Belhassen Trabelsi n’est pas un immigrant ordinaire cherchant un statut de réfugié au Canada. Pour ceux qui ne le connaissent pas voici ce qu’ il est : il atterrit au Canada avec un jet privé, sa famille possédait un château à Montréal de la valeur de 2.5 millions de dollars, du moins jusqu’à ce que le gouvernement canadien le confisque. Trabelsi a fui un gouvernement démocratiquement élu par le peuple qui s’est révolté contre la loi des Trabelsi, beaux frères du dictateur Zine El Abedine Ben A li.

Trabelsi, un visage de bébé chauve, âgé de 49 ans aux yeux creux et un énorme double menton, est le frère de Leila Trabelsi, épouse de Ben Ali.

Selon les cables de l’ambassade américaine diffusés sur le site de Wikileaks, Belhassen Trabelsi est “le membre de la famille le plus influent“. les cables se référent a la famille comme étant une quasi mafia notant que les tactiques musclées des Trabelsi et leurs flagrants abus de pouvoir les ont rendu facilement détestables. La presse française les décrivant comme voyous, les Trabelsi ont profité du mariage de leur soeur en 1992 en utilisant les institutions publiques et les ressources pour créer un empire économique tunisien incluant des hôtels de luxe, une compagnie aérienne, une station radio, un journal et deux banques.

Trabelsi s’est enfui pour Montréal quand les Tunisiens ont envahi les rues l’hiver 2011 pour précipiter la chute du régime Ben Ali. Malgré une demande officielle du gouvernement tunisien pour extrader Trabelsi afin d’ être jugé, les autorités canadiennes en retenant par les procédures légales désignées pour les demandeurs d’asile légitimes lui ont permis de rester.

Au début de ce mois, Trabelsi a perdu son droit au renouvellement de sa résidence permanente au Canada mais apparemment il y restera pour des années en faisant appel pour son droit de statut de réfugié.

La révolution tunisienne, surnommée révolution du jasmin, a été sous plusieurs formes un rejet du système corrompu maintenu par un clan d’oligarques où les Trabelsi figuraient en bonne position. Mais même aujourd’hui la corruption reste l’un des plus grands obstacles devant l’instauration d’un système démocratique. La Tunisie a fait un grand pas en confisquant les biens locaux de Ben Ali, en arrêtant quelques anciens oligarques et en mettant en place des mécanismes anti corruption.

Malgré cela le nouveau gouvernement lutte encore pour en finir avec les abus du passé. L’un des plus grands défis en effet est de ramener tous les responsables de l’ancien régime, les juger et retrouver les biens estimés à plus de 15 billions de dollars cachés et éparpillés un peu partout dans le monde.

Ceci est un combat entre l’Etat tunisien et une mafia internationale” dit Abderrahman Ladgham en parlant des Trabelsi et la famille Ben Ali et ceux qui continuent à les soutenir. Ladgham, un membre du parti Ettakattol, la coalition gouvernementale centre-gauche, est un vice-premier ministre chargé de lutte contre la corruption.

” L’ancien régime avait deux visages” selon Ladgham: “une façade qu’il présentait à l’ouest comme étant un état développé, l’élève prodige de la banque mondiale, l’enfant bien aimé du FMI, un pays ouvert au tourisme, aux cultures et un autre visage répressif, intolérant, opaque, corrompu” il affirme que ” la Tunisie d’aujourd’hui est prête à faire face aux abus du passé et que le gouvernement promet d’être engagé pour la transparence même si des dossiers ou rapports sont contre nous (membres du gouvernement) “.

Toutefois la mission de récupération des biens à l’étranger et du jugement des figures de l’ancien régime ont été freinés par un manque de coopération avec les pays ayant eu de bonnes relations avec la famille Ben Ali tels que le Canada, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Suisse et la France qui hébergent des membres de cette famille.

Quelques pays susmentionnés ont fait montré leur bonne volonté, le Canada a saisi un château de Ben Ali et la somme de 100.000 $ existant sur des comptes bancaires. En même temps la Suisse, Qatar et l’Union Européenne ont gelé tous les comptes bancaires aux noms de Ben Ali et de sa femme. Les autorités tunisiennes affirment que ces sommes ne sont qu’une infime portion de la fortune des Ben Ali et sont convaincues que beaucoup plus a été transféré soit pour d’autres membres de la famille soit d’autres comptes bancaires vers d’autres instruments financiers plus complexes. Ladgham ajoute que d’autres pays refusent de coopérer activement en ayant recours au prétexte de leur législation interne.

Quant aux actifs internes, le gouvernement tunisien a réussi à confisquer des centaines d’entreprises, banques, compagnies d’assurance et plusieurs biens immobiliers qui ont été contrôlés par le régime déchu. Beaucoup d’entre eux sont sous la forme de conglomérats, tels que Princesse Holding – un groupe contrôlé par Sakher el-Materi -beau fils de Ben Ali- qui englobe les entreprises dans tous les grands secteurs de l’économie tunisienne, allant des concessionnaires de voitures aux entreprises d’édition et les banques. La grande échelle des confiscations atteste à quel point la corruption était généralisée sous l’ancien régime. Presque toutes les entreprises importantes ont été soit pleinement privatisées par l’ancienne famille régnante ou avaient des arrangements avec eux. Les ministères du gouvernement ont souvent été utilisés comme des outils pour promouvoir les mêmes intérêts.

La politique de gestion des actifs nouvellement confisqués s’est avérée difficile. Les comptes rendus détaillés des actifs, désormais sous le contrôle de la banque centrale, n’ont commencé à être compilés qu’en Septembre. En Mars, le gouvernement élu n’avait pas encore décidé quels actifs vendre et comment ils seraient. En plus, Ladgham ajoute que” le gouvernement pourrait confisquer plus d’actifs, parce qu’il découvre de plus en plus des personnes qui sont liées à la famille régnante“.

Alors que beaucoup de ces biens ont été saisis, le nouveau gouvernement tunisien trouve des difficultés à traduire en justice ceux qui étaient en charge. «Notre principale difficulté réside en ces gens qui ont profité de l’ancien système», explique Samir Annabi, le nouveau chef de la Commission Nationale Tunisienne contre la Corruption et le détournement de fonds. “Ils vont essayer de se défendre. C’est une continuation de l’ancien système.

La commission est l’un des rares outils à la disposition du gouvernement tunisien qui commençé à faire le ménage au sein du gouvernement même. Annabi a été nommé récemment, quatre mois après le décès de son prédécesseur Amor Abdelfatah. Ladgham dit que la période d’inactivité de la commission est «une perte de temps” dans la lutte contre la corruption. Annabi a plus de 6000 dossiers qu’il doit traiter. Les plaintes et les dossiers de documents de corruption ont été recueillis sous le précédent gouvernement transitoire par des citoyens et des fonctionnaires locaux, bien que la pleine mesure de leur contenu n’est pas claire. “Derrière chaque fichier existe au moins une personne en quête de justice», a déclaré M. Annabi, expliquant que les cas documentés dans les dossiers seront étudiés et renvoyés au système judiciaire encore non réformé.

La tâche de Annabi est encore plus difficile, selon Ladgham, par le fait que les parties non précisées, à la fois à l’intérieur et l’extérieur du gouvernement, refusent de donner à la commission plus de pouvoir, de peur que la commission n’abuse de son autorité de manière sélective en privilégiant des enquêtes sur d’autres .

Samir Dilou, le ministre des droits de l’homme et la justice transitoire, est également confronté à une rude bataille. La tâche principale de son ministère est de concevoir un nouveau système judiciaire en consultation avec les groupes de la société civile, les organismes juridiques, et les partis politiques. Pourtant, même cette mission se confronte à une résistance considérable. “Un régime ne meurt pas d’une mort subite», explique Dilou. “Il a toujours cette fâcheuse habitude de se perpétuer. Ce n’est pas une question d’organismes séparés, mais d’un système bien établi.

Son travail a ses contradictions. Peu de temps après les élections, dans son rôle en tant que ministre des Droits de l’homme, il a visité à la base militaire Al-Aouina des dizaines de prisonniers de l’ex-régime, en réponse à des plaintes concernant les conditions de détention pénibles. Que le ministre soit obligé de faire une telle visite peut provoquer un choc pour les centaines de milliers de Tunisiens.

Les diplômés universitaires à l’intérieur de la Tunisie, parmi lesquels le chômage s’étend entre 30 et 40 pour cent, ont continué à organiser des manifestations régulières depuis la révolution, appelant à l’emploi, la justice et un gouvernement plus responsable. (Chômeurs diplômés universitaires : voir l’image ci-dessus.) Un récent rapport par les notes International Crisis Group que les autorités tunisiennes “gradualiste” approche de venir à terme avec le passé a ses inconvénients, laissant sans réponse la demande à grande échelle à la fois pour la justice et la responsabilisation,

Nous voulons plus de transparence et de divulgation de l’information», explique Mouheb Garoui, 24 ans, président de I-Watch , une transparence et l’organisation non gouvernementale contre la corruption formé dans le sillage de la révolution. L’urgence de lutter contre la corruption a été clairement perçue lorsque Transparency International a publié son Indice de Perception de la Corruption 2011. Rang mondial de la Tunisie a chuté de 14 places depuis la révolution, même si cela peut-être dû en partie à une meilleure communication sur les crimes du régime précédent. «Nous avons demandé la fin d’un régime corrompu et la réussite du changement des règles, ce la ne signifie pas nécessairement que la structure a changé», dit Sion Assidon, le directeur du bureau régional de Transparency.

Selon un sondage publié en Avril, 75 % des Tunisiens ne croient pas que le nouveau gouvernement a réussi à lutter contre la corruption durant ses 100 premiers jours. (Mesurer l’opinion publique sur la question est délicat, puisque la Tunisie ne dispose pas encore d’instituts de sondage indépendants.) Pour sa part, Ladgham pense que la perception du public n’est pas forcément utile.

Pourtant, malgré la multitude de défis, Ladgham estime que la Tunisie est sur la bonne voie: «Nous n’avons pas à avoir honte, parce que nous commençons à apprendre et nous avons la volonté de faire quelque chose.

[NDLR] Article traduit de l’anglais : The Godfathers of Tunis