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Appel à la création d’une Instance Constitutionnelle de la Transparence et de l’Accès à l’information

Plaidoyer pour la mise en place de mécanismes administratifs efficaces en vue d’une meilleure communication entre l’Etat et le citoyen

Partant du principe de l’Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (de 1948), qui déclare que le droit fondamental à la liberté d’expression englobe la liberté de « chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit », l’association ‘‘Touensa’’ s’est mobilisée en collaboration avec plusieurs institutions, experts et leaders associatifs pour relancer le débat sur la transparence et la liberté d’accès à l’information, en organisant une table ronde, le 28 septembre 2012 à Tunis, sur le thème « Droit à l’accès à l’information : états des lieux, enjeux et défis », à laquelle ont été conviés plusieurs experts, activistes et leaders associatifs de la Tunisie et de l’étranger, notamment du Maroc, du Mexique, des Etats Unis d’Amérique et de la Grande Bretagne.

La table ronde, qui a coïncidé avec la célébration du 10ème anniversaire de la Journée internationale du droit de savoir, fêtée dans plusieurs pays du monde, a permis d’étudier le cadre juridique tunisien et régional actuel, les pratiques existantes, l’expérience de certaines institutions publiques et le rôle des médias et de la société civile dans ce domaine.

La liberté d’information peut être définie comme le droit d’avoir accès à l’information détenue par des organismes publics

Au cours de ces dix dernières années, le droit à l’information a été reconnu par un nombre croissant de pays, y compris des pays en voie de développement, à travers l’adoption d’un ensemble de lois sur le sujet.

La législation relative à la liberté d’information s’est moins répandue dans les États arabes que dans d’autres parties du monde, mais les efforts visant à la promouvoir se sont multipliés dans divers pays et au niveau régional, et des avancées significatives ont été réalisées au cours des dernières années.

Jusqu’à récemment, seule la Jordanie avait adopté une loi en faveur de la liberté de l’information (en 2007), dont elle rencontrait des difficultés de mise en application. Le monde arabe a, cependant, connu des transformations importantes depuis plus d’une année: un décret-loi sur la liberté de l’information a été promulgué en Tunisie en 2011, et la circulaire concernant son application a été publiée le 3 mai 2012, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

Le Yémen a voté à son tour une loi sur la liberté de l’information en juillet 2012, qui lui a valu des éloges de la part d’experts internationaux. La nouvelle constitution adoptée au Maroc en juillet 2011 comprend une clause garantissant l’accès à l’information publique.

Les lois relatives à la liberté d’information reflètent le postulat essentiel selon lequel toutes les informations détenues par les gouvernements et les institutions gouvernementales sont en principe publiques et ne peuvent être cachées que s’il existe des raisons légitimes de le faire, les cas typiques étant le respect de la vie privée et les questions de sécurité.

Une conscience générale et une volonté politique sont les principaux garants de la liberté d’information

Suffit-il d’avoir une législation concernant la liberté d’information ou le droit d’accès à l’information ? S’interroge M. Kheireddine Ben Soltane, ancien conseiller juridique et de législation auprès du gouvernement à la table ronde organisée en Tunisie. Il répond :

« Une loi promulgué est une étape importante dans un processus, mais elle doit être accompagnée d’une vraie volonté politique, d’une conscience générale et de mécanismes administratifs de mise en œuvre. Ce qui reste à faire législativement, en Tunisie, concerne l’épuration des textes de loi contradictoires »

Pour le professeur de droit public, M. Mohamed Salah Ben Aïssa, « le problème fondamental n’est pas celui des textes, car nous pouvons décréter plusieurs lois, sans avoir la volonté d’aller en avant dans la pratique. En Tunisie, on parle de transparence depuis les années 70, mais l’administration est-elle devenue une maison de verre ? ».

Il a ajouté « En dépit de ce qui s’est passé un certain 14 janvier 2011, le système est toujours là, de même que des sous-systèmes en interaction profonde, dont l’administration qui a héritée du modèle napoléonien, basé sur la hiérarchie et le secret ».

Le véritable problème réside selon plusieurs intervenants dans cette culture administrative basée sur la centralisation des pouvoirs et la hiérarchie. Cette culture administrative a-t-elle changé ? Y-a-t-il aujourd’hui une interface efficace de communication entre le citoyen et l’administration ? Le citoyen agit, proteste et devient parfois violent car il n’a plus de confiance dans un système renfermé sur lui-même.

Dans la plupart des cas, il ne demande plus l’information ou des documents utiles à sa vie quotidienne ou à ses activités professionnelles, car il s’est habitué à ne pas avoir de réponse. L’incommunication entre le citoyen et l’administration publique a favorisé la rumeur et dans plusieurs cas le scandale.

Selon Pr Ben Aissa :

en Tunisie, nous n’avons pas encore l’expérience de l’alternance des gouvernements, ce qui pose la difficulté d’assurer la continuité de l’administration et sa neutralité. Il est donc primordial qu’une autorité indépendante de transparence et d’accès à l’information soit mise en place. Cet organe sera d’une grande utilité même s’il est consultatif, car l’essentiel est qu’il soit indépendant et efficace, pour surpasser les conflits d’intérêt

Médias et société civile ont un rôle primordial dans la défense de la transparence et le droit d’accès à l’information

Les médias et la société civile ont aussi un rôle primordial dans la promotion du droit à l’information et la défense du citoyen. M. Saad Filali Meknassi, coordinateur de la région MENA sur le droit d’accès à l’information auprès de la Banque Mondiale a déclaré :

« la transparence est un facteur clef pour la réussite d’un projet public ou d’un programme gouvernemental, mais le processus de diffuser une information pourrait faire face à plusieurs obstacles humains, techniques ou administratifs »

Il a précisé que « La société civile, y compris les médias, devrait jouer un rôle de plus en plus important pour défendre la transparence et le droit d’accès à l’information. Les associations, les structures syndicales et les ONGs diverses ont aussi leur mot à dire.

Ces structures représentatives du citoyen ont le droit et l’obligation de prendre part aux politiques et choix des gouvernements. Elles doivent aussi travailler avec les administrations publiques en vue de mettre en place les meilleurs mécanismes d’accès à l’information ».

Mme Sélima Abbou, présidente de l’association ‘‘Touensa’’ a pour sa part souligné : « Si le citoyen ne réclame plus son droit à l’information, nous essayerons de l’éduquer et de le sensibiliser pour qu’il prend conscience de son droit vital, sinon nous le défendrons auprès des pouvoirs publics, en tant qu’acteurs sociaux et leaders d’opinion ».

L’expérience du mouvement OpenGov et le combat pour la transparence dans les travaux de l’ANC

Une des initiatives citoyennes qui a débuté par la sensibilisation et la proposition et s’est transformée par la suite en une contre-force citoyenne est celle de OpenGov

M. Sarhane Hichri, un des membres fondateurs de ce mouvement citoyen déclare : « Nous sommes un collectif de citoyens, conscients et avertis. Nous défendons la transparence, comme une des composantes de la citoyenneté. Nous avons essayé par tous les moyens pacifiques et de communication d’accéder aux projets de textes, aux statistiques des votes et aux PV de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), sans résultats. Nous menons aujourd’hui un combat pour arracher l’information, qui a fini par déposer une plainte dans ce sens devant le tribunal administratif ».

Le collectif OpenGov vient de lancer, récemment, une campagne médiatique « 7ell 3inek » (Ouvre les yeux), à travers un spot de sensibilisation pour exprimer, faire adhérer et propager la revendication de la transparence par tous les citoyens. Le collectif vient également de démarrer le projet ‘’7ell.tv’’ pour poster et échanger des vidéos participatives sur le thème de la transparence et l’accès à l’information.

La table ronde organisée par l’association ‘‘Touensa’’ a été aussi une bonne occasion pour présenter les avantages et les outils d’une meilleure communication entre l’administration publique et le citoyen. Spécialistes et intervenants divers ont mis l’accent sur la responsabilité politique dans ce domaine, considérée étroitement liée à la question de la transparence.

Alors que la transparence se concentre sur les pratiques de l’administration publique, la responsabilité politique souligne, elle, la nécessité de faire juger ces pratiques ainsi que leur efficacité par différentes entités, notamment par les citoyens.

La responsabilité politique comprend un sentiment de responsabilité morale devant les citoyens avec différents types de sanctions garanties par la primauté du droit. Même si la plupart des formes de gouvernement prévoient des régimes internes de surveillance, la responsabilité devant la population est cruciale pour la légitimation d’une société démocratique.

Dans un contexte où les citoyens sont libres d’examiner les transactions du gouvernement et de tenir leurs représentants responsables de leurs actions, les citoyens prennent simultanément la responsabilité du fonctionnement de leur gouvernement à travers cette forme de participation.