La salle de cinéma ABC au centre ville de Tunis, une dernière salle de cinéma ouverte. Crédit photo : http://retourencahier.blogspot.com/
Aujourd’hui, qu’en est-il ? Les vraies réponses aux vraies questions ne sont toujours pas formulées. Comme les moyens à inventer ou réinventer pour développer le circuit de l’expansion et de la transmission de la culture cinématographique, mettre en avant la citoyenneté du cinéaste, percevoir le cinéma et la place qu’il a entre l’engagement et la vocation artistique, et avant toute chose, mettre à l’épreuve sa décentralisation si les décideurs et les faiseurs se mettent concrètement à produire dans les régions, ou à y organiser régulièrement des festivals (excellentes initiatives qui ont vu le jour aux lendemains de la « révolution », comme l’expérience du « Festival de Rgueb », ou encore celui du Festival des « Rencontres Cinématographiques de Hergla » dont l’édition de 2011 a eu lieu à Sidi Bouzid, etc, expériences dont l’énergie s’est malheureusement vite essoufflée…)

C’est qu’au milieu des années 80, le cinéma tunisien a voulu se forger un nom en abordant, par exemple, comme sujets pour ses films des thèmes interdits ou tabous dans d’autres pays arabes. Il s’est donc d’emblée « démarqué » du reste de cette géographie cinématographique, cependant, ce mouvement de transgression n’a pas suffit. Au contraire, il a enfermé le cinéma tunisien dans un style réaliste et répétitif (problèmes sociaux, maux de la société tunisienne, la condition de la « Femme » en conflit entre tradition et modernité, etc) dont nous avons vite fait le tour. Le cinéma national a donc très rapidement épuisé toutes ses cartes.

De plus, comment les cinéastes évolueraient-ils, lorsque le cinéma s’endort depuis un moment sur ces lauriers, alors que le vide du public, le manque de (vrai) critique et d’analyse cinématographique se font encore plus présents ? Point de réflexion et de réel débat autour des films nationaux. Les réalisateurs ne progressent pas puisque l’on ne les incite pas à réfléchir sur eux-mêmes.

Outre cela, à part lors d’événements ponctuels qui se comptent sur les doigts d’une main sur une échelle de deux ans, l’Etat n’encourage absolument pas les Tunisiens, tous les Tunisiens, à fréquenter les salles obscures. Pourtant, le cinéma ne peut être reconnu que par la réception de son public, dans l’espace public. Il n’y a pas « cinéma » si ce dernier ne reste visible et accessible qu’à travers un réseau de privilégies et/ou d’initiés, dans tous les cas un réseau fermé. Il n’y a presque plus de salles de cinéma, même de celles qui restaient dans la capitale.

Car dans les régions et les provinces de la Tunisie, les systèmes successivement au pouvoir ont bien veillé à toutes les « murer ». Il en reste approximativement une douzaine dans tout le pays, pour 12 millions d’habitants, appartenant toutes à des structures privées, avec environ 5 dans le grand Tunis, et le reste réparti entre les grandes villes restantes. Et dire que dans les années 70, la Tunisie comptait 150 salles de cinéma….

Guichet de vente de billets d'une salle de cinéma à Djerba. Crédit image : Djam2305
Guichet de vente de billets d’une salle de cinéma à Djerba. Crédit image : Djam2305

L’on se demande où va l’argent du Ministère de la Culture ? Et lorsque nous apprenons que, de surcroît, le budget annuel alloué à la culture a grossièrement diminué, nous regardons les lueurs de changements positifs s’estomper de jour en jour. Le plus aberrant dans cet amas d’ironies du destin, c’est de savoir que la part du budget qui a été amputée et sacrifiée est celle qui aurait du servir au développement culturel des régions intérieures du pays. Des régions toujours coupées d’Art, de Lettres et de Culture, qu’un système étatique tunisien, totalement en adéquation avec ses politiques castratrices ne fait que refléter et ne cesse d’approuver et d’encourager.

Cette assommante réalité est inadmissible surtout lorsque l’on se rappelle des belles paroles du gouvernement post 14 Janvier, et post 23 Octobre 2011, qui disait miser toute sa politique culturelle sur la décentralisation de celle-ci, pour que l’accès à la Culture, sous toutes ces formes, se fasse pour tous, sans distinction de régions. Et pourtant, le budget de la culture régionale a diminué, alors que nos concitoyens y ont droit comme tout le monde puisqu’ ils payent leur redevance publique et participent par là-même au remplissage des caisses de l’Etat destinées aux services des biens publics, dont la Culture.

C’est donc totalement révoltant d’apprendre que le budget alloué à la culture a carrément rétréci. Le gouvernement actuel préfère renfloué les caisses des « Affaires Religieuses », certainement pour donner encore plus de moyens à l’ouverture d’écoles coraniques non agréées dans lesquels l’on embrigade, sans aucune surveillance, les plus jeunes enfants, et/ou permettre l’apprentissage « sauvage » du Coran dans des structures non destinées et non appropriées à ce dernier, comme les prisons, les écoles de police, etc…

L’Art et plus particulièrement le « Cinéma », peut-il vivre sans TOUTES les franges de sa population? Toutes les projections qui se passent dans les régions, quand il y en a, ont lieu dans les maisons de culture, quand il y en a. Maisons de la Culture relayées au second plan, évidemment mal agencées et mal équipées. Les régions sont toujours autant manipulées suivant les directions de l’Etat qui veut toujours les contrôler, et pour lui, l’endormissement culturel reste le meilleur moyen pour les abrutir et mieux les diriger. Rien n’a changé depuis la politique de Bourguiba qui tentait d’étouffer les régions intérieures du pays en les coupant de tout.

Pour la première de son dernier film documentaire « Anbou El Phosphate », Samy Tlili, jeune réalisateur de 27 ans, connu du grand public avec son court métrage « Sans Plomb » (Production Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs, F.T.C.A club de Sousse, 2006), a tenu à ce que la première projection de son documentaire se fasse à Redeyef. Quoi de plus naturel et noble lorsque nous savons que le sujet d’« Anbou El Phosphate » est le bassin minier de Redeyef, et ses « personnages » sont ses habitants. Cette initiative qui émane d’une individualité du réalisateur, démontre bien que « lorsque l’on veut, on peut ».

Certes, Samy Tlili et son équipe, des producteurs aux techniciens jusqu’aux coorganisateurs à Redeyef, ont dû rouvrir une salle fermée depuis 28 ans pour la projection du film, avec tout ce que cela implique de fatiguant et d’éreintant, cependant s’ils l’ont fait grâce à des efforts décuplés, tout le monde peut le faire si bonne volonté et véritable action se conjuguent au présent pour réaménager et rouvrir toutes les salles de cinéma de la République, et Dieu sait qu’il y en a, désaffectées et tristement abandonnées, où seuls les rats survivent.

Depuis « Anbou El Phosphate », la salle qui a accueilli le film est restée ouverte, devenue « salle des fêtes » pour toute la population de Redeyef, et toutes les contrées voisines. C’est dans ses murs que se sont tenues, par exemple, les dernières festivités de « Commémoration des Evénements de Redeyef », le 5 Janvier dernier.

Malgré tout son optimisme découlant certainement de sa réelle passion pour le cinéma, Samy Tlili reste habité par beaucoup d’amertume et de désillusion. Il dit que « Maintenant, la situation des artistes est pire que sous la dictature de Ben –Ali. Le Ministère de la Culture achète les intellectuels et les artistes, ils leur donnent un petit bout de quelque chose pour les faire taire, une modique somme qui sert soi-disant de subvention ou d’aide à la production, ou d’aide à la finition, ces derniers doivent toujours résister, être toujours sur le qui-vive, alors qu’ils devraient se concentrer sur leurs œuvres.

Il nous donnent des « restes », c’est juste une façon d’entretenir les formes et les apparences ». Il ajoute, « Contrairement au CNC (Centre National de la Cinématographie) en France qui donne, comme aide, une avance sur recette, et qui suit le film/œuvre aidé de bout en bout et bénéficie conjointement des recettes apportées postérieurement par le film, en Tunisie, quand le Ministère donne de l’argent, quel qu’il soit, il n’y a aucun suivi derrière. C’est loin d’être rigoureux de ce côté-là. Le Ministère donne de l’argent, ‘basta’, le reste comme le produit final de l’œuvre subventionnée ne l’intéresse pas. »

Qu’en est-il des institutions et structures parallèles et/ou complémentaires à celles de l’Etat, telles, par exemple la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs (FTCA) et Fédération Tunisienne des Ciné-clubs (FTCC). Questionné là-dessus, Samy Tlili répond : « Elles sont condamnées à disparaitre. Les temps ont changé et ces fédérations ne suivent pas. Je suis leur enfant direct, elles m’ont tout appris, mais force est de constater qu’elles sont dépassées, elles ne sont plus ‘synchro’ avec la marche du Monde, leur archaïsme les a tué. Ce, malgré toutes leurs qualités et leur apport historique pour le cinéma tunisien. Tant au niveau de la formation et de la sensibilisation du public au cinéma, qu’au niveau de son rôle, par excellence, citoyen, que sur le niveau de ses actions, de la diffusion, etc. Et même la découverte et la révélation des réalisateurs prometteurs actuels. Les meilleurs sont sortis de la FTCA qui existe depuis 1962, avant même les JCC. De plus, n’oublions jamais que c’est la FTCA qui a mis en place le 1er Festival de Cinéma en Afrique, le FIFAK « Festival International du Film de Kelibia », devenu un symbole pour le milieu. Nous autres jeunes réalisateurs tunisiens, on a tous grandi là-bas. FTCA et FTCC avaient leur sens d’existence. Il n’a plus lieu d’être aujourd’hui, comme le réalisateur qui tourne encore avec un 35 mm, sans vouloir se recycler».

Samy Tlili, qui travaille sur son futur projet, une trilogie documentaire, pense à l’avenir de son cinéma, du cinéma. Et il ne le voit qu’à travers le prisme de la diversité, seule condition, selon lui, pour la survie du secteur. Diversité et pluralité des discours cinématographiques, bannissant, dit-il « la négation de l’autre. S’inscrire dans la diversité et la décentralisation est la seule issue ».

Incessamment, l’on se demande comment vont faire tous ces jeunes cinéastes, grandement portés par leur passion, alors qu’il n’y a plus d’argent pour la culture, et le peu qu’il reste, l’on va continuer à le donner aux mêmes, au cercle des privilégiés de l’Etat et du « système », qui n’ont pas vraiment changé depuis Ben-Ali.

Si peu de marché est lié au cinéma, aucune industrie ou réseau d’industrie a été mis en place. Pourtant, la fréquentation des salles par le grand public crée une synergie et une dynamique marchande qui serait intéressante à exploiter. En effet, celui ou celle qui va au cinéma, fait travailler du monde. Rien que dans la salle de projection, il y a le guichetier, le projectionniste, le ou les techniciens son et lumière, le ou la placeur (se), sans oublier les alentours et circuits parallèles rattachés à l’activité des salles, tels que café, salons de thé, sandwicherie, pizzeria, fast-food, glaciers, vendeurs en tours genres, etc. Tous ces réseaux font travailler des gens et participent donc par là-même à l’activité socio-économique du pays.

Par ailleurs, si l’industrie du cinéma est liée au long métrage de fiction, et qu’aujourd’hui nous n’avons plus d’argent pour faire des films, c’est peut-être ici que s’est dessinée et se dessine une possible réinvention des « manières » de faire des films… des films qui n’ont pas besoin d’argent. Nous avons bien compris, et nous en sommes convaincus, il ne faut plus rien attendre du système.

C’est exactement ce qui s’est passé pour les coréalisateurs de « Babylon », long métrage documentaire, dont la sortie à Tunis s’est faite en 2012, autoproduit et auto financé par Ismaël Lëamsi, Ala Eddine Slim, Youssef Chebbi et Exit Production.

Sur le cinéma, les avis sont divergents, et quand l’avenir commence là où il s’est déjà arrêté c’est encore plus complexe. C’est justement l’opinion d’Ismaël Lëamsi qui pense que le cinéma tunisien n’existe pas. « Pour qu’il y ait un cinéma, il faut qu’il y ait des films, une production continue, et non pas épisodique et presque individualiste. Il n’y a pas de cinéma, comme il n’y a pas de marché du cinéma ». Les constats que pose Ismaël sont on ne peut plus pragmatiques, comme celui, en quelque sorte, de l « ’âge d’or du cinéma tunisien, lorsque dans les années 80 et 90, il y avait une cinématographie pérenne, débattue, grâce au milieu lui-même, grâce aux réalisateurs ».

Ce processus avait émergé après Bourguiba. Quand Ben-Ali est arrivé, la SATPEC (Société Anonyme Tunisienne de Production et d’Expansion Cinématographique) est partie, et la privatisation du « cinéma » est survenue, ainsi que les sociétés de production indépendantes.

Babylon. Photographies du film. Crédits Photos; Babylon
Babylon. Photographies du film. Crédits Photos; Babylon

Ce sont alors les décisions et les concertations des réalisateurs tunisiens qui ferment la SATPEC. Ils recherchaient alors une liberté de ton plus affirmé pour leurs films, et avec la SATPEC aux commandes, ce n’était pas possible. Celle-ci en digne représentante de l’Etat était également son outil de censure. Depuis 1960, date de sa création, elle est alors synonyme pour les cinéastes de limites et de sanction. Sa dissolution n’a pas réellement transformé les choses, du moins de ce point de vue.

La vision d’Ismaël sur ce sujet demeure percutante et incisive, comme l’image du film « Babylon » qu’il a coréalisé et qui l’a fait connaitre au grand public. Ce public, justement, dont la présence reste fondamentale pour l’essence de l’existence du « Cinéma ». Ismaël le rappelle sans détours lorsqu’il clame, comme une preuve irréfutable, que « ce n’est pas un hasard si la date de naissance du cinéma est directement et universellement répertoriée à la première projection publique donnée par les frères Lumières, le 28 Décembre 1895 à Paris. Son avènement n’est reconnu que parce qu’il a été donné à voir au public, dans l’espace public ».

Et, lorsque l’on le sonde, à la volée sur « l’avenir du cinéma en Tunisie », Ismaël Lëamsi, plisse légèrement le coin des yeux : « L’avenir se fait aujourd’hui, le système ne suit pas. Pour les cinéastes, s’ils veulent changer le système, ils doivent changer leurs films, et non plus faire des films qui s’alignent sur les produits télévisés. C’est les films qui changeront le système, ils doivent être portés par des gens différents. C’est la nouvelle vague française, brésilienne et chinoise, par exemple, qui ont respectivement permis à leur pays de retrouver une notoriété cinématographique. Ces nouvelles vagues disent quelque chose de nouveau avec une manière nouvelle».

Sans public, il n’y a pas « cinéma ». Et par le terme « public », nous entendons tous les publics, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, des grandes capitales aux petites provinces. N’oublions pas que le cinéma est avant tout une réjouissance qui se veut populaire et qu’il ne saurait s’oxygéner sainement dans le seul élitisme.

A ce propos, ce qui a fait le succès des JCC, cet événement à la fois institutionnel et artistique, c’est l’affluence du public dans les salles de cinéma. Malgré les ratages grandiloquents, progressifs et négativement évolutifs d’années en années, personne ne peut contester que pendant la période des JCC, beaucoup de tunisiens vont au cinéma. Certains, habitants dans d’autres régions, se déplacent même dans la capitale pour assister à des projections.

Cette plaque tournante du secteur fait certes vivre le cinéma, et tous les marchés et emplois parallèles qui s’y greffent, cependant, elle ne le fait que pendant une infime intervalle de temps, une dizaine de jours chaque deux ans. De plus, de part la médiocrité de son organisation, la « qualité » de ses films nationaux sélectionnés et la « qualité » de ses projections, elle donne de plus en plus une piètre image du cinéma tunisien. Cette arme à double tranchants que sont devenues les JCC, s’est encore plus révélée lors de la session précédente tenue du 16 au 24 Novembre 2012.

Les 24èmes Journées cinématographiques de Carthage (JCC) se sont ouvertes vendredi 16 novembre 2012 au Colisée en plein coeur de la Capitale. Crédit  photo : http://tunisie14.tn/
Les 24èmes Journées cinématographiques de Carthage (JCC) se sont ouvertes vendredi 16 novembre 2012 au Colisée en plein coeur de la Capitale. Crédit photo : http://tunisie14.tn/

La sélection des films tunisiens a laissé pantois plus d’un cinéaste. Evidemment, lorsque nous parlons de sélection, nous parlons de « sélection officielle », et non de films qui passent « hors compétition ». En effet, les quatre films documentaires qui ont marqué l’année 2012, à savoir, « Anbou El Phosphate » de Samy Tlili, « Babylon » d’Ismaël, Ala Eddine Slim et Youssef Chebbi, « Fellaga » de Rafik Omrani et « C’était mieux demain », « Yé Men Aach » de Hinde Boujemaa, ont carrément été snobés des jurys de sélection, alors qu’ils ont raflé reconnaissance et prix internationaux. Oui, le jury de sélection les a clairement écartés de l’ « officiel » pour les reléguer au plan de « apte à la projection », et contrairement à ce qui s’est dit et ce qu’il est naturellement donné de penser, ce n’est pas une question de censure. C’est juste une question de « professionnalisme » du jury de présélection, constitué de membres, certes intellectuels et universitaires, mais complètement profanes au langage cinématographique, avec ce qu’il impose d’esthétique, de sémantique et de terminologue propres au cinéma. Ils n’ont tout simplement aucune idée du cinéma, comme nous l’a confirmé Ismaël Lëamsi, lors de notre rencontre, lorsque nous avons abordé le sujet de ce comité de sélection. Ismaël « trouve déjà aberrant que ce dernier ne prend pas en considération les films qui dépassent 52 minutes, alors que ce format est plutôt fait pour les productions audiovisuelles et non pour le 7ème art ». Sans négliger la donne que le jury de sélection des JCC, fais son choix entre quatre murs et en huis-clos, sans donner d’explications, ni barème d’évaluation et ni échelles de valeurs.

Encore des problèmes de cible et de discernement que le Ministère de la Culture conjugue sans cesse au présent. Les personnes qualifiées sont là avec leurs compétences, et le système « préhistorique » et décomposé du représentant étatique de la Culture s’obstine à composer avec les mauvais éléments de construction. Ce n’est donc pas étonnant que ses bâtisses reposent sur des fondations en carton.

Il faut dire que les précédents JCC ont réellement indigné la majorité de ses participants et spectateurs. Inutile de revenir sur les multiples éléments négatifs qui ont provoqué cette indignation ; tous les journaux de la place ont en parlé jusqu’à l’indigestion (affiche des Jcc, programmation, organisation, projection, ouverture, clôture, etc… tous de piètre qualité).

Au vu de tout cela et au vu de la polémique engendrée, le débat autour d’une question nécessaire et fondamentale aura au moins été relancé : doit-on garder les JCC telles quelles, ou en modifier les charnières de base, comme son appartenance au Ministère de Tutelle, qui ne fait que rabaisser les JCC d’années en années (manque de moyens, organisation de dernière minute et dans l’urgence, équipe mal formée et inexpérimentée qui change à chaque session et qui se met en place sans réflexion, ni bilan, etc…).

De plus, le Marché du Film qui fleurissait pendant les JCC dès 1966, date de la création du festival grâce à son fondateur Tahar Chriâa, ce marché qui permettait de promouvoir le cinéma tunisien, celui des pays arabes et africains, n’est plus du tout de mise. Economiquement, ce marché agonise de part tous les déboires des JCC, qui se succèdent, et les professionnels qui finissent par le déserter pour d’autres festivals arabes mieux organisés, mieux structurés, plus créatifs et plus en phase avec leur temps (Festival International du Film de Marrakech, tous les Festivals de Cinéma Arabe dans les pays du Golfe, etc).

Alors, les associations et syndicats affiliés au cinéma tentent de mettre en relation les producteurs et réalisateurs tunisiens en mal de financement avec d’éventuels acheteurs et distributeurs de films. Elles pensent et imaginent des rencontres autres que celles institutionnelles et font leur « mini-marché », à l’instar de celui agencé par la chambre nationale des producteurs de films tunisiens, qui avec le soutien d’Euromed Audiovisuel a permis, en « off » des Jcc, la tenue du mini foire du film national et maghrébin, ou certains distributeurs invités et directeurs de festivals internationaux ont pu remarquer capacités et potentiels d’achats, futurs contrats de distribution. Heureusement que les professionnels du cinéma tunisien n’attendent ni l’Etat, ni le système pour faire vivre leurs métiers.

La médiocrité de la bureaucratie culturelle n’a pas eu raison d’eux. Citons également, et toujours en marge des JCC, un autre heureux événement pour la Tunisie : son élection à la présidence du FPCA (Fonds Panafricain pour le Cinéma et l’Audiovisuel) nouvellement présidé par Férid Boughedir. FPCA qui va s’atteler, nous l’espérons, au soutien logistique et financier pour l’aide au développement du cinéma africain.

Pour parachever notre réflexion autour du milieu cinématographique en Tunisie, nous voudrions nous concentrer d’avantage sur la dimension actuelle et immédiate de la survivance régénératrice du secteur : la trempe de ses actuels cinéastes.

Même si l’ouverture des écoles de cinéma, en masse à partir de 2000, mais sans suite pour trouver du travail, a fait que beaucoup de jeunes, bons et moins bons, se sont rabattus sur la télévision ou ailleurs, alors que leur vocation première était le cinéma, ou pire encore , sont restés dans une situation précaire à défaut d’en faire, une minorité accompagnée d’autodidactes talentueux et férus de cinéma, a tout de même persisté et signé. Avec la technologie qui a démocratisé l’outil, une bonne partie d’entre eux a imposé le cinéma « nouveau » en Tunisie. Ces derniers qui n’ont pas besoin de l’argent de l’Etat, ont plus de liberté, plus d’audace, moins de moyens mais beaucoup d’imagination et de créativité, et surtout un besoin féroce de parler et de dénoncer.

Ce désir de cinéma, tellement féroce quand il s’insinue à jamais dans votre vie, existe réellement chez de nombreux tunisiens, qui ont consacré et qui consacrent leurs vies au 7ème Art. Une néo-optique de jeunes cinéastes qui ont enjambé le milieu cinématographique avec rage et soif de dire, dans une « anarchie » créatrice, un vrai bol d’air pour un milieu gangréné. Avec de nouveaux films qui ont imposé une rupture radicale avec les sacro-saints sujets habituels au cinéma national (La Femme tunisienne, La vie en société dans la vielle Médina, la famille conservatrice, mœurs, phénomènes sociaux, etc…), devenus indigestes à force de répétition, et qui ne font pas de grande différence avec nos feuilletons ramadanesques « éclairés ».

Les jeunes réalisateurs actuels ont arrêté de se regarder le nombril pour regarder et donner à voir le réel.

Certes, la révolution a permis à de nombreux cinéastes, professionnels et amateurs de tourner des films à petit budget sur des sujets risqués car iconoclastes (sit-in de la Kasbah, la population désenchantée du bassin minier de Redeyaf, les réfugiés de Ras Jdir, etc, ), et nous avons découvert un autre pan de la sensibilité et de la création cinématographique tunisienne, celle de la dénonciation et du propos engagé. Rompant définitivement avec l’esthétique, devenue ennuyante, des « vieux dinosaures », la nouvelle génération de cinéastes a accouru tout naturellement vers le genre du documentaire, un style presque sur mesure pour l’autre lignée des écrans du réel.

Dans la Tunisie actuelle, le « doc » répond à la majorité de leurs besoins immédiats : proposer un regard concret sur leur environnement, faire une œuvre qui affirme la relation des arts avec les changements politiques et sociaux, être dans l’action citoyenne, casser l’automatisme consensuel des institutions jusqu’ici en place, et faire des films de grande qualité à très petit budget. Ces jeunes cinéastes qui ont définitivement fermé la porte aux attentes d’un système dont ils ont fait le deuil, ne baisse pas les bras quand la « Kasbah culturelle » préfère remettre ses avantages à ses éternels privilégiés. Bien au contraire, cela n’a fait que consolider leur « fureur » de cinéma, et ne fait qu’entériner leur indépendance et leur autonomie de création pour consacrer leur autogestion.

C’est bien cette « nouvelle vague » du cinéma tunisien qui insuffle au dit secteur une inspiration animée et un « stimulus » vivace. Des expressions inhérentes à toute écriture… révolutionnaire.