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Par Héla Boujneh

Les défis les plus importants dans le contexte de la Tunisie peuvent être résumés comme suit :

* la critique portée à la création d’un Ministère de justice transitionnelle et la crainte que l’exécutif soit juge et arbitre

* Difficulté de créer une commission en raison du manque de légitimité des institutions car même après les élections de l’Assemblée Constituante en Octobre 2012, on remet toujours en cause le gouvernement établi qui reste malgré tout provisoire

* Désadaptation du système juridique actuel avec les attentes

* Absence d’une constitution écrite.

Absence d’une jurisprudence constitutionnelle stable profondément enracinée dans les traditions juridiques, sans des principes démocratiques clairs et précisément formulés.

Absence d’une hiérarchie transparente dans le choix des valeurs constitutionnelles.(1)

Opinion publique troublée par les préjugés, la prééminence de l’émotion sur la raison, la sensibilité sur le bon sens.

*Complexité des dossiers à traiter et des archives

* Une société civile déstabilisée, les interactions et enjeux politiques peuvent faire échouer le cours de la justice transitionnelle

* Le manque de préparation et d’organisation judiciaire et administrative.

• Destruction de documents et de preuves;

• L’existence de lois qui peuvent faire obstacle au cursus de la justice transitionnelle;

• Le manque de coopération de certains partis et organismes concernés;

• Le manque d’expérience et la compétence nécessaires, en particulier pour les membres des comités;

• La réticence des victimes et des témoins de parler, et de témoigner;

• La mort de certaines victimes et des témoins;

• Le manque de ressources financières et de la logistique;

• Troubles de la mémoire de certaines des victimes.

Face à toutes ces difficultés, il en existe d’autres en rapport avec la délimitation des crimes qui seront concernées par la justice transitionnelle ;

Partons du principe que chaque pays peut avoir un modèle spécifique et particulier de justice transitionnelle, En Tunisie on parle même des crimes économiques.

Lors de la formation de la commission régionale à Sousse une question très importante a été demandée par les experts, si l’inclusion des crimes économiques dans le cadre de la justice transitionnelle est possible ou non?

Les politiques économiques du régime précédent ont marginalisé des générations entières, ce qui constitue une violation flagrante des droits de l’homme.

Toutes les commissions régionales ont considéré que, les abus économiques sont tous les préjugés et l’attaque sur la divulgation financière à une personne physique ou morale, et que l’impact sur la zone de violations:

• Les violations à caractère économique ayant des répercutions financières;

• Violations des institutions économiques dans différents secteurs (privé, public, trésor public, la privatisation);

• La violence économique orientée vers certaines destinations (sur la base de décisions politiques marginales)

Comme on a vu, chaque expérience est unique en matière de justice transitoire, l’expérience tunisienne aura surement sa singularité, elle se basera sur les expériences des autres peuples et nations mais tout en répondant aux spécificités et aux attentes des tunisiens.

La justice transitionnelle a pour fondement la prise en compte et le respect des droits de l’homme et a pour objectif la poursuite de l’équité et de la justice sociale.

Toutefois, il faut protéger ce processus de toute considération politique et partisane, le seul mot d’ordre doit être l’intérêt général des tunisiens et la réussite de cette transition vers un Etat de droit et la garantie de la consécration des droits de l’Homme.

Car la reconstruction sociale suppose une réconciliation avec la passé à travers une reconnaissance aux victimes afin d’encourager la confiance des citoyens en leur système et garantir une certaine « paix sociale » et la production de lois mémorielles dans certains cas comme « moyen de reconnaissance de la souffrance individuelles ou collectives qui y sont »

Elle contribue en outre à légitimer à nouveau les institutions de l’Etat.

La découverte de la vérité, la responsabilisation des coupables, la réhabilitation, la réparation et la réinsertion sociale dont des prérogatives à respecter afin de rendre justice aux victimes des violations.

Ce projet de loi organique ne tirera sa légitimité que grâce à une conception claire, précise, participative et consultative pour qu’il y ait un reflet des attentes des tunisiens dans ce processus déterminant vers une transition démocratique.

Par ailleurs, plusieurs associations des victimes ont été créées pour assurer une meilleure mobilisation civile et afin de faciliter la collecte des dossiers.

Plusieurs Centres spécialisées en matière de justice transitionnelle ont été lancés en Tunisie pour garantir des études et des expertises de point

Il faut mentionner aussi la concentration de plusieurs organisations et institutions étrangères en Tunisie, dont le but d’aider et de coopérer avec les différents acteurs et composantes nationaux impliqués dans le processus de la justice transitionnelle.

Dans la pratique, le modèle de la justice transitionnelle en Tunisie doit respecter les quatre instruments légaux à savoir :

-le procès équitable

-l’enquête

-la réparation

-la réforme des institutions

En effet, dans le cadre de la justice transitionnelle les investigations vont certainement démontrer que les arrestations faites au lendemain de la Révolution ne sont pas toutes justes ou justifiées et on espère que ces personnes auront gain de cause et seront acquitter par la justice et ne seront pas des bouc-émissaires.

«Chaque fois que nos tristes sociétés, en perpétuelle crise de croissance, se prennent à douter d’elles-mêmes, on les voit se demander si elles ont eu raison d’interroger leur passé ou si elles l’ont bien interrogé. »(2)

Plus ce que jamais, La Tunisie doit assumer son passé afin de s’y enraciner, de construire un avenir commun et de se remettre de la dictature longtemps supportée, rien que sous le régime Ben Ali, les prisonniers d’opinion mais aussi les prisonniers politiques comptent par des milliers et des milliers.

Cela dit Le rôle de l’Assemblée Constituante, du gouvernement provisoire, des instances nouvellement créées ainsi que des représentants de la société civile est déterminant en l’absence de vrais philosophes du droit.

« Aux prises avec les nécessités d’un combat pratique, le législateur moderne a peu de loisir pour philosopher, même sur sa propre raison d’être. Mais les philosophes du droit méditent à sa place et, pour éclairer sa marche, lui proposent leurs théories sur la fonction de la loi .»(3)

Le déroulement des dialogues nationaux

La consultation publique doit viser les acteurs de la société civile.
En Tunisie, loin de tout esprit de revanche ou de règlement de comptes, il y a eu un rassemblement autour des partis politiques, associations et groupements professionnels, dans le but de construire une nouvelle société civile plus forte et plus organisée mais surtout fondée sur le respect de la dignité humaine et la citoyenneté.
C’est cette société civile qui est concernée par le dialogue national sur la justice transitionnelle.

C’est pourquoi la Commission a organisé une journée ouverte intitulée « la Justice transitionnelle « les visions et les conceptions » selon un calendrier précis :

– Le 9 aout 2012 avec les partis politiques

– Le 16 aout avec les groupements professionnels et les syndicats

– Le 25 aout avec les associations spécialisées dans les droits de l’Homme.

Durant ces journées il était question de présenter une perception générale du projet de loi sur la justice transitionnelle et de collecter les différents avis et idées données par les participants en la matière dans le cadre des ateliers de réflexion qui autour des axes principaux de la justice transitionnelle à savoir : la recherche de la vérité, la responsabilisation des responsables, la réparation pour les victimes, la réforme des institutions, la réconciliation nationale.

La commission a par ailleurs reçu les différents propositions et idées de loi relative à la justice transitionnelle, préparées par ces acteurs.

Pour rendre ce dialogue plus efficace et concret, le débat à une échelle nationale reste insuffisant car il ne peut pas cibler toutes les parties prenantes en plus il est loin de refléter l’opinion de la société.

II/La consultation publique à l’échelle régionale

Malgré que le décret n°2012-22 portant création du ministère des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle et fixation de ses attributions, a attribué à la base à ce ministère de gérer la consultation publiques, l’implication de la société civile et l’appel à ce que le projet de la justice transitionnelle soit indépendant a engendré non seulement la création de la commission technique mais aussi l’élargissement de cette commission qui selon l’arrêté ministériel est en pouvoir d’organiser le dialogue national dans les régions, de choisir et de former les responsables des dialogues régionaux de et d’organiser les consultations régionales sur la justice transitionnelle…

La création des commissions sectorielles

La commission technique a lancé un appel à candidature afin de créer 6 commissions sectorielles (chaque commission se chargera de couvrir 4 gouvernorats de la Tunisie) , les 99 personnes choisies et répartis sur les différentes commissions sont choisis parmi les candidats :

académiciens en droit, juges, avocats, huissiers notaires, notaires, sociologues ou psychologues , médecins, experts en histoire, représentants de victimes, journalistes.

La formation des membres des commissions s’est faite sur la justice transitionnelle, les techniques de communication, la rédaction des rapports

En effet, le but étant d’organiser une série de réunions à l’échelle régionale qui ciblent :

– Les victimes de violations en Tunisie

– Les composantes d’associations de la société civile et les organisations

– Tous les citoyens nonobstant lors affiliations régionales et politiques sous la forme d’une séance plénière durant la matinée comprendra une présentation générale de la justice transitionnelle et des ateliers de réflexion l’après-midi sur les étapes Du processus de la justice transitionnelle.

A la suite de ces 24 consultations régionales, un rapport de chaque journée sera rédigé afin de formuler les idées exprimées par les participations ainsi que leurs recommandations en matière de JT.

Parmi les critères de choix des membres des commissions régionales : un niveau de scolarité adéquat, le lieu de résidence, l’implication dans l’intérêt public, l’absence de responsabilité dans un parti politique auparavant ou actuellement, des connaissances sur la justice transitionnelle.

Le déroulement des consultations régionales

Etant donné que la victime est le centre d’intérêt de la justice transitionnelle, on remarque que les victimes ont été fortement présentes lors des consultations régionales.

Ces consultations ont parfois dévié à des audiences d’écoute car ces victimes sont en soif d’expression et leurs témoignages sont très lourds à porter, surtout que la machine de la justice transitionnelle n’a pas encore été encore mise en marche.

Et puisque l’objectif de ces réunions est de donner l’occasion aux personnes touchées par les violations d’exprimer librement leurs opinions afin de déterminer leurs besoins et leurs droits, des questionnaires ont été distribué dans le but d’interroger les citoyens sur les mécanismes et les procédures de la justice transitionnelle.

Un échantillon de 1825 personnes questionnées qui ont participé aux différentes consultations régionales, a permis d’identifier les tendances générales surtout en matière d’indemnisations.

En effet selon les sondages;

-37% demandent la reconnaissance

-29% demandent une indemnisation pécuniaire

-28% demandent seulement des aveux

Les consultations régionales ont permis d’obtenir une vision claire et une perception générale du projet de loi sur la justice transitionnelle, mais aussi de renforcer le sentiment d’appartenance locale à l’approche de justice transitionnelle à travers la participation des victimes et les composantes de la société civile.

Les différentes consultations ont duré du 16 Septembre 2012 au 7 Octobre 2012.

Le 28 Octobre 2012, la commission technique a présenté son projet de loi organique sur la justice transitionnelle comportant 75 articles.

Les jours suivants ce même projet a été présenté aux trois présidences.

Le projet de loi relative à la justice transitionnelle a pour l’essentiel consacré la création d’une commission nommée « Commission de vérité et de dignité ».

Le projet, une fois finalisé, a été transmis au Conseil des Ministres, pour être présenté aux différents ministères.

Il est à noter que plusieurs points dans le projet ont été modifiés, parfois même des points focaux du projet.

Le propre de l’expérience tunisienne est la présence de plusieurs intervenants au stade de l’élaboration du projet de loi, à savoir le ministère des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle, la commission technique et le Premier ministère.

Les moyens suivants doivent être réalisés pour assurer la réussite de la justice transitionnelle:
-Lancer des centres dans les régions afin de réaliser des séances d’écoute en profit des victimes et les responsables de des violations.

-Assurer des Réunions populaires pour sensibiliser les citoyens sur les concepts de La justice transitionnelle et les moyens de les mettre en œuvre

-Impliquer les citoyens et renforcer leur participation au processus à travers des questionnaires et des sondages d’opinions

-Préparer une stratégie de communication qui cible les citoyens et tous les acteurs impliqués dans le processus de la justice transitionnelle : tel qu’un site Internet interactif, et tout autre moyen de média et communication. La justice transitionnelle en Tunisie, vient refléter, purement, une volonté populaire qui cherche à réaliser une rupture avec un imprégné d’oppression à cause d’un système autoritaire et se préparer à vivre dans un futur meilleur fondé sur L’État de droit et des libertés.

L’expérience de justice transitionnelle doit aussi prendre en compte les modèles internationaux ainsi que les outils et les mécanismes de la justice transitionnelle utilisés dans d’autres pays.

Les victimes et leurs familles dans la période de répression et de tyrannie avant Le 14 janvier 2011 et depuis 1956 sont l’essence et le Centre de la justice transitionnelle et de son processus.

En effet, La participation active des victimes dans ce processus est l’une des garanties et La clé de son succès.

La Réalisation de réformes fondamentales dans les institutions qui ont contribué aux Violations des droits de l’Homme, surtout celles de la sécurité, du secteur judiciaire et des médias doit accompagner le processus de la justice transitionnelle.

Les objectifs de la justice transitionnelle: Le processus de la justice transitionnelle en Tunisie s’emploiera à:

-Rétablir la vérité en s’appuyant sur le témoignage des victimes et des responsables d’exactions lors de séances d’écoute afin de réécrire l’Histoire de manière juste et réaliste , ce qui permettra la classification et la tabulation des violations et la détermination des responsabilités.

-Responsabiliser et juger les responsables, conformément aux normes internationales en assurant la justice et l’équité

-Cela implique la poursuite des responsables directs et non directs pour les violations commises intentionnellement dans le but d’assurer la non-impunité

La réconciliation entre le bourreau et la victime doit être une finalité de la justice de transition et le pardon n’est que le fruit de l’acceptation des excuses du coupable par la victime.

-Accorder une indemnisation et des réparations (moralement et matériellement) aux victimes en fonction des critères suivants:

-la particularité de l’acte commis et le degré du dommage causé et conformément aux caractéristiques de la conjoncture de la transition.

-L’indemnisation des victimes et les réparations accordées doivent être considérées comme excuses officielles de l’Etat pour eux.

Une Commission nationale aura pour mission de Superviser et diriger le processus de la justice transitionnelle,

Elle sera créée en vertu d’une loi organique, et cherchera avec l’aide de l’Assemblée Constituante, la présidence République et le Premier ministère à résoudre les questions de procédure et de fonctionnement, afin de protéger et de faciliter son travail et la mise en œuvre de ses décisions.

En ce qui concerne sa composition et la sélection de ses membres, l’étendue de sa compétence, sa durée, la période qui couvre de son travail, tout doit être longuement réfléchi.

D’autre part, le mécanisme judiciaire est un maillon du processus de la justice transitionnelle, le pouvoir judiciaire devrait se prononcer sur les questions relatives à la justice transitionnelle portées à son attention du pouvoir judiciaire afin de trouver La vérité et la justice.

Par conséquent, nous croyons que l’indépendance du pouvoir judiciaire et sa purification des symboles de la corruption, est une priorité pour le succès des procès que nous voulons Équitables. Nous suggérons de confier cette tâche à des juges intègres et compétents, qui se détacheront de leurs postes et se chargeront exclusivement de cette mission pour garantir l’efficacité et la rapidité.

La réussite du choix de recourir à la justice transitionnelle dépend de plusieurs facteurs basés sur une approche mure et réfléchie des droits de l’Homme et loin de la politique, cette idée est loin d’être garantie dans la société tunisienne actuelle tiraillée antre les attentes légitimes des victimes et les pressions politiques accentuées et hésitantes.

1-  Comme le cas de la Pologne « où la nouvelle constitution a été adoptée en 1997. Jusque-là, et durant la phase la plus importante de la transformation, la Pologne avait la constitution partiellement révisée de 1952, la même qui lui a été imposée par le régime stalinien,… après la chute du système communiste, a exigé une nouvelle axiologie: la restauration d’une relation adéquate entre l’état et l’individu, une importante percée de la pensée juridique et l’articulation du système juridique autour des droits constitutionnels fondamentaux.», Marek Safjan, op.cit. , page 2 et 3.

2-  El Moudden (A.), El Ayadi(M.), Tozy(M.), Lefranc(S.), Cercle d’Analyse Politique : «Mémoire et Histoire», numéro6, Mai 2006.

3-  CARBONNIER (J.), Tendances actuelles de l’art législatif en France, Essais sur les lois, Répertoire du notariat, Défrénois éditeur, 1979, p. 237