Par M’Hamed Bounenni.

Son accession au pouvoir suscita l’adhésion générale et le soulagement évident du peuple, toutes classes confondues. Les débuts furent prometteurs de lendemains chanteurs, voire enchanteurs. Visites éclairs et bains de foules enthousiastes, dans la liesse générale, rassuraient la nation quant aux intentions de l’enfant reconnaissant à la mère patrie. Car, il se disait démocratique, aussi, et commençait par écarter les potentats du régime précédent et, de ce fait, s’installa dans la légitimité populaire.

Seulement, voilà que l’embellie fut de courte durée. Les opposants qui, au bout de trois ans à peine, commençaient à subodorer la supercherie étaient présentés comme des marginaux qui cherchaient, au profit d’intérêts particuliers, à mettre en question le consensus national. La presse était muselée par un régime de censure et de répression extrêmement strict. Les associations n’ayant pas obtenu l’autorisation préalable du gouvernement étaient interdites.

Le ministre de l’Intérieur organisait un système des candidatures officielles. Les préfets recevaient donc des instructions pour favoriser exclusivement la campagne des candidats du pouvoir. Leurs frais électoraux étaient pris en charge. La presse officielle, seule maîtresse du terrain, les soutenait. Grâce à ces méthodes, les élections ne pouvaient apporter la moindre surprise. Le gouvernement n’avait que faire des députés contestataires. Cette conception du suffrage universel aboutissait à la neutralisation de fait du Parlement qui gardait peu de pouvoirs en lui retirant l’essentiel de ses compétences législatives. Il n’avait aucun droit de contrôler le budget, qu’il devait voter en bloc, ministère par ministère. L’ordre politique ne supportait pas la moindre menace.

Sur le plan économique, force serait de souligner l’évidente croissance que le pays avait connue sous son règne. Les besoins en infrastructure routière, ferroviaire portuaire et d’irrigation donnaient vie à de grands chantiers. L’accroissement du commerce était général avec, comme innovation, l’implantation de grands magasins. L’agriculture connut un essor évident, si bien que le paysan était devenu un consommateur à part entière, achetant textiles et produits manufacturés de tous genres, sur les marchés des villes avoisinantes. La condition des salariés aurait été sensiblement améliorée sans la hausse systématique des prix. Des institutions de bienfaisance étaient créées. La spéculation immobilière favorisait les fortunes rapides. On construisait beaucoup dans les villes. Les banques prêtaient à tout va, voire inconsidérément.

Cependant, le résultat escompté de cette croissance n’avait pu être de gonfler les classes moyennes mais, bien au contraire, on assista à l’avènement de nouveaux riches, hommes et femmes, issus de la corruption, de la malversation et du népotisme.

Mais, au fait, de qui s’agit-il ? De quelle époque et de quel pays est-il question ? C’est que l’Histoire, à 1.470 km de distance, à vol de coucou, oiseau ou avion, c’est selon l’époque, et 117 ans, 2 mois et 6 jours après, montre en main, nous restitue un Louis Napoléon Bonaparte alias Napoléon III, président puis empereur des français, déguisé en ZABA premier et dernier. Toutes proportions gardées, bien entendu. N’y a-t-il pas là, vraiment, de quoi croire aux revenants ! Bien plus, entre le 20 décembre 1848 et le 01 septembre 1870, d’une part, le 07 novembre 1987 et le 14 janvier 2011, d’autre part, les deux hommes avaient eu, à un an et demi près, la même longévité de règne, soit respectivement 21 ans, 8 mois et 11 jours contre 23 ans, 2 mois et 7 jours.

Pour ce qui est de leur fin de règne respective, si ZABA a trouvé refuge en Arabie Saoudite, après sa fuite dans des conditions rocambolesques qui restent à élucider, Napoléon III, quant à lui, s’était exilé en Angleterre après un bref séjour en prison, en Allemagne, suite à sa capitulation devant le maréchal prussien Helmut Von Moltke, en pleine débâcle des armées françaises à Sedan, le 1er septembre 1870, mettant ainsi fin à la guerre franco-allemande. Alors, ZABA a-t-il lu ou, plutôt, lui a-t-on lu, lui qui, apparemment, préfère compter que lire, une biographie de Napoléon III pour en faire son modèle. Tant et si bien que le fondateur du Second Empire est présenté par bon nombre d’historiens comme conspirateur utilisant les recettes de la vie clandestine et les amitiés des sociétés secrètes, estimant au moins autant la fidélité que la compétence. Comme la ressemblance s’accomplit !

A présent, si on connait parfaitement par l’Histoire, 141 ans après, l’héritage du règne de Napoléon III et l’impact immédiat qu’il avait eu sur les institutions politiques de ce qui sera la 3ème République, en France, on ne saurait, onze mois après la Révolution, se prononcer avec précision quant à l’évolution des institutions politiques de la Tunisie de l’après ZABA.

En effet, les deux hommes ont laissé, chacun derrière lui, un pays en proie à l’anarchie, à l’insécurité et à l’indécision. Les deux régimes étant totalitaires, la disparition de leur chef respectif a entrainé la chute immédiate et brutale de l’un comme de l’autre. Cette chute a entrainé, aussi et surtout, l’abrogation de la constitution de 1852, en France, et celle de 1959, en Tunisie. Toutes deux déclarées caduques par les gouvernements provisoires dits de Consensus National en Tunisie et de Défense Nationale en France.

A cette étape précise, bien que toute ressemblance des hommes et des évène-ments soit censée s’estomper et où la bifurcation nécessaire doive se présenter pour orienter et les hommes et le cours des évènements, selon le contexte tunisien version 2011, si différent de celui de la France de 1870, est-il interdit de se hasarder à émettre l’hypothèse que l’Histoire poursuivrait son cours ? Imperturbablement, en changeant d’époque et d’espace. Les mêmes causes ne sont-elles pas, dans l’absolu, génératrices des mêmes effets ? Alors, suivons la et voyons ce qui risquerait de se passer en Tunisie.

La 2ème république tunisienne issue de la Révolution du 14 janvier 2011, comme la 3ème république française issue de la défaite militaire du 02 septembre 1870 et proclamée le 04, n’ayant plus de Constitution, se sont trouvées, d’emblée, face à l’impératif de se doter d’un pouvoir constituant originaire, c’est-à-dire d’élire une Assemblée Constituante. Ce fut fait, en Tunisie, le 23 octobre 2011, soit neuf mois et huit jours après la chute de l’ancien régime.

En France, il avait fallu attendre l’armistice de 21 jours, dont la convention signée le 28 janvier 1871 exige l’élection d’une Assemblée Nationale dont la tâche serait de décider de la conclusion de la paix ou de la reprise de la guerre, laquelle élection eut bien lieu le 08 février 1871. Le caractère constituant de cette assemblée n’étant pas expressément mentionné, les électeurs votèrent donc pour ou contre la paix. Comme en Tunisie s’agissant des RCDistes, les anciens ministres, conseillers d’Etat, sénateurs, préfets et candidats officiels de l’Empire, étaient déclarés inéligibles. Les adversaires de la paix, résolument républicains, ne remportèrent que 225 sièges tandis que les partisans de la paix, donc les adversaires de la République : aristocrates et monarchistes, arrivèrent en tête avec 450 sièges. Alors, qu’en serait-il de l’esprit républicain de nos élus islamistes ? Attendons pour voir.

La paix, assortie de conditions humiliantes pour la France fut signée à Franckfort, le 10 mai 1871, simultanément à la terrible répression franco-prussienne du sursaut patriotique soutenu par la gauche républicaine fermement opposée à une telle paix, sous le gouvernement de la Commune de Paris (18 mars – 27 mai 1871). Avec vingt mille morts à la clé. Telle est la douloureuse épreuve souvent inéluctable, nonobstant la nature et les causes, qui guette toute démocratie naissante. En Tunisie, la nouvelle classe politique : corps constitués et partis, sera bien en devoir de la lui éviter, à tout prix, en toute et constante priorité. C’est là que résidera la vraie exception tunisienne.

M’Hamed Bounenni – universitaire à la retraite