A Kairouan Mohamed Rammeh, jeune étudiant, a crée une web radio il y a trois ans déjà. Ce jeune DJ ne pensait pas un jour devenir citoyen-journaliste. A sa manière il oeuvre à créer une information plus juste en Tunisie.

Visage poupon, lunettes sur le nez, sourire timide, petit polo, Mohamed a l’air d’un enfant sage. C’est peut-être pour ça que le jeune homme de 23 ans a réussi, il y a quelques années, à passer inaperçu alors qu’il venait de lancer un média sur le web. En 2009 alors qu’il vient de passer son bac et qu’il mixe de la musique, il décide de créer une webradio.

« Je voulais que le plus grand nombre de personne écoute ma musique puisque j’étais DJ. Quand j’ai commencé mes études à Sousse j’ai donc eu l’idée de faire une web radio pour plus de gens aient accès à ma musique. »

A l’époque cet étudiant en son et image ne se doute pas que ce passe-temps va prendre une autre forme. Petit à petit la prise de conscience autour de l’importance de l’information née : « Je me suis rendue compte que Kairouan était une région marginalisée, que la radio ne parlait pas de nous, ni la télévision nationale et que les correspondants de presse avaient toujours un discours biaisé… Du coup j’ai pensé à créer des petites émissions qui parlaient du quotidien des Kairouannais, des problèmes qu’ils rencontraient dans leur vie, mais aussi des émissions sur la culture et le sport. » Rien de très polémique dans les programmes de sa web radio, mais l’idée de s’intéresser les uns aux autres et de vouloir témoigner de la réalité est là.

« Sur les médias classiques l’information n’était pas toujours représentative de toute la réalité, elle penchait toujours dans un sens. Pour moi le journaliste citoyen doit en fait servir à faire la balance. Si bien que quand la chaine de télévision nationale présente un reportage, le journaliste citoyen lui doit essayer de montrer l’intégralité des événements » explique-t-il.

Au début Mohamed rassemble une équipe de 10 personnes, des étudiants, des chômeurs mais aussi des gens qui travaillent. Avant la révolution la parole n’était pas libre, pourtant Mohamed n’a pas vraiment eu de problème. « Un jour le gouverneur m’a appelé pour que je rencontre le responsable des médias. Il nous a proposé de nous installer dans une structure, au lieu que chacun travaille chez lui. Il nous a proposé une salle équipée avec des PC dans les locaux du RCD. » L’équipe a refusé, aucun d’entre eux ne souhaitaient avoir de lien avec le parti au pouvoir.

Alors que Mohamed et son équipe pouvaient s’attendre à des représailles ils ont simplement reçu une « mise en garde ». Ainsi il avait été prévenu lors de son passage au gouvernorat :

« Ne touche pas à Ben Ali, ne touche pas à la politique. »

Impossible à l’époque pour Mohamed et son équipe de faire des interviews de responsables et d’institutionnels.

Aujourd’hui la situation est différente. La révolution a changé la donne et il a participé, à son échelle, a changer les choses. « Pendant les mouvements j’avais une page facebook et j’appelais les gens à manifester, à la fin du mois de décembre et au début du mois de janvier. Toutes les manif étaient organisées par l’UGTT. Je participais et je filmais. La page a finit par être censurée le 11 et le 12 janvier 2010. » La page avait 12 000 fans à ce moment là. Après le départ de Ben Ali la page facebook est à nouveau accessible. Mais aprés la Kasbah 1, en février 2011, la page a été piratée et Mohamed ne la récupèrera pas.

Il ne se décourage pourtant pas et lance, en mars 2011, une nouvelle page qui compte aujourd’hui plus de 17000 fans. A ce moment là il stoppe son activité sur la webradio et son site Radio Kairouan commence plutôt à publier des vidéos.

Aujourd’hui trois anciens membres travaillent pour la radio Sabra FM. Mohamed est resté seul : « Je dois former une nouvelle équipe et la motiver. Je veux des émissions radio, des articles et des vidéos, le tout sur le site web que je suis entrain d’améliorer. » La naissance d’un média citoyen régional complet est en train de prendre forme à Kairouan.

Et couvrir les événements de la révolution a été la meilleure des formations pour Mohamed : « Pendant la révolution les correspondants des journaux ne parlaient pas des mouvements à Kairouan, c’est pour cela que je le faisais. Aujourd’hui il y a des correspondants de chaines de télévision privées, des journaux de presse écrite qui sont sur place et couvrent l’actualité. Mais ils ont tous leur manière de présenter les infos sur la région : souvent ils ont une couleur politique. »

Mohamed lui filme et poste ses vidéos dans leur intégralité sur le net : « Je ne fais pas de montage ou très peu, je ne veux pas éliminer une partie ou une autre de ce qui se passe surtout si il y a des affrontements, dans ce genre de cas je met tout : le citoyen qui commence et l’offensive des forces de l’ordre ou le contraire. »

Et quand on lui demande si il est satisfait du fait que des journalistes travaillent depuis Kairouan il juge leur travail de façon assez rude : « Ils parlent plus de Kairouan c’est vrai, traitent différents sujets comme la pauvreté, mais ça manque toujours de professionnalisme… Moi ce qui m’intéresse c’est de montrer les citoyens de Kairouan, c’est pour eux que nous faisons ce travail, que je fais des photos ou des vidéos. » Une prise de position intéressante. Car Mohamed ne reste pas bras croisés. Il fait partie de cette jeunesse qui, loin de se résigner, essaie d’apporter des solutions en agissant de manière responsable.

D’ailleurs sa manière de se définir le prouve :

« Je suis citoyen-journaliste : c’est à dire que j’essaie d’avoir les compétences d’un professionnel dans ma production mais que je suis avant tout un citoyen qui parle de ce qui l’entoure. »

Crédit image : Nawaat