Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Nous avons en Tunisie ce magnifique dicton populaire qui illustre la joie d’une vieille dame qui ne réalise pas le danger qui la guette, pensant être aux mieux dans le meilleur des mondes (العزوزة هازها الواد وهي تقول العام صابة) et qui signifie en arabe que la vieille dame est emportée par les flots alors qu’elle dit : nous aurons une bonne récolte cette année.

Se taire devant l’injustice fait de toi un diable muet

Le pourtant réservé M. Yadh Ben Achour est sorti il y a une semaine de sa réserve pour tirer la sonnette d’alarme. Ce juriste modéré, patriote et bâtisseur a déclaré: « Si l’Etat ne joue pas son rôle, nous irons droit vers la guerre civile.» Et encore : « Le problème ce n’est pas l’extrémisme, c’est le Gouvernement qui le laisse faire. »

Jeudi 26 avril, M. Yadh Ben Achour explique en toute clarté sur Hannibal TV : « On ne peut plus se cacher les yeux : l’actuel Gouvernement traite les Salafistes avec douceur, et les démocrates avec violence ; c’est un fait, et nous ne pouvons plus nous taire. »

D’autre part, de sérieux problèmes enfoncent les universités dans un gouffre sans fin. Que l’université soit plurielle ne lui fera que du bien, mais que des milices y sévissent dénote les prémices d’une période noire.

M. Abdelfattah Mourou, pourtant fondateur de Ennahdha, n’a pas manqué à l’appel non plus. Il y a quelques jours, il a déclaré à son tour sur la TV Nationale que le Parti islamiste subissait une hémorragie d’électeurs et qu’il est de son devoir de récupérer la confiance du peuple. Comment ? A-t-il demandé, pour répondre : en travaillant avec patriotisme, loin de tout choix et toute décision partisane. Et M. Mourou de continuer : nous avions par le passé un problème avec le pouvoir, aujourd’hui nous sommes le pouvoir et nous avons un problème avec le peuple. Nous devons reconnaître les mérites et l’expertise des autres (les non-Ennahdhaouis, s’entend), leur donner leur juste valeur et les mettre à l’avant.

A un niveau moins populaire, le discours prononcé par le lauréat du Prix Nobel de littérature est considéré comme un document crucial qui nous éclaire sur les idées de son auteur. Pour une fois, l’homme de lettres parle en dehors d’un roman ; il se révèle et nous confie le meilleur de lui-même.

Joseph Brodsky dit dans son discours du 8 décembre 1987 : « De manière générale, chaque nouvelle réalité artistique précise encore plus la réalité éthique de l’être humain. C’est que l’esthétique est la mère de l’éthique ; les catégories de ‘bon’ et ‘mauvais’ sont d’abord et avant tout des catégories esthétiques, et étymologiquement au moins, elles précèdent les catégories de ‘bon’ et de ‘méchant’. Si en éthique ‘tout n’est pas permis’ c’est précisément parce que ‘tout n’est pas permis’ en esthétique puisque le spectre des couleurs est limité. Le jeune bébé qui crie et rejette l’étranger ou qui au contraire tend les bras vers lui le fait instinctivement ; il fait un choix esthétique, non moral. » (Traduction de l’auteur)

Est-ce ce jeune bébé que nous avons appelé « Révolution Tunisienne » tendra les bras vers Ennahdha lors des prochaines élections, ou est-ce qu’il se mettra à crier et la rejeter de toutes ses forces ? Est-ce que le problème des partis islamistes avec le peuple, diagnostiqué par Messieurs Ben Achour et Mourou, sera résolu ?

Quand le compromis est utilisé à tort et à travers

Invité lors de la clôture du Festival cinématographique d’Al-Jazira, et en marge de sa visite pour participer au congrès de l’UNCTAD, le Président Moncef Marzouki a expliqué lors de son allocution que la raison principale du succès relatif de la Révolution Tunisienne comparée à l’égyptienne par exemple résidait selon lui dans ce qu’il a appelé: le consensus (Al-Ouifaq). M. Marzouki faisait allusion aux concessions que le parti de la majorité a fait en faveur de ses concurrents politiques ou en faveur de la rue, ou encore en réaction à une levée de boucliers à l’échelle nationale. La meilleure illustration est certainement l’acceptation par le parti islamique de ne pas citer la Chariaa dans l’Article Premier de la Constitution.

Mais pourquoi Ennahdha ne fait-elle pas du compromis sa politique permamente ? Pourquoi l’utilise-t-elle là où il ne faut pas ? Que fait Habib Essid auprès du Ministre de l’Intérieur. Et pourquoi doit-on faire appel à une plume vendue pour réformer les médias en Tunisie ?

Ennahdha et l’AKP turc: ce n’est pas la même chose !

D’autre part, on nous a chanté à-tue-tête que le parti islamique Ennahdha était similaire au parti islamique turc AKP. Voyons de plus près !! Aujourd’hui le parti turc baigne dans le succès se confirmant définitivement comme un pilier de la vie politique turque. Nous ne pouvons dire la même chose de Ennahdha qui se recroqueville de plus en plus attaquant dans toutes les directions, et faisant des concessions heureuses des fois et infortunées souvent. Il suffit de penser à la nomination de Habib Essid dans l’incroyable fonction de conseiller du Ministre de l’Intérieur Ennahdhaoui pour les questions sécuritaires. L’observateur de la scène politique tunisienne a l’impression que Ennahdha compte sur une quelconque force occulte qui la protégerait en tout moment contre vents et marées quelles que soient ses choix, ses actes, et ses responsabilités. Nous observons des néophytes de la politique régner en maîtres presque absolus sur une Tunisie titubante. Les membres du gouvernement tunisien issus de Ennahdha sont en grande partie d’anciens prisonniers politiques; nous sommes loin d’un Regeb Tayyeb Erdogan qui a longuement fait ses armes en tant que maire d’Istanbul avant de prendre les rennes du grand taureau turc. Ghannouchi, Jebali, Dilou, Larayedh et autres n’ont aucune expérience politique et sont des enfants de coeur devant des politiciens chevronnés de la trempe d’Erdogan, Abdullah Gül, et de feu Nejmeddine Erbakan.

Il est certain que les temps de disette de la nébuleuse islamique et l’époque où il fallait survivre ont forgé la politique et souvent les caractères des Ennahdhaouis. Ils se sont habitués à la lutte amère, au combat et sont incapables aujourd’hui de travailler paisiblement et sans agressivité à la construction de la future Tunisie démocratique.

Ennahdha a été accepté comme adversaire politique parce qu’on pensait qu’elle respecterait les règles du jeu

Ennahdha est en train d’apprendre sur le tas, c’est évident. Mais pourquoi snobe-t-elle son engagement le plus important ? Son engagement éthique, moral ?

Laissons de côté les prêches des Islamistes dans les mosquées lors des dernières élections, et voypns comme cas d’exemple les militants de Ennahdha résidents au Qatar ; ils sont emblématiques de ce mouvement et nous pouvons à travers leur modus operandi déchiffrer la mentalité et l’assise militante de Ennahdha.

Comment opère Ennahdha ?

Nous avons observé les militants de Ennahdha à Doha lutter pour s’emparer du Conseil de la Colonie Tunisienne au Qatar (مجلس الجالية التونسية). Ces militants ignorent royalement le respect de l’adversaire, et ne leur parlez surtout pas de l’égalité des chances, cela n’existe pas dans leur glossaire. Ils utilisent la base de données de QTEL (l’opérateur téléphonique du Qatar) pour envoyer leurs sms, ce qui est strictement illégal, et ils utilisent aussi leurs téléphones de bureau et la ligne internet alors que certains sont des fonctionnaires de l’Etat ; ce qui est absolument contre les lois qataries. Il suffit de regarder les horaires de leurs messages sur FB pour s’en assurer. Du calme, j’ai beaucoup de screen-shots. Le jour des élections, des amis médecins venus voter à l’ambassade ont été choqués d’entendre les candidats de Ennahdha leur demander de voter pour eux. Nous avons adressé une plainte officielle à ce sujet à l’Ambassade de Tunisie au Qatar.

Après s’être emparé du Conseil de la Colonie, les Ennahdhaouis se sont tournés vers l’école tunisienne à Doha. A croire qu’ils n’ont rien d’autre à faire que de ramasser les voix ; on ne les a pas vus très actifs à supporter les 700 chômeurs tunisiens (chiffre non officiel et non-confirmé) qui sont arrivés à Doha depuis 4 mois et qui ont découvert qu’ils se sont fait arnaquer ; certains dorment dans les mosquées. Plusieurs ministres sont passés à Doha dont M. Rafik Ben Abdessalam, mais ils n’ont pas bougé le petit doigt. Il a fallu attendre l’entrevue avec le Président de la République M. Moncef Marzouki qui a été choqué et a répliqué : c’est une catastrophe (sic) (karithah), et qui a demandé au Ministre du Travail de se déplacer à Doha pour résoudre le problème.

A ce sujet, ajoutons que des bruits courent que certains d’entre eux sont victimes d’un réseau mafieux de vente de visas. Il semble aussi qu’une plainte a été déposée auprès des Droits de l’Homme en Tunisie avec noms des responsables… Le futur nous éclairera.

Lors de élections du Conseil des Parents de l’école tunisienne, nous avons été écoeurés de voir les mêmes visages déjà membres du Conseil de la Colonie vouloir se représenter. Lorsque nous avons vigoureusement réagi et demandé leur retrait expliquant que l’école ne devrait pas être politisé, nous avons eu droit aux subterfuges et les visages connus ont été remplacés par d’autres sans affiche, mais deux ou trois membres du Conseil de la Colonie font quand même partie du Conseil des Parents ; aussi incroyable que cela puisse paraître.

Nous avons crié et hurlé qu’il y avait une liste qui comprenait des médecins parents, des docteurs parents, des journalistes parents, des académiciens parents, et que tous étaient absolument apolitiques, venus assister l’école avec leurs compétences internationales. Non, nous avons eu droit à une liste toute Ennahdhaouie, et au diable les compétences… Un jour après les élections, une jeune fille est rentrée chez elle en disant à ses parents: l’enseignante nous a dit que maintenant, nous pouvons porter le hijab..

Le hijab n’était pas interdit auparavant, il n’a jamais été interdit à l’école tunisienne à Doha, mais peut-être que la nouvelle junte a l’intention de l’imposer…

Je vous laisse juger…

La question cruciale à laquelle Ennahdha doit répondre

Nous voici arrivés maintenant à la question cruciale de la religion islamique ; je voudrais poser à nos frères islamistes la question suivante : Depuis que vous avez montré vos muscles après le 14 janvier 2011 (et arrêtez de vous mentir en prétendant que vous avez participé à la Révolution), depuis le 14 janvier et votre apparition bruyante et tonitruante sur la scène politique et sociale en Tunisie, croyez-vous que nos jeunes sont plus attirés par l’Islam ou moins ?

Leur avez-vous si noblement donné le bon exemple de droiture, de douceur et de bonté, ou leur avez-vous montré des muscles, des insultes, des coups et des menaces ?

En deux mots : avez-vous vraiment servi l’Islam ou lui avez-vous porté atteinte dans les coeurs des gens ?

Une scène de théâtre pour finir

Lisez enfin ce dialogue théâtral entre deux Tunisiens, un islamiste et un musulman :

L’islamiste : « Je crois en Dieu et son Messager, je fais mes cinq prières rituelles quotidiennes . »

Le musulman : « Moi aussi, mon frère . »

– Je jeûne durant le Ramadan, et je paie ma zakat lorsque cela s’impose.

– Moi aussi.

– J’irai à la Mecque en pèlerinage quand j’en aurais les moyens.

– Moi aussi.

– Mais alors, il n’y a aucune différence entre nous ?

– Si, il y en a une, et de taille.

– Explique.

– Toi, tu fais de la religion ton fonds de commerce; moi pas.