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Extraits de l’ouvrage FLASK. Crédits photos Flask. Yaka Editions

« Flask » résonne comme une acoustique « physique ». Ceux qui ne connaissent pas encore son nom l’ont certainement croisé, au moins une fois, sur la toile. Comme tous les joyeux trublions de la caricature et du dessin satirique révélés au grand jour aux lendemains des « Dégage » expéditifs d’une « Avenue Habib Bourguiba », libérée un certain 14 Janvier 2011, « Flask » traîne depuis ses humeurs et narre au fil de ses lubies quotidiennes les frasques de la Tunisie postrévolutionnaire.

Terrain, faut-il le rappeler, fertile en macabres rebondissements se situant tour à tour entre banditisme et mercantilisme politique. Alors, quand c’est « Flask » qui se met dans la peau du citoyen observateur mais incapable d’exprimer les cupidités de ceux qui le gouvernent, il donne une voix aux « silencieux majoritaires ».

Personnage aux grands yeux écarquillés sur l’environnement « bizarroïde » dans lequel il vadrouille, « Flask » ne cesse de s’exclamer et de s’esclaffer sur son quotidien, devenu sa principale source d’inspiration. Exactement comme son créateur, Skander Beldi qui a donné naissance à « Flask »… bien avant la révolution, en 2008. Il publie alors sur sa page « Facebook » son premier dessin, réflexion autour de la misère sociale, aussitôt censuré et retiré de l’interface « web ». Figure attendrissante  hypra-sensible, « Flask » est moitié homme, moitié femme. C’est un travesti qui regarde la société tunisienne en décortiquant ses moindres faux-pas. Comme ce « travelo » du film « Pédale Douce », qui a d’ailleurs inspiré Skander Beldi pour la création de son « anti-héros ».

Agé de 38 ans, issu d’une formation en « design-produit » effectuée dans une école d’Art de la place, Skander Beldi avoue « n’avoir jamais été activiste, et être sans aucune tendance révolutionnaire ». Il confirme: « Mon seul moyen d’expression se trouve dans le dessin, la création et l’illustration graphique. Les mots, ce n’est pas mon truc, je suis complètement retiré dans mon univers. Certes, après le 14 Janvier j’ai eu comme un déclic, un coup de gueule. Aujourd’hui je ne peux plus m’arrêter de faire ce que je fais. De plus, je me sens inculqué d’une énorme responsabilité à travers la publication de mes dessins, qui sont en définitif mon point de vue, mais qui peuvent avoir une influence sur l’éveil des consciences de mes concitoyens, je l’espère… »

L’on se rend justement compte de la capacité de pénétration spirituelle des messages que nous injectent progressivement « Flask » moyennant ses commentaires acidulés, avec l’ouvrage que vient d’éditer la juvénile maison d’éditions « Yaka Editions », et qui signe avec « Flask » son deuxième opus. Présenté pour la première fois samedi 22 Décembre dernier à la Librairie Mille Feuilles, ce livre est un recueil concentré de ses billets les plus grinçants, où l’on pourrait lire en filigrane « Âmes hypocrites s’abstenir ».

En effet, présenté par «  Hasni » du site «Réveil Tunisien », père spirituel de toute cette nouvelle génération de « YakaYak-istes », préfacé par Radhia Nasraoui qui nous rappelle, en toute logique et en toute objectivité, les conditions houleuses et le terrain miné dans lesquelles a décidé de s’imposer la liberté de presse, des médias et de l’information dans la Tunisie actuelle, provisoire avec des arrières goûts d’éternité, le livre « Flask » pourra certainement servir de journal de bord, voir de mémento pour les mémoires amnésiques.

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FLASK, Deuxième ouvrage des Editions Yaka. Crédits photos Yaka Editions

Doté d’un esprit félin comme la patte qui lui sert de signature, Skander Beldi et/ou « Flask » y discute de tout suscitant dans nos cavités cérébrales de sympathiques débats. Divers positons sur les thèmes qui fleurissent au cœur de l’actualité. Dans notre Tunisie « provisoire » actuelle, nous ne sommes effectivement pas en reste de thématiques. Procès des martyrs et des blessés de la Révolution, l’Affaire Abdellia et la question de l’atteinte au sacré, faits-divers tragi-comiques des salafistes, ambiance chaotique dans laquelle baigne la Tunisie, l’insécurité, l’impunité et les violences policières, les dégâts de la chevrotine, la fin du monde annoncée par les Mayas récupérée par les calculs nahdhaouis, …, toute l’actualité y passe, au peigne fin, sous les ultra-violets de l’humour drôlement noir.

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Extraits de l’ouvrage FLASK. Crédits photos Flask. Yaka Editions

Les Dessins de « Flask » qui se situent dans la droite lignée du « dessin de presse », sont une illustration du présent immédiat, à travers la satire et l’ironie, l’extrême tension d’un trait d’humour, quelque fois vêtu de son habit le plus sombre.

Si les tunisiens découvrent aujourd’hui la portée du dessin de presse, ce dernier était depuis longtemps, avant l’avènement de la photographie, le seul moyen, que ce soit à la mine ou avec la technique de la gravure, d’accompagner les « papiers journalistiques. C’était le seul moyen de représentation de l’actualité écrite.

Contrairement à ce que nous pourrions penser, l’apparition de la photographie n’a pas relégué le dessin de presse au second plan, bien au contraire. En devenant quelque part « secondaire » puisque la photographie était là pour mettre en images la réalité, ce dernier s’est encore plus approfondi en adoptant un autre rôle, celui de commenter l’actualité et de donner un point de vue.

Si le dessin de presse est figuratif, il a su dépasser la forme pour atteindre les strates de l’esprit, et y fonder une ligne éditoriale toute particulière. Souvent sur un ton grinçant, très souvent dans la critique, le vrai dessin de presse ne caresse jamais le monde qui nous entoure dans le sens du poil. Contestataire, insoumis, antisystème, résolument anti-pouvoir, il est cette loupe qui nous montre les travers de ceux qui nous gouvernent, et dévoilent au grand jour, à travers le dessin impertinent, leurs débauches comportementales et leurs malversations humaines

Oui, le dessin de presse est vrai, il ne ment pas. Et si la vérité est une pastille souvent désagréable à avaler pour ceux qui en font l’objet, elle fait tellement de bien au citoyen « sujet », une fois ingurgitée. Oui, la satire soigne, exactement comme un bon médicament… qui nous éclaire sur la société dans laquelle nous vivons et évoluons.

C’est ce que semble se murmurer continuellement Skander Beldi pour trouver l’énergie nécessaire qu’il insufflera ensuite à son « Flask ». Même s’il avoue qu’actuellement « Ce n’est plus du tout la même chose qu’il y a un an et demi ». Il admet « se sentir beaucoup moins libre », « se sentant obligé de trouver des astuces pour diffuser sa satire ». Exactement comme l’on faisait lors de la dictature de Zaba…. Skander Beldi entonne alors: « J’espère finalement que cette bouffée d’oxygène respiré jusqu’ici ne finira pas par s’essouffler, petit à petit ». Ce seront les mots de la fin.

Selima Karoui