Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Il faudrait que Nahdha et consorts abandonnent une bonne fois pour toute l’idée de ‘re-islamiser’ la société par la force… A croire que ce pays n’est pas arabe et musulman dans son essence depuis 14 siècles. Il faudrait aussi qu’ils comprennent que les modèles wahhabites et assimilés ne fonctionneront jamais dans un pays qui a une tradition de tolérance, de modération et d’ouverture depuis 3 millénaires et qui est dépositaire du rite malekite qui se caractérise par sa tolérance.

A moins de vouloir imposer une dictature religieuse, qui finira tôt ou tard par leur revenir au visage par effet boomerang (comme cela a été le cas pour Ben Ali, certes le processus a pris 23 ans, mais aucun système basé sur l’oppression et la contrainte ne peut durer éternellement).

Après tout, que représentent réellement les salafistes en Tunisie (10 a 15 000 personnes sur une population de 11 millions c’est quoi ? ) Si aujourd’hui, leur pourvoir de nuisance semble s’amplifier, c’est essentiellement pour des raisons conjoncturelles (indulgence du gouvernement dominé par Nahdha, contexte particulier d’instabilité inhérent à toute Révolution…, le prix à payer pour notre mutisme d’un demi-siécle, noyautage et manipulation des groupes salafistes eux-mêmes par des clans mafieux, mélange de l’ancien système et des caïds de quartier qui jouent sur l’effet boule de neige pour déstabiliser le pays et sauvegarder leurs privilèges ou échapper à la justice etc…

Mais en parallèle, il faudrait que les ultras de l’autre camp apprennent à redescendre sur terre et à ne plus vivre en décalage total avec la population (les gens qui vivent physiquement à Tunis mais dont l’esprit se trouve à Paris). Je m’explique : je désigne ici une partie de l’élite économique et bourgeoise qui ne semble pas comprendre qu’un concept comme la laïcité à la française n’est pas transposable en Tunisie, pour la simple raison que chaque pays a sa propre identité et son propre patrimoine culturel. Une certaine élite qui croit qu’Islam et démocratie sont antinomiques. Une certaine élite qui ne trouvait rien de choquant à ce que des gens soient fichés pendant la période mauve-novembriste pour la simple raison qu’ils faisaient la prière du Fajr à la mosquée ou que des femmes se fassent arracher le voile dans la rue par la force par des flics en civil, ou qu’elles se fassent interdire l’accès à l’université ou aux fonctions administratives à cause du voile (je ne parle pas du Niqab dont l’interdiction est, pour moi, amplement justifiée). D’ailleurs, ils affichaient la même indifférence quand tous ces excès et méthodes répressives étaient utilisés contre des militants autres qu’islamistes (gauche, nationalistes arabes, syndicalistes)… Bref, toutes les ‘brebis galeuses’ qui osaient sortir du troupeau benaliste que nous étions pendant un quart de siècle.

Donc, tous ces gens qui ne trouvaient rien à redire à cela (pourvu que le taux de croissance soit bon… une croissance dont la substantifique moelle alimentait, bien évidemment, les comptes des Ben Ali et des Trabelsi, mais ceci ne nous regarde pas ;-), et qui se découvrent maintenant avec des personnalités d’âmes sensibles, de saintes-nitouches de la liberté d’expression façon Nessma (Bouna Lahnine) Persepolis, ou Nadia Fani qui n’a rien trouvé de mieux pour défendre la liberté d’expression en Tunisie que d’aller la défendre sur les plateaux télés des chaines françaises, puis carrément a TEL AVIV !!! Bref, il est urgent que cette partie-là de la population se remette en cause également et fasse amende honorable en se connectant plus au pays réel et en tirant les leçons des résultats des élections d’Octobre 2011.

La première catégorie voudrait faire venir des bateaux pour vider le pays des ‘koffars’ pendant que le fantasme de la deuxième catégorie est de faire la même chose avec les barbus (la nuance n’étant pas de mise, par les temps qui courent ‘les barbus’ est devenu un terme générique pour designer tous ceux qui se revendiquent de l’islam ou de l’islam politique, du plus modéré jusqu’au fan d’Al Qaida). N’y a-t-il pas une option pour que le pays soit assez grand pour tous ses enfants ?

Malheureusement, et malgré une pléthore de partis politiques présents sur la scène (150 maintenant je crois ?), il est désolant de constater qu’il n’y a aucune offre politique sérieuse et crédible qui se positionne sur ce créneau (je ne vais pas dire ‘centriste’ parce que ce mot a été tellement galvaudé qu’il ne veut presque plus rien dire… Une espèce de fourre-tout qui sert plutôt d’outil de marketing politique pour se différencier clairement des extrêmes). Aujourd’hui, 18 mois après le déclenchement de la Révolution, force est de constater que la paysage politique souffre toujours de la même bipolarisation:

– D’un côté une troïka dominée par Nahdha et ses deux partenaires qui n’ont pas, à mon avis, réussi le défi de rectifier le tir de l’intérieur de la coalition gouvernementale. Et rien ne semble indiquer que cette réussite adviendra dans les mois à venir. On ne voit pas beaucoup d’indices indiquant un renversement de la tendance (on voit même le contraire parfois avec des velléités hégémoniques et un appétit de pouvoir de Nahdha de plus en plus affiché, quitte à jeter aux oubliettes les principes de la Révolution et les belles promesses électorales qui n’engagent que ceux qui y ont cru).

– De l’autre, une opposition qui semble agir plutôt comme une force de déstabilisation et de destruction que comme une force de proposition pour offrir des alternatives réalistes et viables qui répondent aux aspirations légitimes de la population. Une opposition, dans sa majorité, prête à s’allier avec le diable (au risque de raviver l’ancien système avec quelques ravalements de façade et sous différentes appellations séduisantes comme le bourguibisme ou Nidaa el Watan), juste pour déstabiliser le gouvernement (même si toute la barque risque de couler avec… Apres moi le déluge !) et augmenter ses chances d’accéder au pouvoir lors des prochaines échéances électorales.

Si tout se passe comme prévu (Inchallah en toute laïcité comme dirait l’autre), nous nous rendrons aux urnes entre mars et juin 2012. Si tout se passe bien, ce sera la deuxième fois dans l’histoire de ce pays que l’on aura des élections libres et transparentes. Aujourd’hui, une troisième voie est plus que cruciale pour sortir le pays de l’ornière. La polarisation va nous installer dans un cercle vicieux qui ne peut déboucher que sur trois corollaires : retour de la dictature (islamiste ou novembriste-siliconée !), guerre civile (déclarée ou larvée) ou implosion de l’Etat et des institutions. Dans les trois cas, le sang des martyrs aura coulé pour rien, et certains en arriveront même (c’est du déjà vu) à regretter Zaba.

Le scénario que je redoute le plus serait celui des élections égyptiennes (le choix entre la peste et le choléra). Cela mènera inévitablement à un niveau élevé d’abstentionnisme, or le fait de s’abstenir quand on n’a gouté aux délices du vote libre une fois serait vraiment dommageable pour le succès de la transition démocratique.

Le grand Hannibal disait : « Nous trouverons un chemin ou nous en créerons un ». J’espère que notre chère classe politique en prendra de la graine pour créer cette troisième voie… Seule issue pour le salut de ce petit bout de terre que nous aimons tous (chacun à sa manière, chacun avec sa propre vision) : la Tunisie…