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« Je ne crois pas que l’initiative du Chef du gouvernement a un avenir » assure le chef du parti islamiste Rached Ghannouchi. Idem, le ministre de l’agriculture Mohamed Ben Salem (du parti Ennahdha), a affirmé hier sur le plateau de la chaîne nationale 1 que le projet du Chef du gouvernement subit le refus de la majorité au sein d’Ennahdha, notamment au niveau du Conseil de la Choura.

Cette initiative de M. Hamadi Jebali d’un gouvernement de technocrates, où tous les ministres seront indépendants, n’appartenant à aucun parti politique, a surpris plus d’un. Après plus de six mois de blocage au niveau du remaniement ministériel, M. Jebali retire le tapis sous les pieds de tous les partis faute de consensus.

Ennahdha refuse de reconnaître l’échec du ministre de la Justice
La problématique consiste, selon les alliés de la Troïka, au niveau de deux ministères principaux : celui de la Justice et des Affaires Etrangères. Changer les personnes équivaut à reconnaître l’échec des deux ministres nahdhaouis Noureddine Bhiri et Rafik Abdeselem Bouchleka.

Pour le parti Ennahdha, les deux ministres n’ont pas échoué, d’où leur refus, concret, jusqu’à la dernière minute avant l’assassinat de Chokri Belaïd à un quelconque remaniement. Dans les médias, les leaders du parti iront même à dire que leurs alliés CPR et Ettakatol demandent le remaniement mais ne mettent pas en doute la compétence des deux ministres. Ainsi, l’absurde est installé puisque selon Ennahdha ses deux partenaires demandent le changement de deux ministres “compétents” par d’autres.

Le Chef du gouvernement reconnaît l’échec de son gouvernement
C’est à travers le SG d’Ennahdha, lui-même Chef du gouvernement que le constat d’échec a été déclaré ouvertement. Au lieu de procéder aux demandes des deux partis de la Troïka et mettre à côté le refus de son propre parti, M. Jebali a mis la barre plus haut, peut-être pour espérer un “forcing” de consensus…

Rappelons que le 8 février, dans un discours médiatisé, le chef du gouvernement a déclaré

« J’ai pris cette décision après évaluation de la situation du pays, dans un moment précis alors que le pays prenait un virage dangereux. Je sens de la responsabilité. J’ai consulté des experts, des conseillers, des politiciens et des hommes de la sécurité et j’ai pris ma décision pour sauver le pays et j’en suis honoré et j’assume ma responsabilité devant Dieu et devant l’Histoire et devant mon parti(Ennahdha).»

Les partis CPR et Ennahdha refusent l’initiative du Chef du gouvernement
Après le coup de force de Jebali, le bras de fer est devenu difficile à discerner entre les partis au pouvoir. D’un côté, le CPR organise une conférence de presse ce lundi 11 février pour dire qu’il est pour un gouvernement politique et non de technocrates.

« On a vu, déclare le SG du CPR Mohamed Abbou, que les technocrates ont mis les bâtons dans les roues du gouvernement qui a précédé les élections du 23 octobre, c’est pour cela qu’on opte pour un gouvernement politique.»

Au téléphone ce dimanche vers 16h, M. Abbou nous a également déclaré que « le plan B » serait de soutenir Jebali s’il continue dans le même sens. Cela implique que la donne peut changer dans les prochains jours. Mais le lendemain, M. Abbou reprend “le plan A”, celui d’un gouvernement politique et non de ministres indépendants avec remaniement au niveau des deux ministères régaliens : Justice et Affaires étrangères :

« Hier, dimanche 10 février, le parti Ennahdha nous a appelés pour nous dire que nos conditions ont été acceptées et qu’il faudra nous donner un délai de trois jours. Au CPR, nous avons donc suspendu notre décision de se retirer du gouvernement. Nous allons donner à Ennahdha non pas trois jours à Ennahdha mais une semaine entière et on décidera après selon ce qui va en advenir.»

Ainsi, Ennahdha a réussi à bloquer un probable soutien du CPR à l’initiative du Chef du gouvernement, par une énième promesse de « remaniement ». Et le CPR a accepté, encore une fois.

Ettakatol, seul parti de la Troïka à soutenir le Chef du gouvernement
Quant au parti Ettakatol, le troisième partenaire au sein de la Troïka, la démarche à suivre était claire : soutenir le Chef du gouvernement. Dans une conférence de presse qui a succédé à celle du CPR, notamment hier 12 février,le SG d’Ettakatol, M. Mostapha Ben Jaafer, a confirmé, à nouveau et publiquement, son soutien au Chef du gouvernement Hamadi Jebali, pour « faire prévaloir le bien suprême du pays sur les intérêts partisans. »

Par conséquent, au sein de la Troïka, deux partis, Ennahdha et CPR, sont contre l’initiative de M. Jebali et un seul le soutient.

A l’origine de la crise politique, le ministre de la Justice Noureddine Bhiri
Il faut se rappeler que toute cette crise a pour origine le ministre de la Justice Noureddine Bhiri. Quant au ministre des Affaires Etrangères Rafik Abdeselem Bouchleka, il a eu le sort scellé pour quitter son poste avant l’assassinat même de Chokri Belaid, d’après le ministre de l’agriculture.

Aujourd’hui mercredi 13 février, le CPR s’attend donc à voir une réponse vis-à-vis des noms qu’il a proposés pour les deux ministères en question.
Après plus de six mois de blocage du remaniement ministériel, les Tunisiens endureront-ils un retard pour un déblocage de la situation avec ce nouvel épisode de “gouvernement technocrate” ? Certains se posent également la question sur l’Assemblée Constituante : Est-ce que le parti Ennahdha, avec son rapprochement des deux blocs Wafa de Abderraouf Ayadi et Dignité et Liberté de Néjib Hosni, ainsi que le soutien du CPR, passera-t-il à une motion de censure pour retirer sa confiance de M. Jebali ? Pour Amer Laarayadh, chef du bureau politique et député d’Ennahdha, il n’y aura jamais de motion de censure contre le Chef du gouvernement Hamadi Jebali.

Cette affirmation laisse entrevoir une abdication du côté du parti islamiste pour une option de consensus, surtout que plusieurs partis de l’opposition et personnalités publiques soutiennent M. Jebali, notamment les partis Al Jomhouri et Al Massar.

Dans ce cas de figure, le chef d’Ennahdha, M. Rached Ghannouchi a annoncé dans les médias que son parti “quittera le gouvernement”, déclaration qui n’a pas de grande signification puisque c’est le Chef du gouvernement qui va retirer lui-même les ministres d’Ennahdha du gouvernement ainsi que tous les autres partis. Et puisqu’il va rester au gouvernement, Ennahdha sera concrètement toujours au gouvernement, malgré la déclaration de M. Ghannouchi.

Ennahdha, seul parti représenté dans le futur gouvernement technocrate
Cela implique que le seul parti qui sera, théoriquement représenté, sera Ennahdha, même s’il n’y aura aucun ministre issu d’un parti politique. En effet, Ennahdha a affirmé que son Secrétaire Général Hamadi Jebali, ne quittera pas son poste dans le parti. Pour le Front populaire, l’initiative de M. Jebali est refusée. Au de-là de l’exécutif et des outils d’exécution de la politique, c’est avant tout le “programme du gouvernement”, qui sera mis en place pour les prochains mois, qui compte pour le leader Hamma Hamami.

A ce sujet, le Chef du gouvernement, dans sa lettre adressée aux partis politiques et à l’opinion publique, déclare que les priorités du nouveau gouvernement devront se concentrer sur quatre points précis, à savoir :

  • Réaliser la sécurité des citoyens et de toute la société
  • Réaliser un pas important au niveau du développement régional, la création d’emplois et veiller sur le pouvoir d’achat du citoyen
  • Lutter contre la corruption pour réaliser les buts de la Révolution
  • Rédaction d’une constitution pour tous les Tunisiens et réalisation des élections libres et transparentes au plus tôt possible.

Quel programme politique pour le corps exécutif technocrate ?
Une fois les technocrates nommés, quel programme sera donc incorporé à ce nouvel exécutif ? Actuellement, la préparation des noms des ministres est en cours. L’annonce du nouveau gouvernement aura lieu dans la semaine selon le Chef du gouvernement. Le CPR et Ennahdha seront-ils plus flexibles, en reconnaissant l’échec cuisant du gouvernement actuel et en acceptant la décision de M. Jebali ou est-ce que ce dernier changera d’avis si Ennahdha cède, officiellement, pour un remaniement ministériel ?

Ayant mis à l’écart les programmes du CPR et d’Ettakatol, Ennahdha a imposé depuis plus de 15 mois son programme et sa manière de faire la politique. Quel programme sera donc mis en exécution avec les nouveaux ministres, qu’ils soient technocrates ou autre ? Telle est la question.

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