Crédit photo : blazingcatfur.blogspot.com

Après l’affaire emblématique de Baghdadi Mahmoudi et les débats que cela a suscité, le gouvernement Jebali s’est trouvé face à un énième dilemme loin d’être facille à résoudre : comment peut-on légaliser un parti qui ne reconnaît pas le principe de la République.

Après maints rebondissements, le 17 juillet dernier, le parti islamiste ut-Tahrir a été finalement légalisé. Contrairement à ce que les médias ont colporté comme information il n’y a eu aucun VISA donné à Hezb ut-Tahrir(Parti de la libération islamique). Selon le juriste Slim Laghmani

Il y a une erreur colportée par les médias qui ne cessent de parler de VISA. Car, l’actuel décret loi organisant les partis politiques ne prévoit pas un VISA, c’est-à-dire une autorisation. Ce nouveau système, contrairement à celui de Ben Ali correspond à ce qu’on appelle le régime de l’Interdiction. Le mot peut sembler péjoratif mais en réalité, il est plus démocratique. En effet, le principe est que : Tout parti est légal, donc libre de se constituer. Cependant, l’Etat a la possibilité de refuser cette constitution et ce sous 60 jours au maximum. Ce refus de l’Etat est soumis également au contrôle du juge administratif. Cela veut dire que si l’Etat refuse la constitution d’un parti, celui-ci considérant qu’il n’est pas en contradiction avec la loi, peut saisir le tribunal administratif.

Chaque parti politique, ayant envoyé les papiers nécessaires à la poste en recommandé avec accusé de réception après vérifications par un huissier de justice, devient légal une fois l’AR reçu. Le parti se dirige ensuite au JORT pour publier son statut.

Ainsi, grâce au décret-loi de la Haute Instance pour la réalisation des buts de la Révolution, signé par Foued Mebazaa le 4 août 2011, on est entré dans une phase où le principe est la liberté du pluralisme politique. Cependant, le hic est que le parti ut-Tahrir a été reconnu par l’Etat alors qu’il est non conforme avec l’une des conditions fondamentales du décret-loi, celle de la reconnaissance du régime de la République.

Contrairement au régime du Califat prôné par ut-Tahrir, la notion de République exige deux points principaux, à savoir

1-L’élection du chef d’Etat au suffrage universel ou parlementaire
2-La nature civile de l’Etat

Mieux encore, le bureau politique de Hizb ut-Tahrir a défié la loi en déclarant dans les médias et aussi sur les réseaux sociaux qu’il ne reconnait nullement la République et qu’il n’a pas changé ses propres principes.

Page Facebook de Hezb Tarir : On nous a demandé de changer le statut de notre parti et de reconnaître la République mais on ne l'a pas fait"

Cette problématique n’est pas inhérente aux partis islamistes comme ut-Tahrir qui récusent l’Etat civil en faveur d’un Etat religieux. En République Fédérale d’Allemagne (RFA), le parti communiste était considéré illégal parce qu’il avait pour volonté l’instauration de la dictature du prolétariat. En 1956, le Tribunal constitutionnel fédéral déclare le KPD (Parti communiste d’Allemagne) inconstitutionnel, ce qui a entraîné sa dissolution.

Par ailleurs, le Docteur Slim Laghmani, professeur de droit, expert à la Haute Instance qui a collaboré à l’élaboration du décret-loi en question, considère que la reconnaissance du parti ut-Tahrir serait un faux problème

Personnellement, loin de tout avis juridique, cette légalisation serait un faux problème. Dans un régime idéal, tous les partis et associations doivent être totalement libres. Ce qui compte n’est pas l’existence du parti ut-Tahrir en lui-même mais ses actions. Sont-elles contre la loi ?

Dans les systèmes libres, il y a deux sortes de régimes, celui de la Prévention( L’Etat ne laisse pas faire jusqu’à ce qu’il donne son avis/autorisation) et celui de la répression où la liberté est le principe sauf s’il y a transgression à la loi ou violence, dans ce cas là le juge réprime le comportement.

Autrement dit, tant que le parti ne transgressera pas la loi, la justice n’a pas à l’interdire. Néanmoins, le fait même de ne point reconnaître la République et d’être légalisé constitue une transgression évidente. La député à l’Assemblée Constituante Samia Abbou (parti CPR) considère que

Le Premier ministère a commis une erreur en autorisant ce parti parce que ce dernier ne reconnaît ni la République ni la démocratie et ne condamne pas la violence.

Bien entendu, Hezb Ettarir est connu pour n’avoir commis aucune violence, cependant dans l’application même de la charia qu’il revendique, la transgression des droits de l’Homme -en acceptant ‘le droit divin’ et ce que cela comporte comme la lapidation, la flagellation et autres mesures tortionnaires,- est indubitablement de la violence inhérente à l’idéologie islamique.

Au-delà de la problématique relative à l’autorisation d’un parti qui ne reconnaît pas les principes de la République, il existe un terreau culturel favorable à l’application de la charia qui fait que cette légalisation ne soit pas aussi répréhensible par la population. Le’droit divin’, assuré par la valeur sacrée que cela induit et des années voire des siècles où ces “châtiments” sont devenus une “normalité bienfaitrice”, la légalisation de Hizb ut-Tahrir ne préoccuperait que les défenseurs des Droits de l’Homme.
Aux prochaines élections, ce parti pourra se présenter avec comme programme l’application de la charia. Plusieurs déçus du parti Ennahdha, (qui a pourtant la même finalité qu’Ettahrir mais agissant autrement pour l’instauration de la charia) vont le rejoindre.
Le choix sera donc aux électeurs pour définir quel avenir veulent-ils avoir. En conséquent, le dilemme essentiel serait plutôt d’ordre culturel que politique. Le domaine du politique- qui n’a jamais été séparé au vrai sens du terme du religieux en Tunisie -se trouvera par conséquent face au défi identitaire.

Qu’ils trouvent leur “bonheur” dans un Etat à caractère religieux ou civil, les Tunisiens useront de leur libre arbitre en tant qu’électeurs, chose qui définira indéniablement leur destinée et celle de la République tunisienne.

A lire aussi :
Selon Hezb Tahrir, les Tunisiens ne veulent pas d’un régime autre que le califat

Statut du parti Hizb Ut-Tahrir dans le JORT (Journal Officiel de la République Tunisienne)

Statut du parti Hizb Ut- Tahrir