Karim Mejri, ex-conseiller auprès du ministre de l’emploi Saïd Aïdi, apporte sa contribution au débat national autour de l’emploi dans une série de 9 articles publiés par Nawaat.org. Dans ce sixième article, il donne un regard critique sur les programmes d’accompagnement vers l’emploi, notamment le programme Amal lancé au lendemain de la révolution.

L’accompagnement vers l’emploi, l’exemple du programme Amal

La mesure phare de l’accompagnement actif des demandeurs d’emploi en 2011 a été l’instauration du programme AMAL. Compris à tort comme une prime de chômage, donc une prime à la paresse, ce programme jouit à la fois du mécontentement de larges franges de la classe politique et des demandeurs d’emploi eux-mêmes.

Ainsi, certains hommes politiques critiquent la dilapidation de l’argent public sans vision à moyen terme. Selon eux, cet argent aurait mieux été investi dans de nouveaux projets qui créent de nouveaux postes d’emploi. Bien que ce raisonnement soit correct dans une large mesure, il omet toutefois de mentionner deux faits importants. Le premier est que ce programme a été instauré dans l’urgence, dès les premières semaines de la révolution à la demande des chômeurs eux-mêmes. Il a ainsi contribué à atténuer les revendications sociales et à doter un nombre important[1] de demandeurs d’emploi d’un revenu minimum préservant la dignité. Le second fait notable est que ce programme n’a jamais été pensé pour être une allocation chômage sans contrepartie, bien au contraire.

Les critiques venant des demandeurs d’emploi sont plus ambiguës. Une partie d’eux refusent la prime Amal, d’autres trouvent que le montant de l’allocation est insuffisant, qu’il ne touche pas tous ceux qui le méritent et qu’il ne doit pas être limité dans le temps. Ce genre de discours, s’il peut paraître contradictoire, ne peut que nous révéler que les demandeurs d’emploi n’ont pas confiance dans ce genre de programme, ayant perdu leur confiance dans l’Etat depuis longtemps.

La conception de ce programme, élaboré au ministère de la formation professionnelle et de l’emploi, contenait plusieurs volets visant à faire de ce programme beaucoup plus qu’une bourse de chômage. Ces volets sont : la reconversion, l’accompagnement et le coaching, la formation et les stages. Les moyens humains et matériels du ministère de l’emploi étant ce qu’ils sont, il n’a pas été possible de mener à bien tous ces volets malgré les objectifs ambitieux fixés au départ. Ainsi, comment pourrait-on garantir un accompagnement des demandeurs d’emploi alors qu’il existe seulement 92 bureaux d’emploi pour 264 délégations ? Comment assurer un suivi personnalisé, voire un coaching de chacun des 140.000 bénéficiaires du programme, alors que l’Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant (ANETI) dispose de seulement 700 conseillers de l’emploi[2] ? Comment trouver des stages à tout ce contingent de demandeurs d’emploi, alors que les entreprises vivent des difficultés économiques et parlent plus volontiers de licenciement que de nouveaux stagiaires ?

L’accompagnement des demandeurs d’emploi, bien que nécessaire dans une phase où ceux-là sont trop nombreux, désorientés et en proie au désespoir, doit se faire dans une logique de priorisation et dans la limite des moyens permis par l’Etat, mais aussi en s’appuyant sur les acteurs privés et les associations. Des salariés de l’ANETI proches de la retraite, des professeurs, des psychologues et des professionnels en ressources humaines devront être encouragés à prendre part, en partenariat avec l’Etat, à l’encadrement des chômeurs. Sans cette collaboration, l’Etat n’y arrivera pas tout seul.

Les programmes d’accompagnement, que ce soit Amal ou autres, devront permettre aux chômeurs issus des filières « difficiles » de se reconvertir vers d’autres spécialités qui leur permettent de trouver un emploi plus facilement. Cette reconversion peut se faire par des cursus de formation, sanctionnés par des diplômes spécifiques. Ces nouveaux cursus, distinct des dispositifs existants de formations initiale et continue et de formation professionnelle, devront permettre aux chômeurs qui en bénéficient d’être recrutés dans le secteur public et privé ; sinon ces formations complémentaires seraient inutiles. Aujourd’hui, des dizaines de milliers de diplômés qui passent leur temps à suivre formation sur formation (sans certificats reconnus ou homologués), et qui ne voient jamais leur diplôme demandé dans un concours de recrutement dans le secteur public. Un maîtrisard d’arabe qui suit avec succès 9 mois (par exemple) de formation en multimédia devra pouvoir postuler à un poste qui requiert un bac + 4 en multimédia. Sans cela, les formations complémentaires persisteront à être perçues par les demandeurs d’emploi, à juste titre, comme des calmants qui soulagent la douleur sans combattre la maladie.

Le Ministère de la Formation Professionnelle et de l’Emploi devra s’atteler à faire l’inventaire complet de tous les diplômes et de toutes les spécialités et calculer un taux de chômage par diplôme, par spécialité et par institution. Ce travail, qui pourra être fait avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur et avec l’INS, permettra d’un côté d’orienter les administrations et les inciter à recruter parmi les spécialités les moins demandées (souvent par méconnaissance de l’existence du diplôme) et d’un autre côté de cibler les programmes de formations complémentaires sur les populations les plus touchées par le chômage.

Notons enfin que les programmes d’accompagnement des demandeurs d’emploi, ainsi que les programmes d’insertion professionnelle (CAIP, SIVP…) devront être évalués régulièrement selon des critères objectifs par des institutions indépendantes, sans quoi la mauvaise gestion et le laxisme finiront par détourner ces programmes de leurs objectifs premiers.

[1] Plus de 140.000 bénéficiaires

[2] Ce chiffre a été porté à près de 950 à la fin 2011 suite à un programme de recrutement à l’ANETI, mais cela reste encore insuffisant

Prochain article : Communiquer sur le chômage, une confiance à reconquérir

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[Part2] : Le secteur public, objet de toutes les convoitises
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[Part4] : Pour une nouvelle génération d’entrepreneurs
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