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Blogueuse jusque-là uniquement connue des lecteurs des billets publiés sur son site personnel, Olfa Riahi est à coup sûr devenue en l’espace de quelques jours l’une des personnalités dont on parle le plus en Tunisie. La cause : ses articles, étayés par des éléments de preuve présentés comme authentiques, qui attaquent le ministre des Affaires étrangères, mettant du même coup le feu aux réseaux sociaux et aux médias, allant jusqu’à forcer le gouvernement à réagir rapidement pour tenter d’éteindre l’incendie.

Le « Sheratongate »

Un ministre en particulier est dans le collimateur de la jeune femme : Rafik Abdessalem, chef de la diplomatie tunisienne. Le 26 décembre, Olfa Riahi publie sur son blog un brulot accusant entre les lignes le ministre de dépenser dans un hôtel de luxe les deniers de son ministère et d’y inviter par la même occasion une femme pour des motifs peu clairs.

Pour provoquer ce qui est désormais le « Sheratongate », la blogueuse se base sur des justificatifs et des pièces comptables pour appuyer ses dires. Les notes d’hôtel présentées font ainsi clairement apparaître le nom et les dates du séjour du ministre. Ces factures auraient été payées selon les sources de l’auteure par des chèques tirés sur un compte du ministère, à l’exception des sommes concernant l’invitée, réglées en espèces par le ministre.
Les réactions n’ont pas tardé après ces révélations. Le gouvernement et Ennahdha ont été les premiers à défendre M. Abdessalem, accusant Olfa Riahi de diffamer le ministre. L’intéressé lui-même a reconnu l’authenticité des pièces et a présenté son invitée comme sa cousine. Une explication qui peine à convaincre les Tunisiens.

L’onde de choc est telle que Hedi Ben Abbès, secrétaire d’État au sein du ministère des Affaires étrangères, cherche à décharger son parti de toute responsabilité dans cette affaire, ajoutant que la divulgation de documents confidentiels n’est pas dans les habitudes du CPR, dont on sait en effet Olfa Riahi assez proche. Tout en appelant à une enquête sur les malversations présumées de son ministre de tutelle, M. Ben Abbès se défend de plus d’avoir des vues sur le poste de Rafik Abdessalem.

Révélations en prime time : Rafik Abdessalem toujours en ligne de mire

Surfant sur la polémique, la chaine de télévision Ettounsiya donne la parole à la sulfureuse blogueuse en l’invitant en prime time dans le talk-show « Dima Lebess » le 29 décembre dernier. C’est l’occasion pour la jeune femme de maintenir ses propos et même de faire de nouvelles révélations sur le ministre des Affaires étrangères.

Olfa Riahi rapporte ainsi qu’un virement d’un million de dollars, effectué directement par le ministère chinois du Commerce, a été adressé à un compte au nom du ministère des Affaires étrangères à la Société tunisienne de banque (STB). Or, rappelle la blogueuse, il est « illégal qu’un ministère reçoive de l’argent de gré à gré d’une partie étrangère, même officielle, et qu’il en dispose sans passer par le ministère des Finances par le biais de la Trésorerie générale ».

Dans la même émission, l’invitée se défend d’avoir porté des accusations contre le ministre et affirme avoir seulement rapporté des faits avérés à l’issue de son enquête. Ce serait les médias qui auraient selon elle mal interprété et traduit son article en le transformant en une accusation de malversation et d’adultère.

Cette fois, c’est Hichem Bayoudh, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, qui monte aux créneaux sur radio Mosaïque FM dès le lendemain de ces déclarations. Il explique qu’un don direct d’un million de dollars a été accordé au ministère pour couvrir les frais du forum arabo-chinois, tenu à Tunis. Il souligne par la même occasion que les dépenses du ministère sont soumises à des audits, contrôles et procédures comptables dans le cadre du budget accordé au ministère.

Plainte et re-plainte

En réaction aux révélations d’Olfa Riahi, l’avocat Fathi Laayouni, proche d’Ennahdha, a décidé le 31 décembre d’intenter une nouvelle action en justice contre la journaliste. Le même avocat a déjà déposé quelques jours plus tôt une plainte contre la même personne pour atteinte à l’image du ministre des Affaires étrangères et des institutions de l’État en diffusant de fausses informations.

De son côté, la blogueuse lance le même jour un ultimatum au gouvernement le sommant d’ouvrir des enquêtes sur l’utilisation de l’argent public par le Rafik Abdessalem et sur les sommes versées par la Chine directement sur le compte du ministère des Affaires étrangères. Si aucune procédure n’est lancée d’ici au 7 janvier, elle menace de saisir les tribunaux dans cette affaire à titre personnel et promet de nouvelles révélations.

Les évènements s’accélèrent mercredi

Mercredi, c’est au tour d’un collectif de 25 avocats d’annoncer par la voix de Me Cherfeddine Kellil qu’il déposera une plainte dans les prochains jours contre le ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalem. Les juristes invoquent comme motif l’article 96 du Code pénal qui punit notamment de 10 ans de prison tout fonctionnaire bénéficiant d’avantages injustifiés grâce à sa position. L’avocat explique que cette plainte est motivée par les soupçons d’abus de bien public par le ministre et surtout par l’inertie du ministère public « sous l’emprise du ministre de la Justice ».

Ces propos semblent avoir reçu un écho puisque Fadhel Saïhi, conseiller du ministre de la Justice, a annoncé dans la foulée à l’AFP que le parquet a ordonné une enquête pour vérifier les accusations contre le ministre des Affaires étrangères suite aux révélations qui ont été faites sur son compte.

Enfin, le soir même sur Hannibal TV, Olfa Riahi fait savoir qu’elle entend se défendre devant les tribunaux contre la diffamation dont elle est l’objet en attaquant notamment les avocats Fethi Laayouni et Raja Haj Mansour, ainsi que toute personne ayant répandu les rumeurs selon laquelle la blogueuse est sous le coup d’un mandat d’arrêt, appartient au RCD et est un agent de puissances étrangères. Enfin, elle annonce qu’elle portera plainte contre le leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui accuse la jeune femme dans le journal Al-Sarih de travailler pour Kamel Eltaief.

Rached Cherif