Visez toujours la lune
Mais ne la montrez pas du doigt
Les sages vous en tiendraient rancune
Et les sots ne la verraient pas

En mars 2006, j’écrivais, à l’occasion de la première commémoration de la disparition de Zouhair Yahyaoui : « Il y a un an, le chenapan du net tirait sa révérence. La vie continue pourtant à avoir le dessus et il faudra bien s’habituer à vivre sans lui mais toujours avec son souvenir. Car non, la mort ne dissout pas tout, surtout pas l’amitié ! »
Aujourd’hui, je voudrais seulement lui rendre hommage en dédiant à sa mémoire deux poèmes qui ont particulièrement marqué mon parcours.

J’ai écrit le premier durant les premières semaines de mon arrestation, été 91, à la prison civile de Sousse. Les prisonniers « spéciaux » étaient encore ensemble, non mélangés aux prisonniers de droit commun. Nous avions organisé une soirée culturelle comprenant, entre autres, une compétition sur la meilleure œuvre (poème, imitations, etc.) Mes compagnons d’infortune m’avaient alors fait l’honneur de m’octroyer, pour mon poème (en français, s’il vous plaît !), le premier prix.

Le deuxième signait, avec la fermeture de TUNeZINE, mon entrée en hibernation cyberdissidente…

En décembre 2001, ettounsi de TUNeZINE a voulu, avec son article “Merci, Monsieur le précédent, merci, ZABA”, souhaiter à sa façon la bonne année à son équipe et ce n’est pas sans une grande émotion que je relis, régulièrement, son message. Allah yarhmou…

Toutes mes pensées vont d’abord à Zouhair, ettounsi de TUNeZINE et Sophie Piekarec, la Rose qui, pour l’ensemble de son oeuvre, avait eu droit à un refoulement en mauvaise et indue forme alors qu’elle venait visiter Zouhair en prison, ensuite à tous les TUNeZINIENs dont je nommerai Taieb Moalla alias Lecteur Assidu, Mohamed Bouriga alias Omar Khayam, Sami Ben Gharbia alias Chamseddine, Riadh Guerfali alias Astrubal, Fraj Brik alias Mkarriz, feu Adel Ayadi, alias Maherbaal, Walid Driss alias eFighter, Hsouna (qui a disparu sans laisser de traces), Hasni, Kabbar, Osmanli, Mqas, Mercure, Nationaliste arabe, Astrubal, Centrist, Abou Dhar, Exilé, Ivan le terrible, Tunisian, Tarek Ibn Ziad, et tant et tant d’autres anonymes, habitants de la Rue Mansouri, la rue qui n’existe pas et qui est née de l’extraordinaire imaginaire de Mohamed Bouriga, alias Omar Khayam…

Vous nous avez menti…

Foued Bouzaouache – Prison civile de Sousse – septembre 1991

Vous nous avez promis
La vraie Démocratie
La liberté de dire

Notre avis librement
Sur les évènements
Que peuvent nous décrire

Des médias désormais
Libres de tout montrer
Libres de tout nous dire

Sur le triste présent
D’un pays baignant
Dans le sang des martyrs

Ces pauvres misérables
Qui n’étaient coupables
Que de ne pas rougir

De dire la vérité
Que vous voulez masquer
Par vos méchants sourires

Vous nous avez menti!
Pour ça, soyez maudits!
Puissiez vous en périr!

Restez plutôt en vie
Pour écouter les cris
Des enfants des martyrs

Les chants des prisonniers
Qui ne peuvent que prier
Sans cesse et vous maudire

Et les cris de colère
Des épouses et des mères
Fatiguées de souffrir

Vous connaîtrez alors
Peut-être le remords
Si vous pouvez sentir

Mais non! Car votre coeur
Ne sent que la rancoeur
Il ne sait pas frémir

Aux chagrins, aux malheurs
Des êtres, à leurs douleurs
Leurs larmes, leurs soupirs

Restez vivants pour voir
De vos yeux la victoire
Que nous voyons venir…

Mors omnia solvit…

Decepticus – M’saken – 13 mars 2006

Ami,

Que puis-je dire,
Que puis-je écrire,
Pour apaiser mon cœur ?

Comment ai-je pu
Quand je l’ai su
Contenir mes pleurs ?

Tu es parti,
Endolori,
Déçu par les menteurs

Ami,

Au bled, tu sais,

Rien n’a changé,
Le jasmin est en fleurs

Larmes, toujours,
Un peu d’humour
Et l’éternelle peur

Des minuscules,
Ridicules
Qui calculent sans pudeur

Parfois, pourtant,
Clopin-clopant,
Un peu de baume au cœur

De mères, de pères,
De femmes, de sœurs,
Mais sans aucune chaleur

Ami,

Que reste-t-il
De ces subtils
Instruments destructeurs,

L’enthousiasme,
Le sarcasme,
Qui faisaient notre bonheur ?

De la passion,
Un lumignon
Veillera notre torpeur

Decepticus
Qui soutient,
Mordicus,
Le parti des rêveurs…

Decepticus (Foued Bouzaouache)