ATL MST/SIDA lutte depuis les années 90 contre le virus en Tunisie.

En lien direct avec la sexualité, le SIDA est un sujet tabou dans la société tunisienne. Pourtant fermer les yeux et prétendre ne rien savoir est un mauvais pari au vu de la situation. Tour d’horizon avec le Dr Kamoun et Badr Baabou de l’ATL MST/SIDA et le Dr Cheniti du Croissant rouge tunisien.

Il fut un temps où la police, mal informée, utilisée les préservatifs trouvés dans les sacs des filles pour les accuser de prostitution illégale, se rappelle le Dr Cheniti, secrétaire générale du Croissant rouge tunisien (CR). D’un côté le CR distribuait des préservatifs pour lutter contre le propagation des MST et du VIH. De l’autre la police menait une action qui coupait toute envie de se protéger. Aujourd’hui les choses ont changé. Les autorités et les associations travaillent ensemble. Enfin. Lutter contre le VIH et les MST demande du souffle, mener des actions opposés n’est pas une solution. « C’est le Fond mondial de lutte contre le Sida qui nous a réuni, ça a dessiné nos prérogatives. Avant nous ne savions pas vraiment qui faisait quoi, aujourd’hui les choses sont plus claires : nous devons être ensemble, le gouvernement a besoin de nous pour toucher les populations et nous avons besoin de lui pour aténuer les peines, modifier les lois, accompagner et aider… » explique le Dr Ridha Kamoun, membre de l’Association Tunisienne de Lutte contre les MST / SIDA (ATL).

Et au vu de la transformation de l’épidémie dans le pays la bataille main dans la main est nécessaire. La Tunisie bénéficie pourtant d’un acquis incroyable qui devrait aider à stopper la propagation de l’épidémie : le préservatif est entré dans les mœurs en Tunisie. Mais pour une raison particulière en fait :

« Beaucoup sont persuadés que c’est exclusivement un contraceptif et donc qu’il ne sert qu’à prévenir les grossesses et n’est utile que pour la pénétration vaginale »

explique Badr Baabou, chargé des volontaires de l’ATL MST/SIDA. « Nous sommes en train de travailler pour désancrer ces croyances et y ajouter une vraie connaissance des pratiques à risque. » C’est que dans les années 60 quand Bourguiba a fait entrer le préservatif dans le pays c’était en appui à sa politique de contrôle des naissances. A cette époque le VIH n’existait pas encore et c’est donc naturellement que le préservatif à été associé à la lutte contre les grossesses non désirées, comme l’explique le Dr Cheniti du CRT : « C’est ce qu’on a trouvé de plus simple à utiliser à l’époque : il y avait le préservatif et le stérilet. Il fallait des moyens simples à utiliser. La politique de Bourguiba était basée sur l’idée qu’il fallait choisir la taille de sa famille en fonction de ses moyens : pour bien nourrir ses enfants, les éduquer et leur donner de l’affection. »

Entre temps le VIH a débarqué et l’utilité du préservatif a évolué. Mais une fois l’idée ancrée dans les têtes il faut un long travail pour faire comprendre que le préservatif sert aussi à protéger des MST et du VIH et que tout le monde est concerné par ces maladies. Le fait que le VIH se soit d’abord répandu dans certaines catégories de population, populations à comportement à risque, a fait croire aux gens que le VIH ne les concernait pas.

Pourtant c’est par la mesure du taux d’infection dans ces communautés que l’on a une idée de la progression du VIH dans la population générale. En Tunisie le VIH concerne 0,03% de la population générale. Presque rien. Pourtant dans les populations à risque ( utilisateurs de drogue, hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes et travailleurs du sexe ) la barre des 5% de contamination dans l’une des catégorie est dépassée. Ce qui signifie que l’épidémie peut devenir générale car ces populations sont en contact avec la population générale. « Nous sommes dans une épidémie concentrée. Nous sommes donc dans un départ de feu » alerte le Dr Kamoun. « Le pont existe entre ces trois populations et la population générale. Ainsi il suffit de prendre l’exemple des hommes ayant des rapports avec les hommes (MSM) par exemple, qui ont la plupart du temps des rapports sexuels avec des femmes également. La grande majorité des MSM sont en fait des hommes d’un certain âge, marié et père de famille. Il s’agit ici d’un comportement sexuel clandestin et donc d’une population difficile d’accès. »

L’épidémie n’est donc pas figée et le type de population touchée évolue explique Badr Baabou

« Avant c’était surtout une population masculine qui était concernée par le VIH, alors que petit à petit on voit que les chiffres sont en train de s’équilibrer entre les deux sexes. Il y a aussi un glissement sur l’âge. Avant il s’agissait d’une population d’âge mûr, aujourd’hui le virus touche de plus en plus de personnes jeunes. Et cette population jeune, qui est sexuellement active, représente prés de 45% de la population tunisienne. »

L’utilisation du preservatif doit donc être automatique. Mais il reste encore refusé surtout par les hommes. Aujourd’hui il y a des millions de préservatifs distribués en Tunisie chaque année et on en trouve dans toutes les pharmacies. Il est d’ailleurs quasi gratuit quand on sait qu’une boite de 3 préservatifs coûte 300 millimes. Mais il semble que les pharmaciens préfèrent proposer les préservatifs les plus chers, des boîtes colorés 10 fois plus cher, par appât du gain. Or quand les gens ont déjà du mal à passer la porte d’une officine pour demander une boite de préservatifs, on les imagine mal entrain d’essayer de négocier pour une boite moins cher.
Autre difficulté celle des points de vente : « Nous avons voulu sortir le préservatif de la pharmacie. Pour un homme qui entre dans une pharmacie et trouver des jeunes filles qui servent peut l’empêcher d’oser demander des préservatifs. Du coup nous voulions sortir le préservatif dans les grandes surfaces. Mais les pharmaciens se sont opposés car ils perdent leur monopole économique » explique le Dr Cheniti.

« Nous faisons un travail très délicat de sensibilisation et pour lequel il n’y a pas de mesure. C’est à dire que nous ne connaissons pas l’impact de notre action. Mais une chose est sûre : les besoins de la population sont plus grands et importants au niveau de la population que ce que l’association peut offrir  » explique Badr Baabou. «Et puis il y a le probléme de la reconnaissance. Une partie des populations avec lesquelles nous travaillons ne sont pas prises en considération et sont stigmatisés par la population générale.» Il faut donc commencer par lutter contre les idées reçues pour lutter contre le VIH.

« Le SIDA nous a forcé à nous regarder en face, c’est un grand révélateur de toutes nos insuffisances, de toutes nos inégalités, injustices et zones de non droit… Finalement ici il s’agit d’une question de respect de l’être humain et ses droits essentiels »

déclare le Dr Kamoun, avant d’aller plus loin. La clef pour combattre le SIDA, pour lui, c’est la tolérance. Car tant que les populations marginalisées et principalement concernées par la maladie ne seront pas perçues et traitées comme toute les autres, alors l’idée de se protéger, pour se protéger soi-même et pour les autres, n’aura pas de sens.