Depuis lundi soir, certains quartiers de Tunis et plusieurs villes du pays, sont victimes d’une vague de violence, en signe de protestation à l’exposition du Printemps des arts. Une exposition dans laquelle figurait des tableaux jugés “blasphématoires”, selon les déclarations du ministre de l’Intérieur et du porte parole du gouvernement.

Retour sur les événements

Lundi soir vers 21h le siège du tribunal de première instance de Tunis 2 à Séjoumi a été attaqué et incendié par plus d’une trentaine de salafistes. Alors qu’un camion de pompiers tentait de maîtriser l’incendie les casseurs l’ont braqué et incendié également.

Vers 22h30, entre 300 et 500 salafistes ont essayé de forcer le Palais Abdellia à la Marsa, lieu où se tenait l’exposition, ainsi que le poste de police de Carthage Byrsa. La police a fait usage de gaz lacrymogène pour disperser les protestataires, selon les déclarations officielles.

Jérôme Benoit, l’un des responsables au Palais Abdellia donne, quant à lui, une version différente de cet incident :

Vers 23h les salafistes sont revenus au Palais Abdellia. Ils ont crié des slogans contre les artistes en les traitant de mécréants … Entre minuit et minuit et demi ils ont été dispersés par la police qui surveillait les lieux. Mais vers 1 heure du matin ils ont finalement pu s’infiltrer dans le palais. Ils ont tagué les murs et lacéré une dizaine d’oeuvres d’art qui était à l’intérieur.

Un peu plus tard dans la soirée “un groupe de salafistes” a attaqué le poste de police de la Marsa en jetant des pierres. Ses affrontements ont provoqué une vague de panique chez les habitants de la ville, surtout après que plusieurs coups de feu aient été entendus à la Marsa, à Carthage Byrsa et au Kram.

Vers 1h du matin la tension s’est déplacée vers les quartiers ouest de la capitale. Plus de 1500 manifestants se sont rassemblés devant le district de la garde nationale à la Cité Ettahrir. Au même moment les sièges du PDP et du MDS, à la cité Ettahrir, étaient saccagés.

En région la situation n’était pas plus calme. La TAP, agence de presse officielle, a rapporté que dans les régions de Jendouba et du Kef, des locaux de partis politiques d’opposition et de la centrale syndicale avaient été attaqués par des islamistes radicaux et plusieurs délinquants.

Dans la journée du mardi 12 juin les troubles ont continué et se sont étendus aux cités Intilaka, Ettadhamon et Ibn Khaldoun, où des affrontements violents ont opposé des groupes salafistes et des jeunes des quartiers, armés d’armes blanches et de cocktails Molotov.  

C’est suite à ces troubles qu’un couvre-feu a été instauré à partir du mardi soir 21h et ce jusqu’à 5h du matin, dans la région de Tunis ainsi que dans plusieurs gouvernorats de l’intérieur du pays, toujours selon la TAP.

Des dizaines de blessés et un mort

Le bilan de ses deux jours d’émeutes est très lourd en terme de blessés. Une personne est même morte à Sousse, des suites de ses blessures.

Le bilan officiel de la nuit de lundi à mardi est de 65 blessés parmi les policiers, dont certains sont grièvement touchés. On compte aussi 162 arrestations de personnes accusées d’avoir participées aux actes de violence, selon le ministère de l’Intérieur.

Le bilan de la journée du mardi est encore plus lourd, les affrontement entre les forces de l’ordre, les groupes salafistes et les jeunes des quartiers de la cité Intilaka et Ettadhamon ont occasionné des dizaines de blessés. La SHOC Room, cellule de crise du ministère de la Santé, a recensé 730 admissions aux urgences dans les hôpitaux publics de la capitale, toutes liées aux évènements.

Parmi elles plus de 650 admissions sont dues à des blessures par arme à feu. Certaines étant des blessures dues à l’usage de balles en caoutchouc, certainement tirées par des flash ball. Reste que la majorité des blessures par arme à feu ont été faites par des armes à grenaille (Rach). La majorité de ces blessés ont été transférés des urgences de l’hôpital de la Cité Ettadhamon à celles de l’hôpital Rabta, dans la capitale.

A l’hôpital Charles Nicole, beaucoup d’admis aux urgences présentaient des traces de coups de matraque sur les jambes et sur le dos. Certains d’entre eux souffrent également de problèmes respiratoires et d’irritations dus à l’usage massif de bombes lacrymogènes.

C’est à Sousse que le premier décès a été enregistré. Fehmi El Aouini, un jeune homme de 22 ans est mort hier soir des suites de ses blessures. Il avait été atteint d’une balle dans la tête lors d’affrontements, mardi, entre des groupes salafistes et les forces de l’ordre.

Jusqu’à maintenant le ministère de l’Intérieur est resté muet et n’a fait aucun bilan global officiel.

Les armes à grenailles : un nouveau type d’arme ?

Radio de la tête d'un blessés à l’hôpital Rabta montrant une grenaille logée dans le crane.

Plusieurs témoignages recueillis hier aux urgences de l’hôpital Rabta confirment l’usage, par les forces de l’ordre d’un nouveau type d’arme à feu. Une source médicale en patrouille avec une équipe du SMUR à Séjoumi, et qui secourait 6 jeunes « salafistes » blessés par les forces de l’ordre par ce type d’arme, a elle aussi confirmé cette information.

Un blessé, qui d’apparence semble appartenir à la mouvance salafiste, nous a affirmé que la garde nationale avait fait usage de ce type d’arme, sans être en état de légitime défense mais simplement pour disperser les manifestants.

Les armes à grenaille sont des armes létales, c’est à dire mortelles, si elles sont utilisées à bout portant. Utilisées à bonne distance elles ne constituent pas un danger mortel.

A la cité Intilaka, un jeune homme, qui filmait les affrontements avec les forces de l’ordre, a été gravement blessé après avoir reçu une bombe lacrymogène au visage.

Réactions politiques :

Hier à l’ANC, lors de la séance de question au gouvernement, Ali Laarayedh a accusé “des extrémistes de gauche et de droite, des groupes de criminels, des délinquants ainsi que des partisans de l’ancien régime, d’être les instigateurs des actes de violence perpétrés ces derniers jours dans plusieurs régions du pays.

Rached Ghannouchi, le président du parti au pouvoir, quant à lui, s’est joint aujourd’hui aux leaders des courants radicaux tels “Hizb Ettahrir” et “Ansar Al Chariaâ” pour appeler à une marche d’envergure vendredi prochain pour dénoncer les atteintes à l’islam.