Mrakba Ki Sennih (fausse comme ses dents). L'humour Willissien, plus réel que le réel. Crédit images Yaka Yaka.org.jpg

Révélé à partir d’une rencontre, comme toutes les bonnes initiatives qui naissent sur les frêles lignées du hasard, mais surtout accouché suite à la volonté de quelques personnes, dont « Hasni », du site « Réveil Tunisien », élément perturbateur et subversif pour les consciences frileuses, censuré et piraté pendant l’ère Ben-Alienne, qui, en ayant fait la découverte de « Willis », « matou » actif depuis le 14 Janvier, a tout naturellement manifesté le désir d’en faire la connaissance. C’est ainsi qu’à la fête de l’ « Huma », à Paris en Septembre 2011, autour d’ « Hasni » et de « Willis », se sont rassemblés « Lagrande Yakass » (à l’époque Jérôme Benoit), les anciens de « Réveil Tunisien », et les artistes de l’ouvrage bédéiste « Koumik ».

« Willis », félin qui possède la propriété d’être aussi caméléon, vu le nombre impressionnant et toujours renouvelé des personnages (véritables phénomènes de société) qu’il cache dans ses moustaches, est né un certain 13 Janvier 2011 au soir.

Le cœur gros et la langue enfin déliée, après l’écoute du fameux dernier discours de Ben-Ali avant sa fuite, « Willis » s’est littéralement « lâché(e) » sur le papier. Esquisse souvent parodique de « toi », « moi » et/ou les « autres », il apparait sur la toile pour nous faire rire tout doucement et nous faire réfléchir très fort, et réciproquement.

« Willis » qui a fait bien du chemin après, multipliant les festivals internationaux et collaborant, par exemple, avec l’historique « Siné Mensuel », n’a pas oublié sa vocation première et son souci originel : regrouper autour de lui tous les joyeux lurons qui le désirent, pour se moquer des institutions qui se moquent de nous.

A partir de volontés analogues, est né le concept « Yaka-ien », aux détours de mots et de syllabes, de consonnes et de voyelles griffonnés sur les pages de feuilles arborées sur une table de bistrot. Dans sa forme linguistique la plus éclatée est donc venue au monde la syllabe « Yaka », digne héritière d’un Tristan Tzara, éprise des écoles dadaïstes qui affirmaient l’avènement du hasard comme instant de création et genèse de l’œuvre d’art.

« ‘’Yaka’’ y aller », et c’est comme ça que c’est parti. En Octobre 2011 le site « YakaYaka.org » était en ligne. Une satire sociale, une réflexion cynique des strates politico-médiatiques et socioculturelles que la Tunisie, de l’intérieur et de l’extérieur, traverse. Refusant d’être comparé à « Charlie Hebdo », qui à coups de communication et de publicité, est devenu progressivement beaucoup plus dirigé par un esprit commercial et mercantile que par un esprit substantiellement subversif, « Yaka Yaka » se veut avant tout rassembleur d’individus autour de la liberté d’expression.

« Tout le monde peut entrer au ‘’Yaka’’», dit « Lagrande Yakass », « le rédacteur en chef » du site, « pas en chef du tout ». Les fondements de la ligne éditoriale étant « les coups de gueule ».

Une tribune pour s’exprimer, dans la transgression, sans s’accoler ni accoler aux autres une étiquette de journaliste, de critique ou d’intellectuel « x ». Un refus de la mise en boîte dans une archive donnée, comme une fenêtre différente sur la Tunisie, accentuée par un type de diversité présente sur le net. « Yaka » a donc lancé des rubriques inédites, des personnages ont poussé leur premier cri dans « Yaka », et nous remarquons surtout que les dessins et les lignes réflexives sont affranchis du dogme patriarcal.

Yaka Yaka est ce genre de site qui regroupe des caricaturistes, des bloggeurs, des illustrateurs, auteurs qui détournent et retournent la réalité dans laquelle nous évoluons quotidiennement, et qui, avec leurs origines cosmopolites, ont traversé les géographies statiques pour atteindre des sphères toujours mobiles.

Il faut dire que l’homme qui se blottit chaque semaine derrière les épaules protectrices de « Lagrande Yakass », qui porte fièrement son pseudonyme mais qui a bel et bien une identité humaine, a un passé « sulfureusement » militant. Trublion, furieux de la vie, agréablement usé par la le riche apprentissage de l’asphalte, celle qui use les souliers des guerriers urbains, il croit volontiers qu’il y a « quelque chose à se mettre sous la dent » avec le dessin de presse en Tunisie postrévolutionnaire.

Justement, « Lagrande Yakass » n’a jamais étalé son passé de révolutionnaire des temps modernes, et nous le découvrons, simplement, en discutant avec lui. Il y a ceux qui font trop de bruit pour rien, et il y a ceux qui ne font pas de bruit pour quelque chose. De consistant, de solide et de résistant. Avec « Yaka », « Lagrande Yakass » a su mettre la culture du « pseudo » comme principe conceptuelle et prôner cette intense et inexplicable appétence d’utiliser et d’écrire en « argot », noble vocabulaire d’une langue donnée, quand il est utilisé à bonne escient. Il faut aussi savoir « dire » avec des mots simples, volontairement « fastoches ». Proches du peuple, avec pour ultime objectif le réveil citoyen.

Politiquement engagé, les sujets de réflexion du site prennent comme support immédiat la société, les fragments sociétales, les bribes existentielles de l’ « Humain », tunisien ou autre, et les idées se mélangent entre flaires communistes, anarchistes, voir même « x »-istes. Refusé d’être « labélisé » tel ou tel partie, défendre son apolitisme, mettre en avant sa non-couleur politique pour demeurer libres, comme un slogan affiché d’indépendance statutaire et salutaire.

Parallèlement, non sans répit, les « Yaka-istes » militent pour lutter contre la censure et surmonter l’autocensure, une des raisons pour laquelle « Yaka Yaka » est également une maison d’édition. Après avoir édité « Willis » pour leur baptême éditorial, c’est le dessinateur « Flask », et auteur de « Yaka », sur la scène du dessin sarcastique depuis à peine un an, devenu une image incontournable du Web.

Avec son allure nonchalante, son personnage, androgyne et hybride, aux yeux « coquinement » exorbités, avance une vision démesurée de l’existence, comme si « Flask » nous scrutait au microscope, pour raconter qui nous sommes.

La maison d’édition « Yaka » s’est spécialisé dans le dessin de presse, dans le « street-art », et les arts dits alternatifs. Sans aucuns moyens, autogérée, fonctionnant encore à peu d’exemplaires, elle persiste et signe pour diffuser un autre ton, et rémunérer les artistes à leur juste valeur, en réduisant leur exploitation quelque fois ravageuse. Elle agit par ailleurs sur différents fronts, pour imposer en Tunisie la culture du droit d’auteur.

Alors, le groupe des « Yaka Yak-istes », au risque de paraitre choquant pour certaines cellules grises effarouchées, affiche un humour noir, tour à tour volontaire et involontaire, vaillant et malicieusement malveillant. Comme un enfant espiègle, tendre canaille, ils surfent sur des ondes « pince sans rire », mordantes et galopines.

Dignes héritiers d’Antisthène* et Diogène de Sinope** qui pratiquaient, avant l’ère chrétienne, les conversations philosophiques comme genre littéraire antique défini par le « cynisme », les discussions, expressions et dialogue ouverts par le collectif « Yaka Yaka », sans se vouloir uniquement à caractère polémique, manient l’ironie, l’invective sur un ton critique, construit avec un genre stylistique qui stipule une rhétorique précise.

La satire qui se veut forcément politique, est une attitude face à la vie, dans une sorte de total renversement des valeurs. Un anticonformisme qui encourage à la désinvolture et à l’humilité, en différent des normes établies et ce, particulièrement, de la « morale », entendue ici comme la « sacrosainte morale ».

Certainement comme une sorte de rébellion devant une société devenue incompréhensible et un monde désormais insensible et imperméable, la forme satirique épouse le fond sarcastique pour diminuer l’exagération des conventions sociales qui répriment et anéantissent l’individu, et nous archivent de plus en plus.

Loin des normes factices et des idées admises, le site « Yaka Yaka » aspire à cela. Et c’est ainsi qu’avec lui, un pamphlet affriolant s’écrit actuellement sur les pages du web tunisien où la satire enjambe la critique pour accoucher d’un rire mutant.

* : Antisthène est un penseur du Vème Siècle avant J-C, considéré comme l’inspirateur de l’Ecole et des courants philosophiques du « Cynisme ».

** : Premier véritable cynique radical (IVème Siècle avant J-C), modèle et référence des Ecoles du « Cynisme » et du « Stoïcisme ».