Mise à jour 20 mars 2013:
Une commission indépendante a recensé 168 blessés lors de l’évènement de Siliana. D’après l’avocat Charfeddine Kallil, membre de cette commission, “les forces de l’ordre n’étaient pas en état de légitime défense, ni en train de protéger un lieu public, donc l’usage des armes à feu n’était pas légal.”

Il faut que le ministre de l’Intérieur Ali Larayadh soit sévèrement jugé“, telle a été la déclaration de la mère d’un blessé lors des affrontements entre forces de l’ordre et les manifestants à Siliana qui demandaient du développement et de l’emploi dans leur région.

Une visite a eu lieu hier, à l’hôpital Hédi Rais d’ophtalmologie (Tunis), aux blessés durant les derniers évènements à Siliana de la part de Samir Dilou, ministre des Droits de l’Homme et de la justice transitionnelle, également porte-parole du gouvernement, de Abdellatif Mekki, ministre de la Santé et Habib Kchaou, conseiller du gouvernement chargé des affaires sociales.

Venus “s’assurer de l’état de santé des blessés” selon le communiqué du Premier ministère, les ministres ont été confrontés à la colère des familles. L’une des mères d’un blessé, s’exprimant avec colère devant le ministre des Droits de l’Homme s’est adressé à M. Samir Dilou :

Ali Larayadh doit être jugé sévèrement. Les policiers n’ont fait qu’exécuter un ordre, le ministre a donné cet ordre. Je veux que le ministre de l’Intérieur soit sévèrement jugé

Selon un communiqué officiel du ministère de la Santé, 252 personnes ont été blessées, dont deux sont devenues borgnes. Tirant sur les manifestants avec de la chevrotine, munition composée de projectiles multiples, les forces de l’ordre n’ont fait qu’exécuter des ordres. Le ministre de l’Intérieur Ali Larayadh a en effet confirmé cela en justifiant l’usage de cette arme contre les civils dans une intervention vendredi dernier, 28 novembre, sur la chaîne nationale 1

Ce qui s’est passé à Siliana était de la violence, de l’agression et de la répression contre les forces de l’ordre. Si vous posez la question sur le lieu où se sont déroulés les évènements, on vous répondra que c’était autour de l’enceinte du bâtiment du gouvernorat. […] Aujourd’hui trois postes de police ont été incendiés ainsi qu’une délégation, sans parler de la destruction du bâtiment du gouvernorat.

Notre collègue journaliste Emine Mtiraoui, qui a été sur place, a démenti ces propos en précisant qu’aucun poste de police dans la ville de Siliana n’a été incendié et que le bâtiment du gouvernement n’a eu que trois vitres cassées par des jets de pierre. Le ministre de l’Intérieur faisait donc référence à des incendies qui ont eu lieu loin de la manifestation, dans d’autres délégations, alors que le sujet concernait les affrontements dans la ville même de Siliana et non dans ses environs.

Au sujet de l’usage de la chevrotine, le ministre l’a justifié comme suit :

On a des lois qui organisent notre travail. […] Quand il y a des jets de pierre et des jets de cocktails Molotov, les forces de l’ordre, réagissent pour que le bâtiments du gouvernorat ne soit pas détruit. Ils ont riposté avec des bombes de gaz lacrymogène. Ensuite, quelle était notre solution quand des citoyens veulent brûler les biens publics et agresser la police ? La loi nous recommande de tirer à balle réelle en haut, puis dans les pieds. Les agents de la police ont une autre solution, pour cette étape, au lieu de tuer les enfants du peuple, nous utilisons la chevrotine, qui certes fait mal mais qui ne rend pas handicapé et ne tue pas.

L’association Liberté et Équité, a condamné l’usage de cette arme dans un communiqué en notifiant que l’usage de toute arme non inscrite dans la loi qui définie la procédure de dispersion des manifestations est illégal.
Après le scandale provoqué par cette arme utilisée à l’encontre des manifestants où des visages ont été trouvés avec du plomb ainsi que l’attaque contre les journalistes, dont certains étaient étrangers, les tirs ont cessé mercredi soir, 29 novembre.

Pour la énième fois, le ministre de l’Intérieur justifie la violence des forces de l’ordre en promettant une enquête. Cependant, toutes ses promesses, entre autres celles concernant les enquêtes sur l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Tunis où quatre personnes ont été tuées ou celle du 9 avril, n’ont pas été honorées.

A l’Assemblée Constituante, aucune mesure concrète pour désigner la responsabilité des drames successifs n’a été faite. Malgré les derniers évènements et l’échec du ministère de l’Intérieur non seulement au niveau sécuritaire mais aussi sur le plan de la communication, les députés du bloc démocratique n’ont pu écrire une motion de censure contre le Chef du gouvernement, certains que le quorum de 73 voix ne pouvait être atteint à cause de l’alliance entre Ennahdha, le CPR et le parti Wafa. Quant à la justice, des procès en attente, des gréves de la faim dans les prisons se sont multipliées où deux d’entre eux ont fini par décéder dans la prison de la Mornaguia où Chaker Achouri, un ancien tortionnaire a été promu il y a quelques mois par le ministre de la Justice en tant que directeur de l’établissement pénitencier.

La Troïka, chancelante, multipliant des interventions médiatiques, accuse en pointant du doigt les partis de gauche criant au complot. Par ailleurs, le Président de la République Moncef Marzouki, se dissociant de la position de son propre parti, a reconnu le 30 novembre dans un discours l’incompétence du gouvernement en place en appelant à la formation d’un gouvernement réduit, chose qui a grandement déplu au parti islamiste Ennahdha qui l’a vivement critiqué.

Walid Bannani, vice-président du bloc parlementaire d’Ennahdha a déclaré hier 3 décembre, sur la radio Mosaïque FM, que

M. Marzouki devrait avoir plus de réserve et se mettre à distance. Si son parti, le CPR adopte son point de vue, toutes les possibilités seront envisagées..

Le Secrétaire Général du CPR, Mohamed Abbou a répondu à cette question en indiquant qu’un remaniement ministériel est nécessaire et non pas un gouvernement réduit. Adoptant ainsi la position d’Ennahdha, le CPR et le parti islamiste sembleraient mettre en isolement le Président de la République.

Entre jeux politiques et besoins du peuple, les enjeux s’accroissent. De son côté, le ministère du développement régional et de la planification continue son travail malgré les retards survenus à cause de l’Assemblée Constituante qui n’a remis qu’au mois de mai la loi de finances complémentaire pour l’année 2012.

Ainsi la restauration des routes, notamment celle n°4 reliant Bargou à Siliana ne sera entamée qu’au mois de décembre. Cliquez ici pour lire les détails des projets en cours

Comment gérer la situation explosive, entre un développement régional qui avance au ralenti, une opposition qui gagne de plus en plus du terrain et monte dans les sondages, et un ministère de l’Intérieur non réformé depuis la chute de l’ex-Président Ben Ali ? Une équation difficile à résoudre pour l’inexpérimenté gouvernement Jebali. Comme tous les hommes au pouvoir, l’envie de le garder semble de toute évidence la préoccupation première de nos dirigeants qui s’adressent non aux citoyens révoltés mais à leurs adversaires, notamment le parti Nidaa Tounes et le Front Populaire. Le cas de figure de la situation actuelle en Tunisie pourrait s’apparenter à ces grands dont parle Michiavel dans son oeuvre “Le Prince”, “qui veulent opprimer” face au peuple qui ne veut point être opprimé. En effet, l’auteur parle de deux dispositions d’esprits opposés [dans tous les pays] : d’une part, le peuple ne veut être ni commandé ni opprimé par les grands ; de l’autre côté, les grands désirent commander et opprimer le peuple ; et ces dispositions contraires produisent un de ces trois effets : ou la principauté, ou la liberté, ou la licence.

A quoi va aboutir la Tunisie, berceau des Révolutions arabes, entre ces trois effets ? Telle est la question.