L’hôpital régional Hédi Chaker a vécu ces derniers temps au rythme des conflits entre l’administration et le syndicat des techniciens supérieurs de l’hôpital. Ces divergences, au départ anodines ont pris une telle ampleur que les autorités et même armée sont intervenues pour y mettre fin.

J’ai longtemps hésité avant de me lancer dans l’écriture de cet article, parce qu’être objectif dans ce genre de situation est très difficile. Je vais quant même essayer.

Je n’ai de parti pris ni pour l’UGTT ni pour la direction des hôpitaux. J’ai d’ailleurs rencontré les deux parties afin d’avoir les deux sons de cloches. Mais je ne m’attendais pas à avoir deux versions aussi antinomiques d’une même histoire.

Est-ce que l’UGTT exagère ? Est-ce que la théorie du complot politique de l’administration est vraie ? Les dossiers de corruption à l’encontre de l’UGTT sont-ils bien fondés ?

Nous avons interrogé M. Mohamed Mesrati, membre du bureau du syndicat des techniciens supérieurs de la santé de l’hôpital Hédi Chaker à propos des accusations de corruptions portées contre l’UGTT. Il nous a déclaré: « Ce qui s’est passé à l’hôpital Hédi Chaker est une tentative d’abus de pouvoir avec à sa tête le parti politique au pouvoir, Ennahdha. Ce parti s’est accaparé les nominations en se basant sur des considérations politiques, alors qu’à mon avis le rôle principal de l’état est de défendre la neutralité de la direction. »

« La nomination du directeur administratif de l’hôpital, un ex RCD, nommé, il est vrai, par le gouvernement Béji Kaied Essesbi en aout 2011, n’a pas rencontré d’opposition, vu qu’on ne discute pas les nominations faites par l’état. Toutefois, nous considérons que la situation dans laquelle se trouve actuellement le secteur de la santé est de la responsabilité des directeurs et des cadres qui en portent la responsabilité soit par leurs actions soit par leur silence. »

A cela le directeur de l’hôpital nous répond : « Avant d’être nommé directeur, j’étais au courant de ces dossiers. Mais je n’étais pas dans une position qui me permettait de pouvoir parler. Je n’étais pas directeur général mais uniquement un cadre de l’administration de l’hôpital. La décision finale est entre les mains du directeur général, j’ai pourtant essayé d’attirer l’attention de mes supérieurs sur ces dossiers mais en vain. Maintenant que je suis le premier responsable, je suis moralement obligé de dénoncer ce qui se passe. »

On lui pose alors la question qu’ont posée les membres du syndicat : “où sont ces dossiers dont vous parlez ?

« Ces dossiers ont été déposés chez le juge et je laisse la justice faire son travail. Je ne vais tout de même pas les exposer dans la rue. Ces dossiers existent et comportent des preuves de dépassements moraux, éthiques et financiers ainsi que d’agressions physiques. »

Nous n’en saurons pas plus.

L’UGTT dit-elle vrai en accusant le directeur d’avoir un parti pris politique et de travailler pour le compte d’un agenda politique ?

Nous nous posons une question fondamentale : est-ce que le travail de l’UGTT englobe le contrôle de la neutralité de l’administration ? Est-il dans ses prérogatives de juger si le directeur de l’hôpital a un agenda politique à remplir tant que les droits des ouvriers sont préservés ? D’après le site internet de l’UGTT et la déclaration de leurs fonctions, ce n’est pas le cas.

Le mot « Dégage » a été entendu par presque tous les médecins que nous avons interrogés. Les membres du syndicat nient l’avoir prononcé. Qui ment et qui dit vrai ? Est-ce juste de l’exagération ? Est-ce un mensonge « blanc » ?

« Non, on ne lui a pas dit « Dégage ». Et de toutes les façons, il se devait de faire appel à un huissier notaire afin qu’il confirme ses dires. Mais, nous on le dit : on ne l’a pas forcé à quitter l’institution. Il a quitté la direction de son plein gré. Il a abandonné son poste et a failli à son devoir de neutralité. Le directeur a emmené avec lui dix employés, qui d’ailleurs, sont seuls à parler aux médias et appartiennent, comme par hasard, au même partit politique : Ennahdha. »

« Le directeur a commencé à tenir des réunions avec M. Aref Maalej le secrétaire général du bureau régional d’Ennahdha de Sfax, et les réunions sont devenues purement politiques au sein de la direction régionale où il s’était installé. Ils ont alors commencé leur campagne médiatique contre l’UGTT avec le soutien des médias. Ils ont lancé des accusations visant notre syndicat sans aucune preuve. Les média ont été de mèche avec eux et ont véhiculé leurs déclarations via la télévision et internet. Je cite comme exemple Radio Sfax. Le 5 Avril, nous avons été attaqués à coup de pierres et de barres en bois par des milices de 60 personnes portant une barbe pour la plupart. Ce sont les mêmes personnes qui se réunissaient dans un local sous le drapeau d’Ennahdha. Ces derniers ne font pas partie des employés de l’hôpital. Les autorités et la police sont intervenues après 2 heures, quand toute l’histoire s’est tassée. Là, encore on dispose de documents prouvant mes dires. »

Le directeur répond à cela :

« Il y a eu effectivement un groupe de 300 personnes « libérés de la révolution » qui sont des employés de la santé publique appartenant à d’autres structures et qui ont voulu tenir tête à la décision et aux comportements du syndicat. Ils ont alors marché en groupe vers la direction pour lever la grève. Des citoyens ordinaires sensibles à la cause se sont joints à eux. Face au refus des membres du syndicat de l’UGTT de les laisser rentrer, la situation s’est dégradée. Et il y a eu 8 blessés uniquement du coté du groupes des « libérés de la révolution de l’hôpital ».

M. Mesrati nous rapporte : « Les employés de l’hôpital ont été attaqués sous le prétexte de la dislocation de la grève. Je veux insister sur le fait qu’il n’y avait pas de grève mais plutôt une forme de manifestation qui n’entravait aucunement le cours normal du travail à l’hôpital. D’ailleurs le premier étage, celui des finances, a continué à fonctionner. Seuls les services où les employés ont quitté de leur plein gré leur activité se sont arrêtés. C’est à se demander si ces employés sont ceux de l’administration de l’hôpital ou ceux du directeur. »

M. Mesrati pense que le directeur était au courant de ce qui se passait, peut-être même l’instigateur de ce plan.
Ces attaques ont pris de la puissance avec la nomination du nouveau maire de Sfax. Trois jours après, il est venu à l’hôpital accompagné par la police. L’hôpital a encore une fois été enfreint dans une tentative de réinstallation du directeur par la force“. nous raconte-t-il

Le maire a aussi oublié son statut de fonctionnaire de l’état. Il a omis le fait que l’hôpital ne rentre pas dans ces prérogatives. Au lieu de s’en tenir à la neutralité et à l’impartialité, il a pris partie et a même menacé quelques employés.

Les choses se sont envenimées d’avantage. Le 18 Juillet sur la base d’un ordre de justice d’urgence.

« Nous avons obtenu une copie cet ordre publié le 2 juin 2012. Vous pensez vraiment que si c’était sur la foi de ce document les autorités auraient pris autant de temps pour le mettre en action ? Le 18 Juillet l’ordre de justice a été mis en pratique par la force et sans la présence d’huissiers notaires, ce qui contraire à la loi. Les policiers ont attaqué les employés de l’hôpital. Une agression très violente qui rappelle celle du 14 Janvier. » affirme M. Mesrati

Le syndicat affilié à l’UGTT accuse également le directeur de l’hôpital de soutenir la CGTT.

« La diversité et la multiplicité des syndicats doit répondre à une demande des travailleurs. On considère que cette diversité syndicale est artificielle, fabriquée de toute pièces dans l’intérêt d’un agenda politique qui vise à frapper l’union syndicale en Tunisie.

D’ailleurs je cite à titre d’exemple les deux syndicats dont les deux présidents étaient à l’UGTT et qui sont respectivement M. Sahbani pour l’Union des Travailleurs Tunisiens (UTT) et M. Habib Guiza pour la Confédération Générale Tunisienne du Travail (CGTT). On connait leur histoire et les raisons qui les ont poussées à créer un syndicat indépendant.»

Selon le syndicat, le nombre d’adhérents à l’UGTT a augmenté de plus de 25%. “ce qui prouve bien que jusqu’à ce jour, l’UGTT reste le représentant officiel des travailleurs. On a plus de 1000 adhérents à l’hôpital Hédi Cheker. La CGTT a annoncé la création d’un syndicat des techniciens de la santé. Mais d’après le registre de l’hôpital il n’y a aucun employé de l’hôpital membre de la CGTT. Sans adhérents il ne peut y avoir de syndicat“.

Sur un document destiné « à tous les adhérents du syndicat des techniciens supérieurs de la santé publique de l’hôpital universitaire Hédi Chaker appartenant à la CGTT » porte pour objet « l’annonce de la création d’un syndicat professionnel », le secrétaire général du syndicat n’a pas signé. On voit juste le cachet du directeur de l’hôpital surmonté de sa signature. ” Il est clair que le directeur a voulu dissimuler le fait que la signature du secrétaire général fictif soit absente en mettant son cachet dessus. Ceci est une fraude et une falsification flagrante“. Affirme le représentant de l’UGTT.

Quant aux procédures administratives concernant l’affichage de ce communiqué, elles sont “tout aussi obscures” affirme le syndicat.

Le directeur a demandé de faire des photocopies de ce documents (près de 50 à 60 copies) et de les transférer avec le carnet de rapport aux surveillants des différents services afin qu’ils accrochent les affiches dans leurs services respectifs. Il a donc mobilisé les ressources de l’hôpital dans l’intérêt du CGTT, déviant ainsi l’administration de ses fonctions alors qu’il est tenu d’être neutre et impartial. Le comportement du directeur ne peut être interprété que comme une atteinte à la cohésion de l’unité syndicale. En créant un syndicat fictif, il n’a fait qu’œuvrer pour les intérêts politiques d’un parti politique»

Ces allégations sont elles vraiment solides ?

Dans cet imbroglio, je n’ai pas de position concrète à partager avec vous. Ce qui s’est passé à l’hôpital Hédi Chaker est déplorable. Le plus important pour moi est que l’hôpital reste un service publique au service de la santé du citoyen. Il est impératif de préserver la santé des malades et les droits des employés quelque soit la couleur de leur drapeau.

J’estime inadmissible que la politique rentre dans l’enceinte de l’hôpital de cette manière et gène le bon déroulement des soins. L’hôpital n’est pas et ne doit pas être l’arène de batailles politiques !

Que l’administration et les syndicats s’en tiennent à leurs fonctions respectives et qu’ils laissent le personnel offrir le service que les citoyens sont venus chercher à l’hôpital !