La privatisation des institutions publiques : ceci pourrait se transformer en privatisation massive touchant à long terme: la santé, l’enseignement et le transport, qui devront pourtant rester accessibles à tous. Encore une fois lesdites privatisations ne serviront pas au développement mais à payer les dettes.
  • Les accords de libre échange : sans droits de douane, nos entreprises locales ne tiendront pas le coup face aux produits étrangers qui envahiront le marché tunisien. Ceci poussera certaines entreprises locales à perdre des parts de marché et à fermer, ce qui augmentera le taux de chômage.
  • Les réformes bancaires étranglant la classe moyenne (*) : l’une des recommandations du FMI pour la BCT est de limiter le crédit auto, le crédit à la consommation ainsi que les découverts bancaires sur les comptes des particuliers. C’est à dire que si le salaire d’un fonctionnaire ne suffit plus, il n’aura aucun choix !”

Aussi depuis 2012 jusqu’à aujourd’hui nous avons cumulé environ 10 Md $ de dette, ce qui est énorme.

Ces reformes seront entamées immédiatement, d’autres attendront les ordres ou “recommandations” du FMI et les effets seront accentués selon l’incapacité de la Tunisie à rembourser sa dette. Par ailleurs, il est intéressant de voir le FMI prôner la transparence alors que M. Mati refuse de nous faire part de l’accord de “précaution” en argumentant sur le fait qu’il n’a pas encore été signé par le FMI pour être rendu publique. En tant que Tunisiens nous n’en saurons pas d’avantage sur le crédit que nous payerons par notre propre argent avant de l’avoir contracté. Ceci est similaire à celui qui emprunte de l’argent et qui doit signé l’emprunt pour connaître ensuite les conditions de celui qui lui prête cet argent. (K’attouss fi Chkara comme dirait le proverbe Tunisien).

Pour ce qui est du niveau de la dette, Amine Mati, chargé du dossier du prêt pour la Tunisie, le gouverneur de la BCT ainsi le ministre des Finances n’arrivent vraisemblablement pas à s’entendre sur sa valeur, qui serait entre 45% et 50% du PIB. Il est aussi important de mentionner que le cumul des dettes, nous ramène à un niveau d’endettement assez avancé et que dans le cas d’un choc exogène dû, par exemple, à l’accroissement de la crise en Europe, notre taux d’endettement pourrait devenir très dangereux et incontrôlable. Nous serons incapables de rembourser la dette et obligés d’accentuer ces “réformes” afin de prélever plus d’argent du contribuable (peuple Tunisien) et sacrifier nos entreprises publiques pour honorer ainsi la dette.

Le plus vicieux dans cette affaire est que plus nous nous rendons esclaves de la dette et plus nos créanciers auront la légitimité de contrôler et de dicter notre politique. Par ailleurs, il est important de mentionner que Amine Mati, chef de mission du FMI pour la dette tunisienne, serait soupçonné en Mauritanie de falsification des indicateurs économiques pour le profit du gouvernement mauritanien, applaudissant ainsi des indicateurs économiques au vert alors que la Mauritanie sombrait dans un désastre économique sans égal à cause des réformes structurelles engagées.

Quelles sont les autres options de financement pour le gouvernement ?

Contracter un crédit est une chose simple, mais engager des réformes sérieuses et efficaces pour un développement à long terme demande plus d’engagement, de volonté et de compétence. Par ailleurs, il est important de rappeler que la Malaisie étant le seul pays durant la crise économique et financière qui a frappé la région de l’Asie du Sud-Est qui refusé le prêt du FMI; et c’est pourtant le pays qui s’est relevé rapidement de la crise. La Chine quant à elle a évité une récession en faisant exactement le contraire de ce que le FMI avait recommandé.

Dans ce sens, il existe un ensemble de solutions qui éviteront des conséquences graves sur l’économie nationale et de diminuer le niveau de vie des Tunisiens. L’alourdissement des taxes ainsi que la réduction des subventions permettront peut être de payer les dettes, mais finiront en revanche par appauvrir le peuple tunisien et les générations futures qui seront déjà otages du remboursement de la dette. Il serait plus judicieux de mettre en place les mécanismes de bonne gouvernance pour diminuer le déficit, plutôt que d’emprunter de l’extérieur et pomper l’argent des Tunisiens pour payer la dette.

Il ne s’agit pas ici d’une liste exhaustive des options, d’autres propositions peuvent être faites si le gouvernement accepte de discuter avec la société civile :

  • Un audit des institutions publiques et le renforcement du contrôle des dépenses budgétaires: En effet, 75% des recettes de l’Etat sont dépensées dans les institutions publiques. Il est urgent d’entamer un audit suivi d’un meilleur contrôle des dépenses budgétaires qui sont connues pour être très mal gérées au sein de l’administration tunisienne. Cette tâche pourrait être assignée à la cours des comptes en collaboration avec la commission des finances de l’ANC.
  • Mise en place d’outils de contrôle de la sur-facturations des importations ainsi de la sous-facturation des exportations.
  • Contrôle de l’évasion fiscale et audit fiscal pour des hommes d’affaires réputés pour leur corruption et associés au clan Ben Ali.
  • Plus de transparence au niveau des dépenses et des revenus de l’Etat, y compris les appels d’offres à l’échelle nationale et internationale.
  • Une réforme de fond afin de limiter la corruption qui a augmenté selon plusieurs études faites au niveau national et international, ainsi qu’une mise en place de processus de bonne gouvernance.
  • Entamer un audit pour retrouver l’argent emprunter durant l’ère Ben Ali. Ceci permettra même d’avoir une traçabilité sur la destination des fonds détournés et d’en récupérer peut-être une partie.
  • Création de nouveaux accords d’échange avec l’Afrique et le Maghreb afin de diminuer la dépendance vis-à-vis de l’Europe (80% de nos échanges avec l’extérieur) et d’amortir l’impact de la crise de l’Union Européenne sur notre économie. Ceci tout en accélérant la réforme de la douane qui devient selon le témoignage de plusieurs exportateurs une sérieuse contrainte entravant l’export et ce depuis la révolution.
  • Renforcer la sécurité afin de remettre sur pied le secteur du tourisme.
  • Recapitaliser les banques publiques tunisiennes et retrouver les crédits impayés par les hommes d’affaires partenaires du clan Ben Ali

Par ailleurs. M. Mati m’a rejoint sur toutes ces propositions. Mais interrogé sur le fait qu’il ne les a pas proposé au gouvernement, alors qu’il est conscient de ces possibilités, il a affirmé “c’est à vous de le faire”.

Et il a en quelque sorte raison : le FMI est une banque et non pas une association caritative qui aide les pays à mieux gérer leur argent. Et comme toutes les banques, l’intérêt et les prêts sont leur priorité.

Il est à rappeler que dans ce genre de dettes, aux conditions très douloureuses et où l’Etat se retrouve engagé à très long terme, il est du ressort de l’Assemblée Nationale Constituante, et à elle seule, de décider après que le gouvernement ait soumis sa proposition.

Malheureusement les procédures relatives au prêt se sont faites trop vite et des ministres démissionnaires auraient signé un accord dans la hâte comme si l’affaire était pressante, alors que, comme je l’ai déjà précisé, le prêt est un prêt de “précaution” qui ne concernera que 2014.

Aussi, dans un communiqué de presse, la commission du FMI avait précisé avoir rencontré les partis politiques, des représentants de la société civile et les membres de l’ANC, chose qui a été démentie par nos élus à l’ANC. Au cours de l’entrevue, Amine Mati admet avoir discuté avec la commission financière seulement et plutôt pour les informer que pour demander leur avis. Il affirme aussi avoir rencontré l’UGTT et “le parti d’extrême gauche de Hamma Hammami”. Mais en lui demandant les noms précis des gens qu’il a rencontré, il peine à répondre et admet quelques minutes plus tard qu’il n’a pas rencontré le parti de Hamma Hammami ce qui relève encore plus de doutes sur les parties rencontrées comme annoncé par la commission du FMI.

En rappelant à M. Mati que notre gouvernement est un gouvernement intérimaire et qu’une décision assez lourde aux conséquences très graves doit revenir à l’ANC, M. Mati déclare que de toute façon il ne traite qu’avec le gouvernement d’autant plus qu’il est formé d’élus du peuple.

Le prêt n’a pas encore été signé au FMI et M. Mati affirme que les négociations sont à un stade très avancé, que le prêt sera approuvé par le FMI au cours du mois de Mars 2013 et qu’il attend la formation d’un nouveau gouvernement pour conclure.

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(*) – [NDLR : ce point a été rajouté par l’auteur le 5 Mars 2013.]