De tous les gouvernorats du pays, Siliana semble bénéficier enfin d’un traitement spécial de la part du gouvernement. Cette fois-ci, ce n’est pas le ministère de l’intérieur qui s’en est chargé, mais c’est au ministère du développement et de la coopération internationale qu’est revenu tout l’honneur. Ce ne sont plus des grenades lacrymogènes et des tirs de « rach » qu’ont reçus les Silianais en guise de cadeaux, mais plutôt des data. Des données à regarder et à analyser avec ce qu’il en reste de pupilles et de sérénité, si jamais, il en est resté. Des données précieuses et importantes, parait-il, pour le gouvernement et pour le maintien de sa sacro-sainte légitimité électorale. Sur la page d’accueil du site du ministère de Riadh Bettaïeb, peut-on en effet contempler une grande carte multicolore du pays. En cliquant sur chaque gouvernorat, une fiche correspondante s’affiche, avec, pour rubriques, en plus de la représentation géographique de la région : la Stratégie du développement du gouvernorat en question, les Ressources, Opportunités et Filières, le Suivi des projets publics et l’Indicateur du développement Régional. Seule Siliana a eu droit à 16 rubriques, soit quatre fois ce qu’ont eu les autres. Au menu et en supplément :

Le Progamme Développement Intégré de Siliana, le Suivi de Conseil Ministériel Régional de Siliana, le Plan régional de Développement de Siliana, un Tableau Récaptulatif, les Projets d’Investissement privé de Siliana, la Note sur l’Investissement privé de Siliana, le Rapport trimestriel de suivi des projets publics, le Suivi des projets en difficultés, le Suivi des projets publics Novembre 2012, les Projets publics achevés, les Projets en cours de réalisation et enfin les Projets en cours d’appel d’offres.

Aussitôt qu’on lise cette suite de rubriques, on est essoufflé. Ouf, Siliana, on l’a répétée 6 fois en quelques secondes. Malgré ça, certains opportunistes, antirévolutionnaires, osent dire que Siliana est une contrée sinistrée, une région paupérisée, un gouvernorat que le gouvernement a oublié ! Quelle vergogne et qu’ils sont louches et ingrats les intentions et les comportements de certains Tunisiens !

Donc, par souci de transparence et d’intégrité, le gouvernement nous a lancé, en pleine figure, toutes les informations, mises à jour, concernant le développement et surtout les projets à Siliana. Après tout, le gouvernement est légitime et n’a rien à cacher. Seulement, ces informations qui ont le gout de leaks, tellement elles sont exclusives, il est arrivé que leur parution ait étrangement coïncidé, avec les évènements qu’a récemment vécus Siliana.

Kasserine, le gouvernorat voisin, le plus pauvre du pays, aurait-il ses datas publiés si ses habitants avaient descendu dans la rue revendiquant leur part de projets. Huit de ses 13 délégations se positionnent en bas du classement national, parmi la vingtaine la moins développée. Hassi Ferid occupe la 264ème place, la toute dernière, avec un indice de développement régional de 0,00. Le deuxième 0 après la virgule est mathématiquement inutile, mais le ministère a tenu quand même à le mettre. Peut-être a-t-il des raisons qu’on ignore ou qui nous dépasse.

Les habitants de cette délégation, où le taux de pauvreté dépasse 40% (la moyenne nationale étant de 15,5%), n’ont-il pas le droit de savoir s’ils ont des projets ? Et s’ils en auraient, n’est-il pas légitime qu’ils suivent l’évolution de l’exécution de ces présumés projets ?

Le 0,00 leur nie certes la décence de la vie, mais leur enlève-t-il leur citoyenneté ?

Il y a seulement quelques mois, rappelons-le tout de même, la population de Kasserine s’est révoltée pour revendiquer ses droits inaliénables et légitimes à la liberté, à la dignité et à la justice sociale. En contrepartie de son insurrection, elle payé très cher. Selon le rapport « officiel » de la commission nationale d’investigations sur les abus et les violations commises par le régime durant la révolution, aussi bâclé soit-il, 21 Kasserinois ont été tués et 624 blessés. Au moment des atrocités qu’elles ont subies, les victimes (pour se conformer au jargon d’un autre ministère, celui des droits de l’homme et de la justice transitionnelle) n’auraient jamais cru que, deux ans après, les zéros neutres et absorbants allaient toujours les hanter, tout comme des nœuds de pendaison.