Hier, à l’Assemblée Nationale Constituante, les députés devaient voter en sénace plénière la proposition de la commission de Fadhel Moussa pour le projet de loi organique sur l’instance provisoire de l’ordre judiciaire. Contrairement à la majorité des présents, les députés d’Ennahdha voulaient absolument supprimer l’adjectif « Indépendante » imputé au titre et à l’article 1 du projet de loi de cette Instance censée remplacer le Conseil Supérieur des Magistrats.

D’emblée, le député Habib Khedhr s’attaque à l’Association des Magistrats Tunisiens et demande à ses membres de ne pas faire pression sur les députés et de respecter l’ANC. Le Président de l’Assemblée M.Mostapha Ben Jaafer a de suite rétorqué à M. Khedhr de respecter les invités, à savoir les juges de l’Association qui étaient présents.

En passant au vote au sujet du titre et de l’article 1, la question de l’indépendance de l’Instance posait problème à Ennahdha. Ses députés, guidés par M.Sahbi Atig et Habib Khedhr voulaient supprimer l’adjectif “indépendante”. M.Khedhr, professeur de droit de métier, a même fait une sortie fracassante lors des débats en déclarant que “parler de l’indépendance du pouvoir judiciaire est politiquement incorrect car il s’agit de l’un des pouvoirs de l’État.” sous les yeux médusés du président de la commission et les cris d’indignation de certains députés. Une déclaration qui a provoqué, tantôt l’ire tantôt les moqueries des internautes tunisiens et qui s’est propagée comme une traînée de poudre sur tous les réseaux sociaux.

Sur 173 députés présents, 89 voulaient intégrer le mot “indépendante” et 80 y étaient contre (4 membres se sont abstenus de vote). Bien entendu, ces votes ne sont nullement transparents puisque le nombre des présents changeait lors de chaque vote et variait hier entre 153 et 173. En outre, on ne savait à quel moment les votes s’arrêtaient. Ce problème a été déjà évoqué par le goupe OpenGovTn mais malheureusement il reste jusqu’à aujourd’hui irrésolu. (à lire : ANC, Quand est ce que le vote s’arrête ? )

Le député d’Ennahdha Habib Khedhr récidive et demande de rectifier l’appellation de l’Instance dans l’article 1 en modifiant le mot “indépendante” par “représentative”. Cette demande, étant absurde suite au vote précédent, le Président de l’ANC a donc soumis au vote seulement l’ajout de l’adjectif “représentative” et non la suppression de l’adjectif “indépendante”, ce qui fut le cas. Ainsi, on aurait une « Instance Provisoire Indépendante et représentative ».

M. Sahbi Atig, voyant que ces votes contrariaient le plan d’Ennahdha, a rappelé à l’auditoire une loi qui exige que pour le vote de toute loi organique, il faut qu’il y ait la majorité absolue, à savoir 109 voix. L’absurdité de cette situation fera parler le député du CPR Tahar Hmila, qui a ironisé sur la peur du parti Ennahdha à l’égard de l’indépendance de la justice.

M. Walid Bannani du bloc parlementaire d’Ennahdha s’est opposé à ces accusations en rappelant leur attachement à l’indépendance de la justice. Cependant, l’aberration de cette situation où d’un côté on clame l’indépendance pour ensuite s’y opposer quand il s’agit de la traduire concrètement dans les textes, a fait rire plus d’un.

Bien que les députés Ennahdha, surveillés de près par le ministre de la Justice Nourreddine Bhiri et de l’ex-bâtonnier des avocats Abderrazak Kilani, militaient coeur et âme pour la suppression du mot ‘indépendante’, M. Fadhel Moussa, président de la commission de la magistrature judiciaire, administrative, financière et constitutionnelle s’est dit quand même confiant quant au déroulement des votes. D’après lui, la majorité votera forcément pour une justice indépendante bien que le pouvoir exécutif, à savoir le ministère de la justice, ne cesse de vouloir avoir la main mise sur le pouvoir judiciaire.

Pour pouvoir lire le projet de loi (version AR), cliquez ici

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