Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Le deuxiéme article de la série “Analyse du paysage tunisien” est voué à l’analyse de la scéne économique actuelle à l’image des positions des principaux parti politiques sur quelques thèmes avant les élections du 23 octobre. Suivant le modèle du premier article, l’analyse se fera point par point en se basant sur les questions de TuniVote, l’outil d’aide au vote en ligne, développé par Tunicomp, le réseau des compétences tunisiennes en Allemagne.

1) Etes-vous pour que toute entreprise implantée dans une région soit obligée par la loi de recruter un quota de son efectif à partir des habitants de la dite région ?

En voyant ce qui se passe pratiquement de façon continuelle depuis la révolution sur les régions de Gafsa, Gabes, Sidi Bouzid et autres, le simple citoyen pencherait à répondre directement par un oui. En effet, depuis le 14 Janvier 2011, les habitants de plusieurs régions du pays, ayant été ignorés pendant des décennis, n’arrêtent pas de clamer par tous les moyens leur droit de travailler dans les entreprises de leurs régions comme la CPG à Gafsa ou la cimenterie de Gabes.

La plupart des partis partagent aussi cette vision des choses. Car, après tout elle est l’une des principales raisons de l’explosion de la premiére vraie révolution Tunisienne- celle de 2008 du bassin minier de Redeyef, était déja due au fait de l’exclusion des habitants de la région aux dépens des béni-oui-oui.

Cependant, de là à en venir à une loi, cela pourrait ouvrir les portes d’un grand débat sur le régionalisme dont la Tunisie peut s’en passer pour le moment. Le “non” de Afek et du PDP peut s’expliquer par celà mais aussi par le fait de la complexité technique d’une telle loi. Plusieurs questions se poseraient si on venait à développer un projet de loi: la loi s’appliquerait-elle pour les entreprises privées autant que publiques ? Dans quels domaines s’appliquerait elle ? Quel est le quota à respecter ? A ne pas oublier aussi qu’une loi imposerait l’embauche de personnes qui pourraient carrément ne pas être là à l’exemple de l’industrie pétroliére implantée au coeur du sahara. La question restera ouverte. Je pense qu’il faut la traiter au cas par cas.

2) Etes vous pour que la libre initiative et l’ouverture à l’exterieur soit encourgée sans l’intervention de l’Etat ?

Le “non” du PCOT est une question de principe :-) Comme déja noté dans le premier article, pour les communistes, l’Etat est le garant d’à peu près tout et ne doit pas être dépassé dans n’importe quelle décision qui impacterait des citoyens tunisiens. A mon avis, de nos jours, il n’y a aucun moyen d’échapper à une économie du marché. C’est l’offre et la demande qui réglent le marché depuis l’éternité. Toute expérience qui s’oppose à cette régle ancienne a échoué. Dans le cas de la Corée du nord où ça a été imposée par force ou des républiques bananières de l’Amérique latine ou encore littéralement échoué comme le cas de l’ex-URSS, ex Yougoslavie, ex-Tchéquoslovaquie, on remarque que tous ces “empires” ont des noms aujourd’hui qui commencent par “ex” ou finalement entrain d’évoluer comme dans le cas de la Chine qui apparait en l’an 2012 presque plus comme un état capitaliste que communiste.

En Tunisie, tout comme partout, le marché impose ses lois: lors de la révolution libyenne, les prix ont explosé et les tentatives du gouvernement pour les réguler ont été contrés net par des commercants furieux que l’on se mèle des affaires. L’état n’a aucun moyen de s’opposer au marché, par contre il a tous les moyens de s’opposer aux “proxénètes” du marché … A bon entendeur.

3) Êtes-vous pour l’application des lois de l’économie islamique ?

Un sujet de débat apparemment ! Le “neutre” de Afek et du CPR ainsi que le “oui” du PDP laisse penser à une ouverture sur cette “économie islamique” jusqu’ici inconnue en Tunisie mais vraiment sollicitée par plusieurs concitoyens. Je doute fort que le “non” du PCOT, du Ettakatol et de l’Initiative soit un non plus “politique” que économique. Vu que les plus grandes banques mondiales comme la Deutsche Bank sont entrain de tester ce nouveau système et que malgré la controverse que ca peut engendrer, la finance islamique est supportée par plusieurs experts du monde de la finance et vu que les résultats du système financier classique ont prouvé plusieurs failles durant les dernières années, il est normal d’être tenté d’introduire ce nouveau système qui proposerait plus d’éthique.

Pourquoi ne pas essayer la finance islamique ? D’où ma conclusion que le “non” est un non plûtot politique. le “oui” de la nahdha est facilement expliquable par une poussée plus idéologique qu’économique. Cependant, je me pose la question sur le degrés de “Halal” dans un systéme financier globalisé où les banques sont par défaut des entreprises dont les actions circulent pendant la nuit parfois à New York, parfois à Francfort et des fois encore à Tokyo .. A mon avis il faudrait penser plûtot éthique plûtot que religion dans le cas de l’économie et des finances. Je ne mets pas la finance islamique en question, je met plutôt un système global qui dilue le mot “islamique” d’une maniére remarquable … Et puis franchement .. la banque Zitouna, celle que les tunisiens voyaient comme LE sauveur du paysage bancaire tunisien, n’était-elle pas financée par l’homme fort de la bière tunisienne et par Sakhr Elmatri ?

4) Êtes-vous pour la mise en œuvre de toutes les conditions pour la promotion des régions intérieures ?

La réponse du parti Al Moubadara (l’Initiative) de M. Morjane est sublimissime :-) Ce qui m’a interpellé, c’est cette honnetteté rare dans le monde de la politique. C’est simple, c’est un “non” que je suppose catégorique. D’ailleurs apparemment, depuis ça n’a pas changé. Je doute fort que l’Initiative, vu la “dépression sociale” et la blessure encore loin d’être soignée dans ces régions interieures, puisse agir localement pour améliorer les choses. Par contre, le “non” du PCOT est un peu bizarre et difficile à interpréter. Ce parti, vu son idéologie, est très prêt de ces régions et des gens marginalisés en ce qui concerne le travail. Serait-ce un “non” simpliste comme quoi les conditions de promotions de toutes les régions doivent être égales ? Un peu plus révolutionnaire, le “oui” de la Nahdha et du CPR me laisse perplexe.

Certes, c’est un “oui” de bonne foi mais vu l’état actuel de ces régions et ces “rien n’a changé” répétés à tort ou à raison, je doute fort que ce soit plûtot un “oui” à long terme. Le temps se joue des sorts parfois: comme ces deux partis détiennent la clef du pouvoir en Tunisie, ce “oui” aura des conséquences directes sur eux lors des prochaines élections.

Les concitoyens de ces régions sauront dire si ce “oui” aurait atteint son but. Personnellement, je crois que, contrairement aux élections du 23 Octobre où l’identité a été le mot d’ordre de la période électorale, l’enjeu économique sera le mot d’ordre des prochaines élections et après ces neuf mois d’expérience, il faudrait éviter des slogans populistes pour les prochaines élections.

5) Êtes-vous pour l’encouragement des entreprises de sous-traitance ?

Un “oui” d’ Ettakatol .. Ca alors!! Ca retentit toujours dans ma tête .. Ce parti, pourtant assez proche des syndicats vu son historique, a presque du se tromper de réponse. Tout le monde se rappelle très bien de la guerre qu’a ouvert l’UGTT directement après la révolution contre la sous traitance de la main d’oeuvre qui profite certainement aux chefs d’entreprises.

En effet, la sous-traitance permet aux chefs d’entreprises d’engager du personnel sans grandes garanties sur le plan ressources humaines puisque ces garanties seront tenues par les sous-traitants eux-mêmes. En gros, voici ce qui explique les salaires misérables des employés de la sous-traitance: le chef d’une entreprise engage un sous traitant pour le nettoyage de son entreprise, des employés sont envoyés chaque jour pour nettoyer, salaire: 180 Dt par mois, le sous traitant recoit par contre 400 Dt (des chiffres à titre d’exemple) vu qu’il a des charges: CNSS, CNAM et autre .. Le jour ou le chef d’entreprise n’a plus besoin de ces employés, il les remercie gentiment et les éconduit à la porte sans avoir le moindre souci légal.

Donc, vulgairement expliqué, la sous traitance est loin de plaire à la gauche et donc devrait être loin de plaire à Ettakatol ou au PDP. Or, ajouté au “oui” du Ettakatol, le “oui” du PDP me donne l’impression d’une défiguration totale du socialime en Tunisie. Serait-ce pour les beaux yeux des capitaux ?

Il faut dire aussi que ces deux partis ont attiré pas mal d’hommes d’affaires durant la campagne électorale. On pourrait donc conclure que c’est un “oui” “très politique”. A mon avis, en regardant ce qui se passe aujourdhui dans le secteur publique, je doute fort qu’un “oui” ou qu’un “non” puisse résoudre le problème. Prenons l’exemple de l’un des secteurs les plus sensibles, celui des éboueurs : ayant fait une grève, les agents municipaux ont finalement obtenu cause et ont été engagés directement avec les municipalités. Or, est ce que celà a augmenté l’efficience?  Dans quelques quartiers chics de Tunis, les poubelles s’étalent sur des dizaines de mètres et même devant les mosquées. La privatisation de ce secteur serait-elle une possible solution ?

6) Êtes-vous pour l’idée d’un tourisme culturel aux dépens du tourisme de loisir ?

A en voir les réponse, on croirait à une révolution du tourisme ! En plus, des réponses révolutionnaires, il y en a! La Nahdha préférerait par exemple à travers un “non” de garder le tourisme classique de loisir. Afek, par contre, un parti plutôt libéral, préfererait un tourisme culturel aux dépens du tourisme classique. Les dysfonctionnements qui se sont créés surtout durant la derniére décenni de Ben Ali nous a fait perdre beaucoup de terrain face à des pays concurrents qui ont su profiter de l’occasion et ne se sont pas endormis, citons par exemple la Turquie ou encore le Maroc.

La question de TuniVote ici est assez simpliste vu que le tourisme tunisien doit être soumis à d’énormes réformes. Le “oui” des partis Afek, CPR, Ettakatol et PCOT pourrait s’expliquer par la création d’un nouveau pilier capable de créer des emplois dans des régions démunies. Le non” de la Nahdha me parait plutôt un signe d’assurance envers ceux qui ont peur qu’elle changerait le visage de la Tunisie par son idéologie. Tout compte fait, neuf mois après les élections, le paysage touristique en Tunisie est en statu quo et de toutes les manières un changement sera forcément assez lent et à long terme.

Ceci a été le deuxiéme épisode de la série. Le troisième portera sur les politiques fiscales et le système bancaire.