Vingt-deux mois après les soulèvements des Printemps arabes, samedi 24 novembre dernier, s’est tenu à Marseille un débat qui avait pour titre « Un printemps médiatique arabe est-il possible ? » organisé par l’Institut Panos Paris, en présence de cinq spécialistes chevronnés des médias et de la région.

Lors du débat, qui s’est donc tenu à la maison de la Région Provence Alpes Côte d’Azur, Yves Gonzalez, ancien chercheur à l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO) à Damas et à Beyrouth, a mis l’accent sur la nécessité de modifier le type de financement des médias pour espérer modifier leur mode de gestion et de rendre ainsi leur contenu indépendant et neutre conformément aux règles déontologiques de l’éthique et du professionnalisme journalistiques.

Slimane Zeghidour, rédacteur en chef à TV5 Monde, a quant à lui, mis en exergue le rôle joué par les médias dans les soulèvements du printemps arabes. Rôle qui a notamment permis de « populariser » les révolutions. Alors que jadis, seuls les responsables et les hauts gradés des respectifs régimes avaient voix au chapitre, lors des soulèvements, la parole a été donnée aux insurgés, ce qui a renversé la donne et imposé de nouvelles règles dans les médias de la région. Zeghidour a également abordé l’aspect sémiologique du terme révolution en français et de son synonyme sawra en arabe. Il a démontré que les significations et les portées de ces deux termes dans les deux langues ne sont pas tout à fait équivalentes. Tandis que le renversement de l’ordre établi pour mettre en place un meilleur est inhérent au mot révolution, en arabe, le terme sawra est synonyme de désordre, de bouillonnement et n’est pas nécessairement porteur d’amélioration et de positivisme selon lui. Le journaliste souligne l’introduction des dialectes dans les médias nationaux, une réalité imposée par les réseaux sociaux. Par ailleurs, il déplore le manque de reportages et de travail de terrain des professionnels de l’information dans les pays arabes et qualifie le métier de journaliste dans ces contrées de métier mondain. Zeghidour note que dans un ciel arabe audiovisuel chargé, al Jazeera a incontestablement accompagné les révolutions. Qui plus est, les chaines arabophones, notamment la chaine française France 24, ont doublé leur audience lors de ces soulèvements.

L’intervention de Larbi Chouikha, professeur universitaire à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI – Tunisie), s’est articulé autour d’un mot clef : le règne des paradoxes. Selon l’intervenant, le règne des paradoxes est le maître mot du paysage médiatique tunisien depuis janvier 2011. Et, s’il loue la dynamique médiatique qui s’est installée depuis cette date, il déplore l’absence d’un cadre juridique qui régit le paysage médiatique et le métier de journaliste. Il pointe également du doigt un grand handicap, celui de la formation des journalistes dans ce pays. Journalistes que Chouikha qualifie de « formatés pour lire des communiqués ». L’un des paradoxes qu’évoque aussi l’intervenant réside dans le tiraillement infligé aux journalistes qui subissent la persistance de la censure mais qui aspirent à la rupture avec le passé. Le 17 octobre dernier, ces journalistes ont, pour la première fois de l’histoire de la profession en Tunisie, observé une grève. Une opération coup de poing qui montre que les choses sont bel et bien en train de changer dans la Tunisie post Ben Ali. Larbi Chouikha refuse à cet égard de parler d’hiver islamiste et qualifie la Tunisie de laboratoire. Il voudrait rester optimiste quant à l’avenir des médias dans le pays nonobstant les indéniables difficultés auxquels ils sont confrontés.

Quant à Tourya Guaaybess, membre associé au Laboratoire Communication et Politique (CNRS, Paris) elle a souligné que le regard des Français a changé depuis le déclenchement des soulèvements arabes. Ils sont désormais conscients que les choses bougent de l’autre côté de la méditerranée. Pour ce qui est du paysage médiatique arabe, elle note un retour au local et lie cela à l’intérêt que représentent les problèmes nationaux pour les spectateurs. Cet état de fait, explique l’émergence de bon nombre de médias locaux qui se font la concurrence et qui essayent d’attirer l’audience en priorisant les préoccupations locales. C’est la figure du citoyen qui prime, explique Guaaybess. Cependant, elle souligne l’intrication entre réalité et medias et insiste sur la nécessité de changer et de réfléchir à un modèle de télévision de service publique à l’aune de la nouvelle donne politique.

« En pensant au changement, il faut penser à la continuité », c’est une condition sine qua none pour Naomi Sakr, professeur à l’Université de Westminster (Royaume-Uni) et spécialiste des problématiques médiatiques dans le monde arabe. Elle souligne l’importance du rôle joué par les nouveaux médias tels que les réseaux sociaux pour dessiner le nouveau paysage médiatique dans les pays arabes. Alors que les medias mainstream pouvaient ignorer un évènement, l’émergence des médias sociaux et des cyberactivistes qui dénoncent et qui informent, l’abstraction peut durer quelques jours peut-être mais plus jamais une éternité. Cet état de fait a développé une prise de conscience du grand public mais également des médias à il ne reste que le choix de la réactivité afin de rester crédibles et garantir leur pérennité. Naomi Sakr précise que sans propriété claire et transparente, la durabilité d’un média ne peut pas être assurée. Elle ajoute que la période d’euphorie où l’on croyait que quiconque pouvait lancer son propre média a été courte et que les entraves financières ont été des rabat-joie et des obstacles à de telles velléités dans les pays arabes touchés par les soulèvements.

Yves Gonzalez, confirme quant à lui ce retour au local qu’évoque Tourya Guaaybess. Il cite le cas des pays qu’il connait très bien comme le Liban. Un pays qui dispose de plusieurs médias divers et variés, destinés principalement au spectateur libanais. Il insiste cependant sur l’existence d’une dynamique régionale à même de récréer l’espace audiovisuel panarabe. Ceci étant, l’entrave, selon Gonzalez, serait l’inexistence d’un modèle économique viable et surtout neutre, les capitaux des médias émanant principalement des politiciens à l’heure actuelle.

Tous les intervenants se sont accordés à dire que, suite aux évènements des Printemps arabes, le paysage médiatique arabe a irréversiblement changé en s’ouvrant à de nouvelles formes de journalisme notamment par l’entremise des nouveaux médias. Et nonobstant leur optimisme affiché, les intervenants restent prudents quant à l’avenir des médias et conscients des entraves auxquels sont confrontés les professionnels dans les pays arabes.

Le débat a été présenté par le président de l’Institut Panos Paris, Jacques Soncin ainsi que la responsable de programme Latifa Tayah Gueneau et animé par le journaliste Thierry Leclère. Il a été diffusé en direct sur internet via la chaine Gazelle TV.