Traduit de l’Allemand par Johanne Kübler. Titre original de l’article : Tunesien Freiheit über alles, paru dans le journal Der Tagesspiegel, jeudi 15 Mars 2012.

C’est à la fois confiant et détendu que le nouveau premier ministre tunisien Hamadi Jebali s’est présenté lors de sa première visite à Berlin. La barbe des hauts représentants du parti Ennahda est taillée courte, la “zabiba”, tache brune sur le front, révèle le fait que M. Jebali effectue les cinq prières musulmanes. Pourtant, d’une limitation des libertés civiles d’après les écrits islamiques, l’homme de 62 ans ne veut pas en entendre parler : son thème principal est la liberté, la liberté d’expression, de culte, de la presse, d’association et la liberté de protester contre les dirigeants.

Serait-il un Gauck (probable futur président allemand, homme de consensus) musulman ? Bien que Joachim Gauck ne soit pas encore Président Fédéral, il ne peut pas y avoir, du point de vue tunisien de comparaison possible entre les deux hommes. Bien que Jebali tienne en haute considération la liberté, on l’a lui a pris : sous l’ancien régime du président déchu Ben Ali, il a ainsi passé seize annnées en prison, longtemps en isolement et, ce qui « était le pire », dont on l’a privé c’était souvent de papier, de crayons, de livre et même de Coran.

Pour la discussion avec les journalistes, l’ingénieur formé en France prend beaucoup de temps, comme pour prouver que son régime prend la liberté de la presse au sérieux. Les questions sur la réintroduction de la polygamie l’énerve, « ca n’est absolument pas un sujet » dit-il.

Sur le rôle que l’islam devra jouer dans la nouvelle constitution, qui est en train d’être rédigée, il ne se prononce pas. Mais il précise :

nous comprenons la Charia, le système de lois islamiques, comme garant de justice sociale et de la la liberté de choix.

A la remarque selon laquelle il parle comme un politicien occidental, il rigole et répond : «ces valeurs sont les valeurs de l’humanité ».

Jebali ne voit pas les salafistes radicaux dans son pays comme un danger, simplement il doivent s’exprimer pacifiquement.

Au sujet des attaques contre la chaîne de télé [Nesma TV] qui a diffusé le film Persepolis où on y critique la révolution iranienne, il ne se prononce pas. Et puis il y a eu la semaine dernière l’affaire Attounissia il regrette de façon évasive que la justice fasse complètement appel à des lois dépassées qui doivent être modifiées incessamment.

Il se prononce clairement en revanche contre un Haut Conseil Islamique qui, comme en Iran vérifierait la conformité des lois à l’islam. « Un tel conseil pourrait avoir du sens pour l’administration des mosquées mais sans compétence législative ou pouvoir de contrôle ». Un « comité de la vertu » (ou police de la vertu) à la saoudienne n’est également pas du tout envisagé.

Les événements en Syrie sont pris à cœur par les Tunisiens et leur Premier Ministre. « Dans notre gouvernement il y a beaucoup d’anciens combattants pour la liberté ». Ca n’est pas par hasard que la première réunion des “Amis de la Syrie” s’est tenue à Tunis, une prochaine est prévue le 2 avril prochain en Turquie.

D’expérience Jebali estime « q’une dictature ne peut être renversée par des paroles mais être forcée à partir ». Pourtant il refuse une intervention militaire occidentale, qui permettrait seulement à Al Assad de se présenter en martyr. L’opposition doit s’unir, si cela n’arrivait pas on devrait compter sur le CNS (Conseil National Syrien) comme organisation la plus apte à négocier. Il faudra également aider les rébelles armés – comment exactement ? Sa réponse reste ouverte.

Ce que le Premier Ministre attend d’Angela Merkel, il le sait parfaitement « Soutien au modèle tunisien », sous la forme d’une aide temporaire pour l’économie et la formation. C’est « notre droit et le devoir de l’Allemagne ». comme exemple il cite le soutien pour la formation initiale et continue de travailleurs qualifiés, pour laquelle il y a un grand manque en Tunisie. Il veut ainsi réussir à créer 900 000 emplois, ce qui correspondrait aux 800 000 chômeurs qui existent actuellement en Tunisie.

Quel intérêt trouverait l’Europe à ce soutien ? Pour lui c’est clair : « la frontière sud de l’Europe n’est plus en France ou en Espagne mais en Tunisie et en Afrique du Nord ». (allusion claire à l’immigration). La chancelière Merkel a par la suite assuré après sa rencontre avec M. Jebali qu’il avait une coopération très vive au sujet de l’aide économique et le soutien à la transition démocratique.